CHAPITRE 1 : Introduction 1
1.3 Organisation tridimensionnelle de la chromatine 48
1.3.1 Niveaux supérieurs de l’organisation chromatinienne 48
1.3.1.1 La chromatine interphasique est organisée de façon hiérarchique 48
L’organisation des génomes eucaryotes change au cours du cycle cellulaire. En effet, les chromosomes passent d’une forme mitotique caractéristique à un profil élaboré de plis et de boucles lorsqu’ils se décondensent au cours de la phase G1332–334. Les chromosomes se replient alors en domaines, en compartiments et enfin en territoires chromosomiques (Figure 1.17). Ainsi, l’organisation hiérarchique du génome en interphase permet de réguler des fonctions nucléaires primordiales. Cela permet par exemple de préserver l’intégrité du génome en réprimant la recombinaison inappropriée entre des séquences
répétées335,336. De plus, les unités de repliement définissent des domaines de réplication
au cours de la phase S du cycle cellulaire337. Enfin, sachant que les éléments régulateurs
des gènes et leurs cibles peuvent être séparés par de grandes distances génomiques qui doivent être rapprochées tout en maintenant la spécificité de la régulation, le repliement spatial du génome en domaines facilite la régulation transcriptionnelle. Nous nous concentrerons dans cette partie sur le rôle de l’organisation du génome dans ce dernier contexte.
Figure 1.17: La chromatine interphasique est organisée de façon hiérarchique.327 Dans le noyau en interphase, des boucles chromatiniennes permettent de rapprocher des régions régulatrices comme des enhancers de leurs gènes cibles. Par la suite, des boucles de différents types se replient sur elles-mêmes pour former des domaines topologiquement associés (TADs) qui constituent l’unité de base de l’organisation de la chromatine. Le repliement de TADs ayant une combinaison similaire de marques chromatiniennes forme deux compartiments distincts, qui s’organisent ultimement en territoires chromosomiques.
Le premier niveau de repliement supérieur du génome est caractérisé par la formation de boucles chromatiniennes de divers types. Certaines, au sein même d’un gène, permettent de rapprocher un site de terminaison de la transcription de son propre promoteur338.
Principalement identifiées chez la levure, il est proposé que ces boucles mènent à un renforcement de la direction de la synthèse de l’ARN à partir du promoteur339. D’autres
boucles chromatiniennes permettent de rapprocher les éléments régulateurs distaux de la transcription de leurs gènes cibles. Les plus étudiées sont les interactions enhancer- promoteur. Un autre exemple bien connu de ce type d’interactions est le LCR (locus control region) de la β-globine qui interagit fortement avec ses gènes cibles, par l’intermédiaire de contacts chromatiniens, dans les cellules érythroïdes où la β-globine est active, alors qu’il ne montre que peu ou pas d’interaction dans d’autres types cellulaires comme des cellules souches ou neuronales340. Il a été proposé que ces interactions
forment un foyer chromatinien actif où de fortes concentrations locales en facteurs de transcription et en ARN Pol II mènent à la transcription328. D’autres types de contacts
chromatiniens sur de longues distances comme des associations spatiales entre des gènes ont également été identifiées. C’est le cas, par exemple, de gènes co-régulés et activement transcrits chez la souris341 ou de gènes réprimés par les protéines Polycomb
chez la drosophile342 ou dans les cellules de mammifères343–345.
À l’échelle suivante, l’unité de base du repliement des chromosomes en interphase consiste en des domaines de l’ordre de la mégabase, appelés domaines topologiquement associés (TADs, pour topologicaly associated domains) (Figure 1.17). Ces domaines sont définis comme des régions du génome qui interagissent préférentiellement entre elles (deux à trois fois plus) plutôt qu’avec des régions situées en dehors du TAD346,347. Les frontières des TADs sont enrichies en protéines isolatrices comme CTCF (détectée sur environ 76% des frontières), en MPTs actives comme H3K4me3 et H3K36me3, en transcrits naissants, en gènes de ménage (présents dans environ 34% des frontières), et en éléments répétés346. Il est intéressant de noter que les TADs de mammifères ont
souvent des configurations imbriquées346 où des TADs plus larges incluent des TADs plus
petits. Cette organisation hiérarchique rend l’identification des TADs hautement dépendante de la résolution des données de conformation utilisées et de l’échelle à laquelle elles sont analysées348. À la plus forte résolution atteinte à ce jour, les cartes topologiques montrent que les plus petits TADs de mammifères, également nommés domaines de contact à cette échelle, ont une taille allant de 40kb à 3Mb, avec une taille médiane de 185kb349.
Les domaines topologiquement associés possédant une combinaison similaire de marques chromatiniennes ont tendance à s’associer ensemble afin de former deux compartiments génomiques distincts. Le compartiment A contient la plupart des régions transcriptionnellement actives, alors que le compartiment B contient principalement des régions transcriptionnellement inactives et pauvres en gènes350. Ces compartiments
peuvent être sous-divisés en six sous-compartiments (2 pour le compartiment A et 4 pour le compartiment B)349. Il est important de noter que bien que les TADs soient
principalement considérés comme étant conservés entre différents types cellulaires, les compartiments ne le sont pas et les TADs peuvent passer d’un compartiment à un autre de manière tissu-spécifique350,351. La régulation de la mise en place de cette
compartimentation n’est pas encore bien comprise. Cependant, la transcription ainsi que la composition de la chromatine pourraient jouer un rôle important. En effet, il a été montré que le recrutement artificiel de la methyltransférase SUV39H1 catalysant la triméthylation de la lysine 9 de l’histone H3 (H3K9me3) peut induire l’interaction ectopique d’un TAD du compartiment A avec un TAD du compartiment B352. Il est intéressant de noter que la susceptibilité au repositionnement nucléaire varie entre les loci352, ce qui suggère
l’implication d’autres déterminants qui n’ont pas encore été caractérisés. Il a également été décrit que des loci spécifiques ont tendance à s’associer en trans au sein des compartiments. C’est le cas par exemple des clusters de sites liés par Nanog, Oct4 et Sox2353 ou des loci liés par Polycomb dans les cellules souches embryonnaires de souris343.
Au niveau d’organisation suivant, les compartiments d’un chromosome interagissent principalement avec d’autres compartiments du même chromosome, ce qui entraîne la formation de territoires chromosomiques (TCs) où chaque chromosome occupe un volume délimité dans le noyau (Figure 1.17). Par ailleurs, des interactions entre compartiments portés par différents chromosomes existent également et ont essentiellement lieu au niveau des frontières des TCs331. L’observation de ces derniers, provenant initialement
d’études par hybridation in situ avec des sondes de peinture chromosomique354,355, a plus tard été validée par des données de conformation des chromosomes à l’échelle du génome qui ont montré que les interactions entre des loci du même chromosome sont beaucoup plus fréquentes que les contacts en trans entre différents chromosomes350.