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Le concept de J-forme tend à rendre compte des modes d’organisation du travail et de structuration

Daniel Alban & Alain Crindal

5 Le concept de J-forme tend à rendre compte des modes d’organisation du travail et de structuration

transformer non en ouvriers parcellaires, mais en pluri-opérateurs, en professionnels polyvalents, en travailleurs multifonctionnels », Coriat, B. (1991).

Figure 4 : la J-Forme

Le taylorisme, cependant, ne disparaît pas : non seulement le travail parcellisé n’est pas mort, mais dans nombreux services, il est en pleine progression. “L’apparition de

la bureautique dans les années 1960 poussa les entreprises à morceler encore davantage le travail de leurs cols blancs en petites tâches répétitives, également susceptibles d’être mécanisées ou automatisées.”

« Bien souvent, l’informatisation des services bancaires ou d’assurance, ou encore

celui du tri postal, brise en miettes et parcellise des tâches… le modèle des années 1950 continue d’exercer ses effets », Taddéi & Coriat (1993).

Il semble bien, néanmoins, que nous assistions à un basculement du modèle de travail :

« Le travail nécessitant la coopération et la coordination de plusieurs départements

au sein d’une même société est souvent source de problèmes. Nous connaissons un fabricant de biens de grande consommation chez qui le retour des invendus met en branle 13 services différents : il n’y a ni service ni individu qui soit responsable du traitement des retours… »

« ... Dans l’ère postindustrielle où nous entrons, les sociétés seront fondées et bâties

autour de l’idée d’une réintégration des tâches autour de processus opérationnels cohérents », Hammer & Champy (1993).

Le juste à temps et la méthode Kan-ban présentent une autre facette du Ohnisme. « Par rapport à la logique fordienne, le Kan-ban consiste en une inversion des règles

traditionnelles. Au lieu que la mise en fabrication se fasse “en chaîne” de l’amont vers l’aval, elle se fait de l’aval vers l’amont, en partant des commandes adressées à l’usine et des produits déjà vendus. Outre cette inversion de sens, la clé de la méthode consiste à établir parallèlement au déroulement des flux réels de la production (qui vont des postes amont vers les postes aval), un flux d’information inversé qui va de l’aval vers l’amont. Il y a ainsi des boîtes Kan-Ban vides qui circulent dans le sens aval-amont, et qui contiennent des instructions pour les commandes de pièces, et des boîtes Kan-ban chargées de pièces fabriquées qui circulent dans le sens habituel amont-aval et qui correspondent aux livraisons de pièces demandées.

Le « Just in time » correspond à la mise en place d’un système de production à flux continu permettant de produire juste ce dont on a besoin et de le faire juste à temps », Coriat, B. (1991)

Encadré 5

Il s’agit bien d’un mouvement de rationalisation du travail, une recherche de son intensification, mais, au lieu de procéder par parcellisation et micro-temps imposé comme a fait la voie américaine, la rationalisation procède ici par déspécialisation et « temps partagé ».

L’innovation est donc purement organisationnelle et conceptuelle. Le Kan-ban consiste en un ensemble de principes et de recommandations « nontayloriens » voire « antitayloriens ». La méthode se traduit par la mise en œuvre de principes de déspécialisation non seulement du travail ouvrier, mais plus globalement encore du travail « général » d’entreprise. Elle ré-agrège des tâches qui selon les recommandations tayloriennes étaient soigneusement et systématiquement séparées. Ce processus est une quadruple ré-agrégation :

- - polyvalence et pluri-spécialisation des opérateurs ;

- - réintroduction dans les missions des opérateurs de tâches concernant le diagnostic, le dépannage et la maintenance ;

- - réintroduction dans les missions des équipes du contrôle-qualité sur les postes de fabrication ;

- - réintégration des tâches de programmation au sein des tâches de fabrication.

Avec la division taylorienne du travail, c’est la division fayolienne et sloanienne du travail qui, à son tour, se trouve bousculée et repensée. Ohno se garde bien de remettre en cause le sacro-saint principe de l’autorité de direction. Cependant, productivité et qualité le rappellent, autorité et division fonctionnelle du travail ne sont pas nécessairement synonymes. La remise en cause de la division fonctionnelle du travail modifie dans son principe l’organisation même de l’entreprise. De

nombreux commentateurs convergent sur le fait qu’une architecture nouvelle de la firme “horizontale” se constitue (voir les transformations dans la figure 5).

Figure 5 : Le Ohnisme – transformations dans l’entreprise

La J-forme (encadré 6)

La J-forme est caractéristique de la mise en place de nouvelles structures d’entreprise, plus flexibles, se situant au point de rencontre de deux logiques d’organisation : la décentralisation des grands groupes industriels et la quasi-intégration de PME-PMI. Il en résulte un système dont le mode d’organisation est le « réseau ».

La firme J apparaît comme un système quasi-hiérarchique dans lequel l’ensemble du cycle productif est contrôlé par la concentration de l’information entre les mains d’un coordonnateur (broker, pivot, leader), donneur d’ordre à une constellation de dimension variable (environ 35 000 chez Toyota, 12 000 chez Nissan) de petites unités organisées en niveaux, spécialisées et contrôlées.

Masahiko Aoki utilise le terme de « Keiretsu en capital » (groupes de filiales, en opposition au « Keiretsu financier » d’avant-guerre) dont un type particulier est caractérisé par la sous-traitance et la présence constante d’un groupe stratifié et quasi-permanent de fournisseurs qui traitent pour un fabricant principal. En Europe, la firme Benetton est considérée comme un modèle d’organisation en réseau — ie de J-firme (Alban, Ducateau, 1996). Le modèle de J-firme est illustré par la figure 6 qui présente un système quasi-intégré (ou quasi-hiérarchique) formé d’unités actives spécialisées.

Dans l’industrie automobile japonaise, le modèle du « Kyoryokukaï » représente ce type particulier de configuration structurelle (voir figure 7).

Encadré 6

Figure 7 : Le modèle du Kyoryokukaï

Cependant il y répond, semble-t-il, par un paradoxe : c’est un ensemble d’unités actives fortement spécialisées accomplissant un processus productif orienté client ; cet ensemble repose néanmoins sur des principes de déspécialisation et de ré-agrégation du travail à la fois horizontaux et verticaux. En modifiant la nature des tâches, la J-Firme apparaît comme une rupture, elle recompose les métiers sollicités. La référence qu’elle constitue ne peut qu’interroger l’offre actuelle de formation.