L'analyse des pratiques et ses conséquences sur l'évolution des contenus : le cas du tertiaire administratif

Les travaux continus d’O. Laroutzos (1995, 1996, 1997a, 1997b) nous renseignent sur la nature des changements de ce secteur professionnel. En raison de l’informatisation croissante des entreprises, on prédisait la fin des secrétaires. Il n’en est rien, les métiers du secrétariat progressent vers des activités plus pointues et une solide formation est requise pour accéder à l’emploi. Le profil des comptables change également puisque les recruteurs recherchent des professionnels ayant une double compétence visant la maîtrise de l’informatique appliquée à la comptabilité et sachant communiquer à l’interne comme à l’externe. Telles sont les conclusions d’une étude commandée par l’éducation

nationale au Céreq. Cette étude a servi de support de rénovation pour la filière concernée.

3.3.1. Une analyse susceptible de faciliter la relation entre le monde du travail et le système éducatif au cours de l'élaboration des diplômes La modification d’un diplôme revient à parler en termes de « jeu des acteurs ». Logiques, stratégies et rôles distribués en CPC (commission professionnelle consultative) relèvent plus d’une division sociale du travail que d’une division technique du travail (les CPC sont distribuées à partir des secteurs d’activités déclinés suivant les fédérations patronales représentatives). Les employés concernés par la filière bureautique sont éclatés à la fois dans les branches du « secteur tertiaire » et du « secteur industriel ». Leur représentativité paritaire dans la seizième CPC, aussi bien pour les entreprises que pour les organisations professionnelles, est malaisée. Dans ce contexte, l’étude du Céreq s’est positionnée comme une solution originale. La démarche a consisté à dire le travail pour ensuite en déduire une modélisation des apprentissages. Le descriptif d’emploi (différent des référentiels traditionnels) a restitué une logique d’action et une cohérence du métier. De ce fait, l’émergence dans le métier de secrétaire d’une finalité globale a modifié les représentations décousues et éclatées que l’on avait sur ses activités.

3.3.2. Un autre mode de présentation des métiers

L’analyse des situations de travail s’est appuyée sur la méthode ETED (emploi-type étudié dans sa dynamique). Ainsi un descriptif est structuré par :

- Un résumé où l’on précise la finalité globale et le rôle socio-productif (champ d’intervention et position par rapport à d’autres métiers). - La plage du métier distingue trois dimensions du travail qui ne sont

d’ailleurs pas dissociables dans l’action :

• la technicité (domaine, outils et leurs techniques, règles et procédures),

• l’environnement professionnel (champ de collaboration, démarches

relationnelles),

• l’organisation-gestion (auto organisation et planification).

- Les chaînages individuels d’activités caractérisent la logique du travail (chemins amont/aval pour parvenir aux résultats et activités transversales).

- Les savoirs en action rassemblent :

• les savoir-faire (plutôt acquis par la pratique) qui sont redistribués

suivant les trois dimensions technicité, environnement professionnel et organisation-gestion ;

• les savoirs et techniques de base (plutôt acquis scolairement) qui sont décrits dans des connaissances, des maîtrises d’outils et des méthodes pour lesquelles le contexte de leur mobilisation est précisé.

- La variabilité rend compte de la diversité des situations et de l’éventail des possibles.

- Les tendances d’évolution signalent les mouvements en cours et leurs conséquences sur les compétences.

L’enquête conduite sur cinquante entreprises met en évidence trois unités constitutives de ce champ professionnel (Figure 10).

Figure 10 :

Les emplois du secteur tertiaire administratif résistent aux changements structurels et aux performances croissantes de l’informatique. Durant la dernière décennie, on dénombre 450000 emplois supplémentaires (+ 13 %). Les métiers de cette filière se sont donc adaptés, mais ils sont aussi en pleine mutation. La représentation de l’employé de bureau cloisonné avec ses pairs dans un monde à part, vole en éclats. Chacun est

amené à se rapprocher du produit, à se situer sur les processus de son organisation, à envisager les répercussions de son travail sur les autres. Le travail administratif d’exécution semble disparaître, la responsabilisation se généralise.

3.3.3. Une meilleure définition de la formation : l'exemple des secrétaires

Que ce soit à la fin des années 1970 ou au début des années 1990, l’hypothèse du déterminisme technologique a toujours prévalu pour élaborer les contenus (nouvelles machines à mémoire, généralisation des ordinateurs). Cependant, les résultats de l’enquête ont largement relativisé cette hypothèse. Aujourd’hui, il s’agit de construire un système de formation qui permet de restituer la valeur de l’intervention humaine alors que l’on constate toujours une persistance d’images dépréciatives du secrétariat.

L’éducation nationale prépare davantage de jeunes à la comptabilité (60 %) qu’aux métiers de secrétariat (40 %) alors que les débouchés y sont deux fois plus importants.

Ainsi, mieux concevoir la qualification d’une secrétaire, c’est déjà se rendre compte que la lettre bien tapée et joliment mise en forme représente de moins en moins le produit du travail, car celui-ci réside davantage dans le déclenchement et l’accompagnement réussi d’échanges entre individus. En fait au cœur de l’intervention des secrétaires est le secret : la conservation et le maniement de secrets collectifs. L’arrivée de nouvelles machines n’a pas atténué cette dimension.

La maîtrise de l’informatique de bureau est banalisée (saisie et mise en forme ne constituent plus une spécificité du secrétariat). L’histoire récente montre qu’il est hasardeux de privilégier le maniement des outils au niveau du contenu du travail des secrétaires. Il s’agit de réserver une place équilibrée à la technicité sans minimiser la part relationnelle du travail qui doit devenir la première finalité de la formation des secrétaires. Le rôle traditionnel de la secrétaire enfermée dans un rapport avec son patron de « nounou, confidente et ménagère de bureau » est dénoncé. Mémoire du service, elle exerce une véritable expertise de coordination avec les cadres et les personnes extérieures à l’entreprise. Son implication dans les différents métiers de l’entreprise lui confère un rôle de relais entre les professionnels.

Malheureusement l’élévation du niveau d’intervention des secrétaires, tant technique (usages des nouvelles technologies) que relationnel (tassement hiérarchique et flexibilité augmentent leur flux d’informations), ne s’est pas encore accompagnée d’une valorisation de leurs itinéraires et d’une reconnaissance de leurs qualifications.

3.3.4. La réponse du système éducatif

C. Vuillet & J. Saraf, IGEN (1996) commentent la démarche de la CPC qui a pris appui à la fois sur l’étude du Céreq et sur les travaux de suivi de l’inspection générale. Le flou de l’appellation générique « bureautique » sera atténué par le recentrage sur les métiers de secrétariat et de comptabilité (le schéma des métiers de base du tertiaire administratif, déjà signalé dans la figure 10, est pris comme source d’explication). Cependant, vu la politique de recrutement des entreprises, les BEP de cette filière ne constituent plus qu’une passerelle pour continuer vers l’enseignement technologique. Il est toutefois remarqué que bon nombre de jeunes titulaires de BEP n’accèdent pas au-delà du niveau V, c’est pourquoi la mise en place de mentions complémentaires devrait être systématiquement prévue pour améliorer leur insertion. Des spécialisations de nature sectorielles (transport, assurances, immobilier,...) ou des spécialisations de nature technologico- fonctionnelles comme la P.A.O. seraient à étudier.

Aujourd’hui, les réussites du Bac Techno STT (Sciences et Technologies du Tertiaire), spécialité action et communication administratives (résultats en France métropole) signalent la prégnance féminine6_{. Le suivi}

des cohortes, à partir de 1999, montrera si la rénovation de 1996 des BEP et des Bacs pro a eu une incidence sur les flux du bac STT.

Année Formation Durée Garçons Filles Total

1994 Scolaire 3 ans 1648 14285 15933

1995 Scolaire 3 ans 1850 13862 15712

1996 Scolaire 3 ans 2079 15359 17438