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LE CORPS DANS LES FILMS DE SCIENCE-FICTION

2. LA PUISSANCE DU CORPS EST ILLIMITÉE…

… Et la détention de la puissance résulte de la technique. Effectivement, ces corps puissants prennent de nombreuses formes, et on a affaire :

• Soit à des corps « technicisés », pour lesquels la technique constitue une prothèse ou une doublure, obtenus par des charcutages. Par ex., Wolverine (X-Men), dont les os, doublés de métal, lui procurent non seulement une force physique exceptionnelle, mais aussi un corps

7 BLOCH M. (1921). Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre, Extrait des Écrits de guerre .

susceptible de régénération. Ou Tom Cruise qui, dans Minority report, change d’iris afin d’échapper aux contrôles biométriques, grâce à (si on peut dire) une opération chirurgicale frauduleuse ; il recherche en effet des informations « minoritaires », dont la mise à jour pourraient le conduire à enrayer le fonctionnement du système politique. Ou encore le héros de Bienvenue à Gattaca, qui rogne une partie de ses tibias afin de substituer ses caractéristiques biologiques à celles d’une autre personne et d’accéder ainsi aux privilèges de l’élite - en l’occurrence, il s’agit d’accomplir le rêve de participation à l’exploration spatiale.

• Soit à des corps produits, et plus ou moins programmés, par des humains. Robots, androïdes et répliquants (Blade runner8), clones…, dupliquent les humains, tout en acquérant de nouvelles possibilités ; ils sont particulièrement résistants aux agressions et dotés de grandes capacités d’adaptation. Mais l’enjeu majeur de ces duplications humaines relève des sentiments : dans quelle mesure ces êtres fiables mais programmés, témoignent-ils de sentiments humains, lesquels sont marqués par la fugacité et la mort ? Ainsi, Ripley est-elle fondée à qualifier Annalee-Call, une androïde au cœur tendre, de « trop humaine pour un humain » (Alien 4) ; tout comme la fidélité à toute épreuve du petit robot de IA9 est-elle « trop » généreuse au regard de l’ingratitude de sa famille humaine.

• Soit à une espèce particulière d’humains : les mutants (X-Men, et dans une certaine mesure Matrix), qui détiennent des pouvoirs exceptionnels. Le secret de la mutation, est l’enjeu majeur parce qu’elle conditionnerait l’évolution de l’humanité et l’acquisition de la puissance. On peut noter la première phrase audible de X-Men (« la mutation est la clef de notre évolution »), et l’écouter comme on entend les révélations apportées par les premières notes d’une symphonie ou les premiers mots d’une psychanalyse, c’est-à-dire comme l’annonciation de l’enjeu et de la souffrance.

À un premier niveau, les techniques employées afin d’accroître la puissance du corps sont des extrapolations de capacités qui nous sont connues. Par ex., de manière métaphorique on parle de ceux qui mettent le feu aux poudres, de ceux qui enflamment leurs proches (ou les foules) ; les mutants, eux, détiennent le pouvoir d’allumer un feu dans la main de leur voisin ou à tout autre endroit, ils peuvent aussi attirer la foudre et les ouragans grâce à leurs pouvoirs corporels. On peut parler de ceux qui s’imbibent des sentiments des autres (« il me pompe… ») : chez les mutants, il suffit à Malicia (X-Men) de toucher une personne pour lui prendre son énergie, au risque de la tuer. On peut considérer ceux dont le corps se transforme sous l’effet de la boulimie, de l’anorexie, de drogues, d’alcool, et plus généralement toutes les transformations en lien avec des conduites de

8 Ridley Scott, U.S.A., 1982. 9 Steven Spielberg, U.S.A., 2001.

dépendance : on en trouve le récit non seulement dans la presse, sportive par exemple, mais aussi dans les contes – les sœurs de Cendrillon se mutilant afin de plaire au prince, en proposent une belle illustration. Dans Matrix, le corps du héros se transforme, sous l’effet d’une machine, afin de trouver un autre monde supposé meilleur.

Ce sont aussi des techniques visant l’intercompréhension. Là encore, a priori rien de nouveau. Si les procédés de télépathie y sont nombreux, le thème télépathique est déjà ancien, et il a été investi par de nombreuses expérimentations tout au long du XXe siècle. Il connaît une nouvelle postérité avec le développement des réseaux de télécommunications, et il est devenu une composante indiscutée de tous les films récents de science-fiction. Déjà plus ancien, un des films qui en expose la nature de la manière la plus claire est E.T. Indépendamment de la mise en oeuvre d’instruments, son intérêt consiste à témoigner de l’idéal télépathe. On y voit un jeune garçon se prenant d’amitié pour un extraterrestre oublié sur Terre par les siens, empêché d’utiliser le langage humain pour se faire comprendre, mais lui témoignant son amitié en lui sauvant la vie, car après tout, cet extraterrestre n’est rien d’autre qu’un être humain différent. Cœurs mêlés, dont l’idéal télépathe est d’être dans/chez l’autre10, signifiant qu’il est possible de se comprendre sans le dire, sans avoir à

exprimer ses sentiments par la parole. Les conséquences en sont lourdes : ce faisant, on exclut le débat nécessaire à l’élaboration de règles communes, nécessaires à tout groupe humain.

On passe à un niveau de puissance supérieur avec l’usage de techniques de transformation d’autres corps à distance, c’est-à-dire dans le temps et dans l’espace. Il s’agit, par exemple, des corps programmés des robots qui accompliront leur mission quelles que soient les difficultés et leur état. Certains de ceux-ci détiennent l’intelligence si convoitée des systèmes techniques, tels les androïdes Bishop (Alien 2 et 3) et Annalee-Call, la seule qui sache accéder à l'ordinateur de bord et commander les mouvements du vaisseau spatial, permettant d’échapper aux aliens (Alien 4).

La manipulation des corps à travers l’espace est illustrée, par exemple, par l’appareil à générer la mutation chez les humains conçu par Magneto (X-Men), mais qui échoue une première fois par manque de ressource énergétique et administre la destruction, et aurait pu réussir lors de la seconde expérience, si des mutants ne s’y étaient opposés. « Cerebro » est une autre illustration des possibilités infinies de communication et/ou de manipulation des corps à distance (les deux X-Men). Cette machine très sophistiquée est une extension du corps infirme de Xavier (celui-ci étant le dirigeant des mutants favorables à une coexistence pacifique avec les humains), grâce à quoi la puissance de la télépathie est démultipliée et constitue une machine communiquant des pensées, et permettant de repérer, soutenir, et éventuellement de commander. Mais quelle est donc la faiblesse de Xavier qui le rende si vulnérable aux paroles d’une fillette – celle-ci n’étant qu’une translation

du corps infirme d’un mutant mobilisé par la haine de son père « humain » ? Toujours est-il qu’entre les mains de ce dernier, le procédé « cerebro » devient une machine à détruire les cerveaux à distance.

Dans des univers où les explosions et les destructions sont légion, la puissance revêt toujours une signification sociale (solidarité, intercompréhension, haine…) et l’on peut se livrer à de nombreuses interprétations géopolitiques des camps des « bons » et des « méchants ». Mais, ces corps « technicisés », programmés, dupliqués mettent aussi en évidence que quelle que soit la technique utilisée, la puissance du corps n’est rien indépendamment du but qui l’anime. En effet, l’évocation du but conduit à interroger la puissance : le corps tend légitimement à s’accroître, il tend à augmenter sa puissance d’agir, parce que l’appétit (la volonté de poursuivre un but) est au fondement de l’existence11. Autrement dit, la puissance consiste à accroître la capacité à connaître le

monde et à en jouir. Elle ne consiste pas à détruire. En effet, on voit dans ces films qu’Annalee Call, l’androïde, et Ripley, clone d’elle-même (Alien 4) vont sauver la Terre du danger des Alien. Les X- men, ces mutants, vont sauver les dirigeants des nations de la menace de destruction.

Dès lors, une lecture possible des luttes mises en scène est celle de l’autonomie : qu’ils soient militaires ou scientifiques (la série des Alien), aînés ou parents (X-Men) dotés d’instruments, l’essentiel n’est pas qu’ils s’adressent à des mutants, à des clones ou à des androïdes, mais qu’ils cherchent éventuellement à réduire ceux-ci à leurs désirs. On ne peut pas parler de puissance quand le but réside dans la manipulation, la soumission, la poursuite de la revanche. En somme, rien de négatif ou de destructif n’est porteur, et chaque individu ou chaque groupe dont le but serait de s’approprier des individus afin de réduire leur puissance d’agir contredirait l’autonomie de la personne et son avenir.

On voit combien les adolescents – et pas seulement ceux-ci ! – peuvent être concernés par ces thèmes, dans les périodes où ils cherchent à se différencier. Alors que leur corps se transforme, le présupposé suivant les concerne tout autant.