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À bien des égards, ce « causalisme personnologique », qui situe dans l'individu des caractéristiques,

Marie Larochelle & Jacques Désautels

D E QUELQUES ACTANTS DE L ' IDEOLOGIE CONVENTIONNELLE DES SCIENCES

12 À bien des égards, ce « causalisme personnologique », qui situe dans l'individu des caractéristiques,

des prédispositions ou des attitudes profondes qui détermineraient ses possibilités, ses choix et ses conduites, est de même mouture épistémologique que le « causalisme naturaliste » qui loge les concepts, lois et théories scientifiques dans la nature.

Par ailleurs, on note également un retour de l'observateur lorsqu'il est question de l'adoption d'une nouvelle théorie (item 70231). En effet, 66% des sujets reconnaissent qu'une théorie ne s'impose pas d'elle-même et que son adoption requiert un processus de persuasion. Toutefois, pour un certain nombre d'entre eux, c'est cette fois le loup objectiviste qui reprend ses droits, car cette persuasion

sujets seraient ainsi perméables à la culture, d'autres pas. Près de 39 % des sujets (35,1 % des conseillers et conseillères d'orientation et 44 % des scientifiques et des technologues) ont ainsi choisi l'énoncé qui stipule que la formation des scientifiques n'est pas nécessairement constitutive de leurs façons de problématiser, ces dernières étant davantage une question d'individu. Quelques sujets ont commenté ce choix et, de manière générale, ces commentaires mettent l'accent, à des degrés divers, sur l'« exceptionnalisme » dont jouiraient les sciences et les scientifiques. Ainsi, selon un scientifique, les sciences constitueraient un cas de figure en ce sens, alors que, pour l'un de ses collègues, ce sont les scientifiques qui paraissent constituer un tel cas :

« Cela dépend aussi des domaines. La physique et la chimie sont les mêmes partout. Les sciences sociales et humaines sont certainement plus influencées par la culture » (un scientifique).

« Rarement la culture affecte, quoique ça arrive des fois. Affecter un scientifique se fait de façon individuelle, mais tous ont le point commun d'être rationnel et d'utiliser la logique et les maths » (un scientifique).

C'est une croyance similaire en l'universalisme des sciences qui sous-tend également le commentaire d'un conseiller d'orientation. Cependant, cet universalisme semble un peu moins absolu en ce que les sciences pourraient être « sous influence », mais une influence plutôt légère, c'est- à-dire qui « teinterait » les productions scientifiques : « La “science” est un peu universelle. Cependant la culture peut influencer les approches, les méthodes et “teinter” les conclusions… ».

Par ailleurs, près de 27 % de l'ensemble des sujets ont retenu des énoncés qui radicalisent soit l'individualisme précité soit l'exceptionnalisme des sciences : 11,5 % des conseillers et conseillères d'orientation et 8,5 % des scientifiques ont retenu l'énoncé qui fait de la pratique des sciences une entreprise carrément individuelle, alors que 16 % des sujets, toutes professions confondues, ont retenu l'énoncé qui fait de « la » méthode scientifique le garant de l'immunité culturelle des sciences.

des conseillers et conseillères et 19,6 % des scientifiques) ; pour d'autres, l'entreprise de persuasion relèverait plutôt d'une certaine convivialité : 40,6 % des conseillers et conseillères et 52,3 % des scientifiques envisagent ainsi ce processus comme l'établissement d'un consensus qui permettra de réviser la théorie ou encore de la rendre plus précise, ce qui constitue un point de vue quelque peu étonnant si l'on pense à la virulence des réactions de scientifiques dûment patentés à l'égard, par exemple, de la thèse de Benveniste sur la mémoire de l'eau... Voir notamment le dossier consacré à cette controverse par le journal Le Monde (Fottorino, 1997) ; voir aussi les diverses réactions à ce dossier dans la section « Horizons-Débats » du même journal, le samedi 8 février 1997. Voir aussi Pracontal (1990), Schiff (1994).

Cette convergence sur quelques-unes des conditions d'exercice des sciences n'épuise certes pas les données recueillies. Ainsi, on remarque, notamment lorsqu'il est question d'aspects plus près de la vie des sciences au quotidien, que les deux populations tout en souscrivant à une représentation commune ont tendance à proposer une évaluation différente des caractéristiques de cette représentation. Par exemple, même si les deux populations s'entendent quant à l'importance des publications scientifiques (item 70311), les conseillers et conseillères d'orientation ont plus souvent tendance à y voir une manière de contribuer à l'avancement des sciences, alors que les scientifiques et technologues soutiennent plutôt qu'il s'agit d'un avancement qui profite d'abord à la carrière et aux intérêts individuels. Toutefois, et c'est là nous semble-t-il une donnée qui nuance indéniablement la relation « appartenance professionnelle et représ- entation différenciée », on observe aussi des variations dans la prise de position des sujets d'une même population, voire, dans certains cas, une opposition. Citons, à titre d'exemple, la question relative à l'ancrage de l'observation scientifique : malgré la prépondérance d'une conception a- théorique du processus d'observation dans les deux populations, un cinquième environ de l'ensemble des sujets soutient néanmoins un point de vue tout à fait contraire (18 % des conseillers et conseillères d'orientation et 27 % des scientifiques et des technologues).

En l'occurrence, à bien des égards, cette étude invite à réexaminer ce que l'on pourrait appeler non sans ironie le causalisme professionnel, l'un des présupposés méthodologiques de la présente étude. Car si l'on fait exception de quelques dimensions de la production des savoirs scientifiques pour lesquelles on peut noter des différences entre les choix des deux groupes professionnels, la tendance dominante de leurs choix respectifs va plutôt dans le sens du partage d'un point de vue relativement commun sur les sciences13. Qui plus est, les deux groupes recouvrent

aussi des tendances dissidentes similaires et dans des proportions souvent voisines. En somme, du point de vue méthodologique, on peut distinguer