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LE CORPS DANS LES FILMS DE SCIENCE-FICTION

3. LE CORPS PEUT S’INVENTER

Au premier abord, clones, répliquants, androïdes et corps technicisés exposent diverses tentatives de duplication du corps humain. Et, comme on l’a vu, tandis que les humains témoignent de désirs réducteurs, les machines (androïdes et clones) sont chargées de favoriser la puissance d’agir. Mais

en déléguant leurs désirs à des machines, les humains en démontrent la fragilité, car les machines elles-mêmes manquent de stabilité.

Les transformations biologiques sont marquées du sceau de la souffrance : le clonage de Ripley (Sigourney Weaver, dans Alien 4), réalisé à partir de ses cellules sanguines, se traduit par une série de corps inaboutis mais vivants ; et la scène où Ripley découvre une salle d’esquisses de corps, lui offrant les résultats des essais de clonage et l’image de sa création, est proprement hallucinante. Que Ripley réponde à cette violence par la suppression des corps souffrants et renvoie la monstruosité du côté des inventeurs, n’empêche pas de penser que l’invention du corps se paie très cher pour tout le monde, créateurs et créatures mêlés.

Par ailleurs, les processus de production de ces corps connaissent de nombreux aléas. Si les robots peuvent être produits à la chaîne, les nouvelles fonctions affectives dont sont dotés les robots expérimentaux rencontrent des problèmes d’acceptabilité humaine. Par exemple, dans IA, la demande d’amour du petit robot, dont les humains se sont servis comme substitut d’enfant, leur devient insupportable et ils l’abandonnent à son sort. Si, dans Le cinquième élément12, une docte assemblée s’exclame devant la « perfection » du corps de l’héroïne, née d’un minerai, on peut quand même souligner qu’il ne lui manque « que » la parole !

Le présupposé de l’invention du corps permet d’égrener d’autres questions. Les premières images d’X-Men avertissent les spectateurs : en dépit de leurs pouvoirs, les mutants sont impuissants à empêcher les destructions auxquelles se livrent les humains. En effet, le jeune Magneto, qui sait « commander » les métaux, est néanmoins séparé de sa mère, laquelle est emmenée dans un camp nazi enclos de barbelés. La question posée est donc la suivante : comment transformer le monde ? Par la mutation des humains ou par leur destruction, ou bien par la tolérance mutuelle et la négociation ? Deux conceptions s’opposent, dont on voit bien les résonances socio-politiques. Chacune de ces démarches prend corps.

La mutation fait l’objet d’un véritable processus de production, qui l’invalide parce que le corps est traité indépendamment de l’esprit. Ainsi, dans X-Men, à l’issue d’une expédition punitive, le sénateur, chef de file de l’opposition aux mutants, devient-il le cobaye de la mutation imposée. Il meurt de la transformation de son corps, mais l’esprit est demeuré dans ce corps de méduse. Il s’agit toujours du sénateur, qui va persévérer dans sa mission politique, en cherchant finalement à s’allier aux mutants favorables à la tolérance.

Wolverine illustre à son tour que la violence inhibe le désir tant que l’histoire des individus reste obscure : doté d’une force exceptionnelle et de capacités de régénération, qui lui ont été incorporées par des charcutages, il est dans l’ignorance de sa propre histoire. Aussi, ne sait-il pas de quel côté se

déclarer, du côté de la tolérance ou bien de la haine à l’égard des humains ? Il lui faudra, douloureusement, retrouver son histoire afin de pouvoir choisir son camp.

L’une des questions posées par ces films est donc la suivante : si les répliquants, les androïdes, les clones poursuivent des buts humains, ne témoignent-ils pas qu’on ne peut pas faire semblant d’avoir un corps autre que le sien ? Ils disent, en effet, que la façon dont le corps est vécu témoigne de l’esprit et que le corps n’est pas un objet dont on dispose : on ne peut pas le manipuler et quand on le fait, on le paie très cher. Alors, si le corps ne peut pas être « inventé » puisqu’il est ce que sont les humains, ne peut-il se métamorphoser ?

4. CONCLUSION

Le succès de ces films repose, nous l’avons dit, sur des imaginations préparées. En effet, nous pouvons considérer qu’ils répondent à des désirs profonds, et les expriment de manière déplacée. Ces films témoignent d’un désir d’auto-engendrement. L’homme est tout puissant, il est son propre créateur. Tout-puissant, il apporte la preuve de ses immenses possibilités d’innovation. Dans les sociétés développées, inscrites dans la « compétition internationale », l’innovation est devenue la valeur suprême. Ne pas y participer, c’est être rejeté du côté des perdants.

Ce désir est associé à l’angoisse d’avoir engendré des processus qui nous dépassent, ou de tomber entre les mains – c’est-à-dire d’être dépendants – d’individus qui veulent créer une humanité selon leurs désirs. Ils mettent en évidence que le désir déshumanisant (Stricker, Magneto dans X-Men, les scientifiques et les militaires dans Alien) contredit le statut de personne autonome et son avenir. D’autres questions s’enchaînent ; et nous proposons d’ouvrir celle-ci, qui nécessitera de longues explorations : le « corps » désigne aussi les appartenances, c’est-à-dire des histoires et des valeurs partagées, parce que le corps rassemble. Le devenir social se joue ainsi sur les écrans : la question de l’autonomie est au cœur des processus, mais de manière paradoxale. Tandis que Ripley-l’enfant malin des contes – tient le rôle de celui qui ne peut pas se taire et alerte la collectivité à propos de ses errements13, les X-Men témoignent des capacités à affronter collectivement la conflictualité

sociale, à donner à la souffrance une expression collective, à lui donner un sens.

13 DESCOLONGES M. (2002). Les difficultés du lien de confiance projetées sur les écrans de cinéma. In Colloque AISLF-Université de Tours, Novembre.

A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Actes JIES XXVI, 2004

LA CONSTRUCTION DES STÉRÉOTYPES SOCIAUX

SUR LE CORPS : LA TÉLÉ-RÉALITÉ

Fabienne MARTIN-JUCHAT Université de Bourgogne, LIMSIC

MOTS-CLÉS : NORMES – MÉDIAS – CORPS – INTERACTIONS – AFFECTS – REPRÉSENTATIONS – TÉLÉ-RÉALITÉ

RÉSUMÉ : Les émissions télévisuelles du genre télé-réalité mettent en scène des normes de comportements corporels, relationnels et affectifs qui nourrissent les valeurs et les aspirations de notre société hypermoderne. Nous allons analyser ces mises en scène de mise en scène de corps en interaction qui prescrivent et performent du social. Nous esquisserons, entre autres, les raisons sociétales qui font de ces émissions des succès, mesurables par les résultats de l’audimat.

ABSTRACT : TV Programmes and in particular real-TV shows tend to rely on a certain type of non-verbal communication. The new type of behaviour they are based upon (whether it be physical or emotional) is the reflect of the values and aspirations of our hyper modern life style. We analyse the different modes according to which the body is being exhibited, the interaction between body and mind, body and body, and the way in which all these interactions influence social life. We shall also hint at the different reasons why these shows appeal to so wide an audience.

1. INTRODUCTION

Il y a maintenant plus de cinq ans, des émissions dites de télé-realité (reality-show en anglais) sont apparues sur les chaînes de télévisions françaises. Loft story, diffusé à partir de 2000, en est un exemple mythique. En France, elle a été la première émission diffusée explicitement sous cette appellation accrocheuse de télé-réalité. À partir d’une explicitation des notions associées au genre télé-réalité, nous allons observer que ce dernier a tendance à envahir l’espace médiatique. Les shows télévisés (Talk Show en anglais) et certains pseudo-documentaires sont construits sur les mêmes objectifs interactifs (au sein de l’espace médiatique et avec le téléspectateur) que ceux de la télé-réalité.

L’ensemble de ces produits médiatiques met en scène des interactions affectives qui répondent à des normes, des valeurs ou encore des aspirations sélectionnées et valorisées par notre société. Plus en avant, les protagonistes/participants, choisis par casting selon des critères sélectionnés (Roux, Teyssier, 2003), sont filmés dans des interactions plus ou moins provoquées par des scénarios. Ces situations relationnelles nous rappellent les rites fondateurs de notre société : la mise à mort en public, le jeu du bouc émissaire (Girard, 1984).

Dans un premier temps, nous présenterons le type d’approche qu’il est possible de construire afin d’étudier les émissions dites de télé-réalité. Nous constituerons une carte de l’offre médiatique autour du concept de télé-réalité. À partir de ce travail de définition et de positionnement, nous présenterons successivement les valeurs et les aspirations hypermodernes (Lipovetsky, 2004) qui nourrissent ces produits médiatiques. Dans un premier temps, nous aborderons la version contemporaine du dandysme qui se caractérise par une aspiration collective à vouloir faire de son corps en œuvre d’art. Dans un second temps, nous développerons des valeurs relatives à l’extimité, pour reprendre l’expression de Tisseron (2002). L’extimité se manifeste par une exposition de la vie affective individuelle, de couple ou familiale. Puis, nous appréhenderons comment la recherche d’un bouc émissaire est actuellement valorisée par les émissions de télé-réalité et les shows télévisés. Enfin, nous nous interrogerons sur la recherche d’extrêmes corporels, qu’ils soient physiques ou psychologiques, sensoriels ou émotionnels, manifeste dans certains spectacles.