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Marie Larochelle & Jacques Désautels

Q UELQUES ELEMENTS DU CONTEXTE DE LA RECHERCHE

La recherche que nous avons effectuée avait pour objectif de documenter les représentations de personnes issues de communautés de pratiques autres que la communauté enseignante et estudiantine mais néanmoins susceptibles de participer dans le cadre de leurs interventions professionnelles à la promotion d'une certaine représentation des sciences. Cette recherche a été réalisée auprès de deux groupes d'acteurs qui, pour des raisons diverses, ont en commun une certaine légitimité institutionnelle pour « parler des sciences », soit à titre de praticiens et praticiennes dans le domaine, soit à titre de conseillers et conseillères pour qui veut justement faire carrière dans le domaine. 107 scientifiques et technologues œuvrant dans un centre de recherche industriel ou universitaire et 182 conseillers et conseillères d'orientation œuvrant en

1 Cette recherche a été rendue possible grâce à une subvention du Conseil de Recherches en Sciences

Humaines du Canada ; elle a été réalisée en collaboration avec Claire Turcotte et Yvon Pépin de l'Université Laval. Pour d'autres publications sur le sujet, voir Larochelle & Désautels (1999), Larochelle, Désautels & Turcotte (avec la coll. de Pépin) (1997).

2 Selon Bimber et Guston (1995), cet état de grâce accordé aux sciences, notamment par le discours

politique aux États-Unis, se décline selon quatre types d'exceptionnalismes, soit l'exceptionnalisme platonicien, l'exceptionnalisme sociologique, l'exceptionnalisme économique et l'exceptionnalisme épistémologique, ce dernier reposant « on the claim that science is a search for truth. This truth is believed to be public, testable, and universal rather than merely particular and parochial in nature »

milieu scolaire (au secondaire) ont ainsi participé à l'enquête3 dont le

principal instrument de cueillette a consisté en la passation d'un questionnaire élaboré à partir de la banque d'items « Views on Science, Technology and Society » (VOSTS), et validé suivant certaines des étapes de la fabrication même de cette banque (Aikenhead, Fleming & Ryan, 1987 ; Aikenhead & Ryan, 1989). Les 16 items composant ce questionnaire mettent en scène un ensemble d'idées et de croyances typiques de l'idéologie conventionnelle des sciences, tant en milieu scolaire (Driver, Leach, Millar & Scott ; 1996 ; Larochelle, Désautels & Ruel, 1995) que dans les milieux voués à la popularisation des sciences et des techniques (Collins, 1987 ; Layton, Jenkins, Macgill & Davey, 1993 ; Lévy-Leblond, 1984 ; Roqueplo, 1974), qu'il s'agisse de la nature des sciences, du gabarit intellectuel et civique de leurs praticiens et praticiennes ou encore de la socialité de la pratique scientifique.

Compte tenu à la fois de notre option constructiviste4 et de la taille de

notre échantillon, nous avons opté pour la technique du questionnaire auto administré qui, entre autres choses, permet à la personne répondante d'examiner l'ensemble du questionnaire avant de commencer à répondre, de revenir sur une question ou encore de laisser certaines plus délicates en suspens (Ghiglione & Matalon, 1978). Certes, ce choix méthodologique n'est pas recevable pour celui ou celle qui souscrit à la thèse du « vide expérimental »5 et qui envisage le sujet répondant comme un sujet

quelconque dont les manifestations sont d'autant plus valides qu'elles sont en quelque sorte décontextualisées et obtenues dans des situations contrôlées que l'on peut métaphoriquement rapprocher des situations in vitro6. Toutefois, dans l'optique même des auteurs de VOSTS qui

voulaient inciter la personne répondante à réfléchir plutôt qu'à s'en tenir à la technique de « l'effeuillage des marguerites » (j'aime un peu, beaucoup, passionnément, etc.) si courante dans les tests d'attitudes, il s'agit là d'un choix admissible (Aikenhead et al., 1987). Il l'est également du point de vue du socioconstructivisme qui conçoit le sujet comme un sujet situé - c'est-à-dire un sujet dont les savoirs qu'il peut manifester dans une situation donnée ne sont pas étrangers à son histoire cognitive ni à la compréhension qu'il a des conditions de la situation immédiate et des rapports sociaux en jeu. Dans cette optique, le contrôle réflexif qu'un

3 Voir à l'annexe 1 le profil des groupes de l'enquête..

4 Pour un aperçu de notre option, voir Larochelle (1999), Larochelle et Bednarz (1998), Désautels,

Garrison et Fleury (1998), Désautels et Roth (1999).

5 Cette expression est d'Abric (1989).

6 Associer validité et situation contrôlée peut, du point de vue logique, être illusoire si, par là, on

prétend à faire équivaloir la connaissance ainsi obtenue à l'objet étudié en soi. Par définition, les études effectuées, par exemple, in vitro ne sont porteuses d'informations que sur un objet in vitro!

sujet exerce sur ses productions (telle la recherche de cohérence) n'est pas une tare à éviter, mais plutôt la manifestation de ses compétences de rationalisation7 ( Giddens, 1987). Et ce contrôle, loin de desservir l'objet d'étude, peut au contraire contribuer à sa validité, en ce que l'on peut aussi penser qu'en l'exerçant, la personne cherche à systématiser ce qu'elle sait, ce qu'elle pense d'un objet donné (conduite, par ailleurs, fort fréquente dans les contextes d'interlocution de « face à face », telle l'entrevue) et, bien sûr, ce qu'elle croit pouvoir être dit dans la situation en cause.

Les données ainsi recueillies ont fait l'objet d'un premier traitement via le progiciel SAS et divers croisements entre les caractéristiques des populations (âge, années d'expérience, etc.) ont été effectués en vue de repérer, statistiquement parlant, des indices pouvant être associés à une certaine cohésion professionnelle. Toutefois, il va sans dire qu'un lien statistique n'est pas un lien sémantique (Doise, Clemence & Lorenzi- Ciolfi, 1992), et que les corrélations qu'un tel lien suppose ne sont pas dénuées de chausse-trappes. Or, comme ce qui nous intéresse ici relève davantage de l'ordre sémantique, nous avons tenté de suppléer à « ce vide sémantique » en invitant les personnes répondantes à commenter à quelques reprises leurs choix. Nous avons également au préalable conduit treize entrevues individuelles avec des représentants et représentantes de chaque population, histoire aussi d'apprécier si le questionnaire présentait une quelconque pertinence.

Cet ensemble d'opérations nous a permis de construire certains indices quant au type de représentation à tout le moins « dicible » des personnes répondantes. Pour les fins de ce texte, nous présentons quelques-uns des indices relatifs à des actants8 typiques de l'idéologie conventionnelle des

sciences, suivant une technique de présentation qui tient du « cas [ou de l'indice] suggestif » (Tremblay, 1968). Nous nous concentrerons ainsi sur les indices exemplaires de la tendance dominante des points de vue recueillis9, étant entendu que des tendances minoritaires, voire opposées,

7 Diverses conduites peuvent résulter de cette rationalisation, notamment des conduites dites de

désirabilité sociale par lesquelles le sujet « se présente » en présentant aussi son point de vue (Goffman, 1973). Eu égard au prestige qui auréole les sciences et les techniques dans nos sociétés, il est possible que l'objet de notre enquête suscite davantage de telles conduites que s'il s'agissait d'un objet moins « chaud », moins marqué idéologiquement.

8 Selon Callon (1995), un actant (notion empruntée à la sémiotique) « refers to any entity endowed

with the ability to act. This attribution may be produced by a statement [ . . .], by a technical artifact [. . .], or by a human being who creates statements and construct artifacts » (pp. 53-4).

9 Parler comme nous le faisons ici des points de vue des conseillers et conseillères d'orientation ou des

points de vue des scientifiques est un raccourci linguistique utile mais aussi pervers: il peut porter à croire que ces points de vue appartiennent bel et bien aux personnes sollicitées ou encore les typifient sans équivoque. Il serait plus approprié de parler de ces points de vue en termes de points

ont également été observées à la fois entre les populations de l'étude mais aussi, de manière récurrente, au sein d'une même population10.

Les items de la banque VOSTS ayant permis la construction des indices que l'on peut associer à la problématique de l'exceptionnalisme épistémologique, proviennent de la catégorie Définitions (item 10111), de la catégorie Sociologie des sciences : point de vue interne (sous-catégorie relative à la construction sociale des savoirs scientifiques, items 70231, 70311 et 70711) et de la catégorie Épistémologie (sous-catégorie relative à la nature du savoir scientifique, items 90111, 90611 et 91011). On trouvera à l'annexe 2 le détail des catégories, sous-catégories et schèmes conceptuels du questionnaire VOSTS. Les schèmes auxquels nous faisons référence dans ce texte sont affectés d'un astérisque. Notons que ces schèmes peuvent recouvrir plus d'une question, tel le schème relatif aux décisions scientifiques (sous-catégorie relative à la construction sociale des savoirs scientifiques).

DE QUELQUES ACTANTS DE L'IDEOLOGIE CONVENTIONNELLE DES