CHAPITRE 1 : Introduction 1
1.1 Régulation de la transcription par l’ARN polymérase II 1
1.1.3 Les étapes de la transcription par l’ARN polymérase II 14
1.1.3.3 L’élongation 18
Une fois que l’ARN Pol II quitte le promoteur, un complexe précoce d’élongation se forme pour synthétiser l’ajout de nucléotides sur l’ARN naissant. La transition de l’initiation à l’élongation de la transcription est un phénomène très dynamique impliquant plusieurs niveaux de régulation. Cette régulation peut à la fois avoir lieu au niveau d’une phase précoce de l’élongation à travers la pause de l’ARN Pol II et après la relâche de l’ARN Pol II dans la phase d’élongation productive (Figure 1.8).
Figure 1.8: Établissement et relâche de la pause de l’ARN Pol II.98
La formation du complexe de pré-initiation (PIC) implique le recrutement de facteurs généraux de la transcription (GTFs) et de l’ARN Pol II. Cette étape est facilitée par la liaison de facteurs de transcription spécifiques (représentés par TF1). La synthèse de l’ARN débute, mais est bloquée quelques nucléotides en aval du site d’initiation de la transcription (TSS) suite à l’association de facteurs de pause comme DSIF et NELF. À cette étape, le CTD de l’ARN Pol II est phosphorylé sur la Ser5. Par la suite, la relâche de la pause est déclenchée par le recrutement direct ou indirect du facteur positif d’élongation P-TEFb par un facteur de transcription (représenté par TF2). L’activité kinase de P-TEFb phosphoryle alors le CTD de l’ARN Pol II sur la Ser2 ainsi que les facteurs de pause. NELF est alors dissocié du complexe de transcription et DSIF devient un facteur d’élongation positif qui suit l’ARN Pol II le long du gène. Enfin, en la présence des facteurs TF1 et TF2, le passage de l’ARN Pol II à une élongation productive est rapidement suivi de l’entrée d’une nouvelle ARN Pol II au niveau du site de pause, permettant une synthèse d’ARN efficace.
Régulation de la pause de l’ARN Pol II
Durant les étapes initiales de l’élongation, l’ARN Pol II peut se mettre en pause et s’accumuler à de très hauts niveaux dans la région proximale au promoteur, 20 à 60 nucléotides en aval du TSS99. Des études à l’échelle du génome ont montré qu’environ
30% à 40% de tous les gènes codant pour des protéines possèdent une ARN Pol II en pause100–104. Il s’agit notamment d’une étape régulatrice commune à la transcription des
gènes développementaux et des gènes impliqués dans des voies régulées par un stimulus105. La relâche de l’ARN Pol II pour permettre la poursuite de l’élongation constitue ainsi un mécanisme de régulation transcriptionnelle clé chez les eucaryotes supérieurs106– 109. Trois complexes d’élongation majeurs ont été identifiés : deux négatifs (DSIF et NELF)
et un positif (P-TEFb).
Le premier complexe identifié comme ayant un rôle inhibiteur sur l’élongation est le complexe DSIF (DRB-sensitivity inducing factor)110. Sa purification, à partir d’extraits nucléaires de cellules HeLa, a été basée sur sa capacité à induire une sensibilité au DRB (5,6-dichloro-1-b-D-ribofuranosyl-benzimidazole), un inhibiteur de kinases qui a la capacité d’arrêter l’élongation de l’ARN Pol II111,112. DSIF est composé de deux sous-unités qui sont
les homologues de facteurs de transcription de levure : Spt5 et Spt4110. Par la suite, un
autre complexe protéique, NELF (negative elongation factor complex), pouvant conférer une sensibilité complète au DRB en synergie avec le complexe DSIF a été isolé113. NELF
est composé de cinq sous-unités nommées NELF-A à NELF-E. DSIF et NELF exercent leur action régulatrice en s’associent à l’ARN Pol II initiée, et probablement à l’ARN naissant, afin d’induire une pause au cours de l’élongation108. Malgré l’importance
démontrée de NELF et de DSIF dans l’établissement de la pause de l’ARN Pol II, des travaux suggèrent que d’autres facteurs pourraient affecter le temps de résidence de l’ARN Pol II associée au promoteur. Des études in vitro ont par exemple montré que GDOWN1 et le GTF TFIIF pourraient également influencer la stabilité de l’ARN Pol II au niveau du site de pause, peut-être en affectant la susceptibilité du complexe précoce d’élongation à terminer la transcription de manière prématurée98,114.
Le complexe P-TEFb (positive transcription elongation factor b) quant à lui permet de relâcher l’ARN Pol II de la pause. Il a été identifié grâce à sa capacité de stimulation de la synthèse de long transcrits dans des systèmes de transcription in vitro sensibles au DRB115. P-TEFb consiste en deux sous-unités, CDK9 (cyclin-dependent kinase 9) et
recrutement du complexe de coiffe en 5’ de l’ARN naissant118. Ainsi, une fois ce point de
contrôle qualité passé, P-TEFb phosphorylerait DSIF, NELF et le CTD de l’ARN Pol II, menant à la relâche de l’ARN Pol II de son site de pause et à une transition vers une élongation productive (Figure 1.8).
Étant donné le rôle clé de P-TEFb dans la régulation de l’élongation productive, la compréhension de ses mécanismes de recrutement à un locus particulier suscite un grand intérêt. De nombreux facteurs ont été impliqués dans ce processus, P-TEFb étant recruté au niveau des promoteurs par des interactions directes ou indirectes avec des facteurs de transcription spécifiques ou avec des cofacteurs. On retrouve notamment la protéine BRD4 (bromodomain-containing 4) capable de se lier aux histones acétylées au niveau de régions actives de la chromatine119,120, des activateurs transcriptionnels comme MYC et
NF-kB (nuclear factor-k B)121–123 et la sous-unité Med26 du complexe Médiateur124. De
plus, P-TEFb est retrouvé associé à des facteurs d’élongation et à des protéines modifiant la chromatine au sein du complexe de super élongation (SEC, pour super elongation complex), suggérant que l’ensemble de ces facteurs stimule l’élongation productive125–128.
Enfin, il est important de noter que P-TEFb est majoritairement retrouvé séquestré sous une forme inactive au sein du complexe ribonucléique 7SK snRNP (Figure 1.9) et sa dissociation de ce complexe joue un rôle important dans la régulation de l’élongation108,129. La protéine de VIH Tat et la protéine BRD4 sont toutes les deux capables de relâcher P- TEFb du snRNP 7SK122,130. Il reste encore à déterminer si les autres facteurs capables
d’interagir avec P-TEFb sont capables de l’extraire de ce complexe inhibiteur.
Par ailleurs, un article récent a mis en évidence un rôle clé de BRD4 dans la régulation globale de l’élongation transcriptionnelle. En utilisant une molécule capable de dégrader les protéines à domaine BET, les auteurs montrent que la dégradation de BRD4 induit une réduction de la phosphorylation de la Ser2 du CTD de l’ARN Pol II tout le long des gènes, sans affecter la localisation à l’échelle du génome de CDK9. Suite à la perte de BRD4, ils observent un défaut de localisation de sous-unités des complexes Médiateur, NELF et DSIF, suggérant un défaut d’assemblage d’un complexe d’élongation productif131.
Figure 1.9: Les complexes contenant P-TEFb.106,109
Dans la cellule, P-TEFb est majoritairement présent sous forme inactive au sein du complexe ribonucléique 7SK snRNP composé du snARN 7SK, de deux dimères de P- TEFb (CDK9/Cycline T) et d’autres protéines incluant HEXIM1/2 (hexamethylene bisacetamide inducible protein) MePCE (methyl phosphate capping enzyme) et LARP7 (La-related protein 7). Il peut également faire partie de complexes catalytiquement actifs, en association avec la protéine BRD4 ou le complexe de super élongation (SEC).
Régulation de l’élongation productive
L’élongation suivant la relâche de l’ARN Pol II est beaucoup plus complexe que ce qui avait été initialement proposé. En effet, les taux d’élongation varient entre les gènes et à l’intérieur même d’un gène. De plus, cette étape de l’élongation joue un rôle dans des processus co-transcriptionnels comme l’épissage et dans le maintien de la stabilité du génome105.
Une fois que P-TEFb a enclenché la relâche au niveau du site de pause proche du promoteur, les propriétés de l’ARN Pol II sont dictées par différents facteurs capables de réguler son activité. Avant la transition vers l’élongation productive, NELF et DSIF sont les facteurs d’élongation principaux. Après phosphorylation par P-TEFb, NELF est dissocié de l’ARN Pol II alors que DSIF devient un facteur positif d’élongation et reste associé à l’enzyme132 (Figure 1.8). D’autres facteurs sont impliqués dans l’étape d’élongation
productive et permettent à l’ARN Pol II de passer au travers de blocages et de lésions pouvant se présenter au cours de la synthèse du transcrit. Trois types d’empêchements peuvent avoir lieu : pause, arrêt et terminaison de la transcription133. Des facteurs d’élongation sont particulièrement requis pour surmonter l’arrêt puisqu’il demande un
clivage endonucléolytique du transcrit pour permettre le réalignement du site actif de l’ARN Pol II et de l’extrémité 3’ du transcrit. L’identité et la fonction de tous les facteurs requis à cette étape de l’élongation ne sont pas connus, mais un certain nombre de candidats ont été décrits134,135.
Le facteur d’élongation TFIIS, le premier facteur d’élongation de l’ARN Pol II à avoir été purifié136, amplifie l’activité de clivage au niveau de la polymérase arrêtée et promeut ainsi
le passage de l’ARN Pol II au niveau de sites d’arrêts137,138.TFIIS est requis pour
augmenter la processivité de l’ARN Pol II et pour assurer une fidélité transcriptionnelle au cours de l’élongation139. Le complexe élonguine quant à lui joue un rôle dans la
suppression de la pause transitoire de l’ARN Pol II. Il a été proposé qu’il pourrait réduire la pause de l’ARN Pol II en interagissant directement avec l’enzyme et en augmentant le temps relatif que la polymérase passe dans une conformation active plutôt qu’inactive140,141. Par ailleurs, la protéine CBS (cockayne syndrome B) a également été
impliquée dans la stimulation du taux d’élongation de l’ARN Pol II142. Ce facteur est un régulateur du processus de réparation couplée à la transcription (TCR, pour transcription coupled repair) qui est initié lorsque la progression de l’ARN Pol II est bloquée par un dommage à l’ADN. Ainsi, CBS s’associe de façon transitoire à l’ARN Pol II en cours d’élongation et lors d’un dommage à l’ADN induisant un arrêt de la transcription, cette interaction est stabilisée afin de permettre à CSB de réparer le dommage143. Enfin,
l’élongation est également régulée par des complexes multi-protéiques d’élongation regroupés sous le nom générique de complexe de super élongation (SEC). Ils contiennent le facteur d’élongation P-TEFb, mais leur composition est variable. Les composants du SEC incluent les protéines AFF1 et AFF4 de la famille AFF (AF4/FMR2), les protéines ELL1, ELL2 et ELL3 de la famille ELL (eleven nineteen lysine rich leukemia), la protéine ENL (eleven-nineteen leukemia), et le facteur AF9 (ALL1-fused gene from chromosome 9). La terminologie SEC est utilisée pour désigner un groupe de facteurs impliqués dans l’élongation productive plutôt d’un complexe défini biologiquement. Les constituants du SEC stimulent l’élongation de la transcription en supprimant la pause transitoire de l’ARN Pol II au niveau de différents sites le long de la matrice d’ADN134,144,145.