CHAPITRE 1 : Introduction 1
1.2 La chromatine 27
1.2.1 Organisation de la chromatine 27
1.2.1.1 Différents niveaux de compaction de la chromatine
Si l’ADN des 46 chromosomes humains était mis bout à bout, il mesurerait environ 2 mètres de long et aurait un diamètre de 2nm. Sachant que la taille moyenne du noyau d’une cellule humaine est d’environ 10µm, l’ADN doit être hautement compacté pour rentrer dans le noyau167.
L’ADN des cellules eucaryotes n’est pas nu. En effet, le matériel génétique est organisé sous forme de chromatine, une structure constituée d’ADN et de protéines. Le premier niveau de compaction de l’ADN est le nucléosome : de courts segments d’ADN enroulés environ 1.65 fois autour de huit protéines histone à intervalles réguliers le long du chromosome168. Les nucléosomes régulièrement répétés, reliés entre eux par un ADN dit
de liaison (linker DNA), forment ainsi un nucléofilament de 11nm, aussi appelé structure en "collier de perles"169. Un modèle de longue date propose que le deuxième niveau de
compaction de la chromatine soit permis grâce à l’inclusion de l’histone de liaison H1 au sein du nucléofilament pour former une fibre de 30nm170,171. Par la suite, la fibre de 30nm
s’organiserait en boucles d’environ 300nm de long, qui seraient elles-mêmes compactées pour atteindre un degré de compaction maximal dans le chromosome métaphasique (14000nm)172 (Figure 1.11). Toutefois, les mécanismes de compaction des nucléosomes
au sein de la fibre chromatinienne sont encore mal compris et l’existence même de la fibre de 30nm est encore débattue173.
Figure 1.11: Les différents niveaux de compaction de la chromatine. (adapté de172)
La double hélice d’ADN (2nm) s’enroule autour des nucléosomes et forme une fibre de 11nm de diamètre qui se replie en une structure plus condensée après inclusion de l’histone H1 (fibre de 30nm). Le degré ultime de la condensation de la chromatine est le chromosome mitotique (1400 nm).
1.2.1.2 L’unité structurale de la chromatine : le nucléosome
L’unité fondamentale de la chromatine, le nucléosome, est répétée toutes les 160 à 240 paires de bases (pb) au sein du génome174. Chaque nucléosome est composé d’une
région cœur consistant en un octamère de protéines histone autour duquel s’enroule 146 pb d’ADN. Les régions cœur des nucléosomes sont reliées entre elles par de l’ADN de liaison, qui s’associe souvent avec une protéine histone de liaison (H1 et H5). La région cœur du nucléosome, associée à l’histone de liaison, constitue le chromatosome. Ce dernier, en combinaison avec l’ADN de liaison, constitue un nucléosome167,175 (Figure 1.12.A). Malgré ces définitions techniques, la région cœur est communément appelée nucléosome et c’est ainsi que nous allons la désigner par la suite.
Figure 1.12: Le nucléosome. (figure B. adaptée de176)
Le nucléosome est composé d’un octamère d’histones autour duquel s’enroule 146 pb d’ADN. A. Définition des différents éléments constituant un nucléosome. Fait à noter, les extrémités des histones sont projetées hors des nucléosomes et sont le lieu de modifications post-traductionnelles (représentées par une étoile ou un cercle de couleur).
B. Éléments structuraux formant un nucléosome. Deux hétérodimères H3-H4 s’associent
pour former un tétramère. Puis, deux hétérodimères H2A-H2B interagissent avec H4 pour former, en association avec l’ADN, un nucléosome.
Les histones composant le nucléosome sont les histones canoniques H2A, H2B, H3 et H4, présentes chacune en double exemplaires168. Les histones sont une famille de petites
protéines basiques très conservées au cours de l’évolution et dont la structure peut être divisées en plusieurs domaines177. Le domaine central globulaire très structuré, consistant
en 3 hélices alpha séparées par deux boucles, facilite l’hétérodimérisation de H2A avec H2B et de H3 avec H4. Ces interactions résultent en l’unité structurale dimérique à la base du nucléosome178(Figure 1.12.B). Les deux autres domaines des histones, non structurés
et variables dans leur composition, correspondent à leurs extrémités carboxy et amino terminales (C-terminales et N-terminales). Par ailleurs, chaque histone possède un domaine N-terminal, constitué de 20 à 35 résidus, riche en acide-aminés basiques et qui s’étend au-delà de la surface du nucléosome. L’histone H2A est le seul à contenir un domaine carboxy-terminal d’environ 37 acides aminés qui est également projeté hors du nucléosome179. Ces "queues" terminales des histones sont le lieu privilégié de
modifications post-traductionnelles (Figure 1.12.A) dont l’importance et la complexité seront développées par la suite. Bien que la structure des nucléosomes ait l’air rigide d’un point de cytologique, ces sous-unités répétées de la chromatine sont très dynamiques180.
1.2.1.3 Organisation fonctionnelle de la chromatine
La recherche d’un lien fonctionnel entre la structure et la fonction de l’organisation du génome a été au centre d’un grand nombre d’études. Le premier indice de l’existence d’une organisation fonctionnelle remonte à la fin des années 1920 lorsque Emil Heitz a observé deux types de chromatine en marquant le noyau de bryophytes. Il décrit alors l’hétérochromatine qui persiste après la mitose et l’euchromatine qui se décondense et n’est plus visible au cours de l’interphase181. À cette époque, même s’il était clair que la chromatine contenait les gènes, sa nature moléculaire n’était pas encore connue. Heitz conçoit alors que les différents états de la chromatine pourraient représenter des domaines nucléaires fonctionnels, avec l’euchromatine composée des gènes ("genicly active") et l’hétérochromatine ne contenant pas de gènes ("genicly passive")182. Dans les
années 1960, l’euchromatine et l’hétérochromatine décrites par imagerie ont été biochimiquement purifiées à partir de lymphocytes de mammifères. La quantification de l’activité transcriptionnelle présente dans chacune de ces fractions a ainsi apporté une preuve moléculaire à l’hypothèse de Heitz : alors que la majorité de l’ADN (80%) est contenue dans la fraction hétérochromatinienne, la majeure partie de l’activité de synthèse d’ARN est présente dans le 20% restant, constituant la fraction euchromatinienne 183. Ces dernières années, l’avancée des techniques basées sur le séquençage à haut débit a permis d’affiner ces définitions et de révéler que ces deux territoires fonctionnels chromatiniens corrèlent avec des nucléosomes portants différentes modifications spécifiques. Ces dernières influencent la compaction de la chromatine ainsi que les interactions que les histones peuvent mettre en place avec des protéines nucléaires, ce qui influence l’organisation nucléaire à plus grande échelle184,185.
De manière générale, l’euchromatine est décrite comme étant riche en gènes, en partie décondensée et transcriptionnellement compétente. L’hétérochromatine quant à elle est traditionnellement décrite comme étant pauvre en gènes, fortement condensée et transcriptionnellement inactive186. Cependant, les domaines hétérochromatiques du génome ne sont pas si « fermés » et inaccessibles à la machinerie transcriptionnelle que premièrement décrits. En effet, il a notamment été montré que l’hétérochromatine n’était que 1,4 fois plus condensée que l’euchromatine187 et que ces régions du génome étaient
également transcrites188–190. L’hétérochromatine est généralement définie en deux
catégories. L’hétérochromatine dite constitutive, dont les plus grandes régions sont situées à proximité des centromères et des télomères, est principalement formée de séquences répétées, mais contient également quelques centaines de gènes191. L’hétérochromatine dite facultative est constituée de régions codantes pouvant adopter les caractéristiques structurales et fonctionnelles de l’hétérochromatine en fonction du contexte cellulaire192. Un exemple phare de ce type d’hétérochromatisation est l’inactivation du chromosome X chez les femelles des mammifères (voir section 1.3.3.1).