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LE CORPS DANS LES FILMS DE SCIENCE-FICTION

4. ASPIRATIONS ET VALEURS HYPERMODERNES

Dans les émissions de télé-réalité, les corps expriment des valeurs, des aspirations ou plus précisément des types des rapports du monde ou attitudes qui caractérisent une société hypermoderne dominée par les médias. « En sacralisant le droit à l’autonomie individuelle, en promouvant une culture relationnelle, en célébrant l’amour du corps, les plaisirs et le bonheur privé, les médias ont été des agents de dissolution de la force des traditions et des anciennes étanchéités de classe, des morales rigoristes et des grandes idéologies politiques » (Lipovetsky, 2002 : p. 93). Le corps est le moyen privilégié d’observation des pratiques hypermodernes. Les valeurs de notre société se manifestent sous la forme de comportements que sont : l’extimité, la recherche d’extrêmes corporels, une forme de dandysme hypermoderne et enfin le jeu du bouc émissaire. 4.1 Le dandysme hypermoderne

Les corps sélectionnés dans les émissions de télé-réalité qui mettent en scène des rapports de couple et de séduction (en particulier dans le Bachelor, Greg le Millionnaire, Marjolaine, Opération Séduction, L’île de la tentation) véhiculent des aspirations collectives faites de perfection corporelle désincarnée, tout en promouvant une sensualité et une sexualité paradoxale. Cette esthétique et ces attitudes corporelles nous rappellent le dandysme de la fin du siècle dernier, avec cependant quelques adaptations propres à notre siècle. Le dandy était au XIXe siècle « le modèle d’une beauté masculine combinant force et délicatesse, vigueur et fragilité » (Vigarello, 2004). La philosophie de vie du dandy se manifestait par des pratiques animées par la recherche de perfection.

De nos jours, le corps est sur-investi du rôle d’incarner une création personnelle, selon des critères d’excellence et d’exception. Conquérir la notoriété par la télévision permettrait de se transformer en œuvre d’art selon les critères sociaux d’une réussite, évaluée par l’apparence et par l’image. Le corps du dandy romantique se distingue aussi de celui de notre époque car il n’entretient pas le même rapport à la sexualité et à la séduction. L’individu hypermoderne construit son identité sexuelle en l’exposant sur la scène publique.

4.2 L’extimité

Selon Tisseron, la scénarisation, la mise en scène de l’intime ne relève plus de l’intime. L’intime relève du non-dit, du secret, du mystère et, lorsqu’il bascule dans le dit, se transforme en récit de l’intime. L’exposition de la vie privée des participants est un des objectifs qui transparaissent de l’ensemble de l’offre médiatique autour du concept de télé-réalité. Les talk-shows (Fogiel, Ardisson, Dumas) et les émissions de type documentaires (En direct sur Ed TV, …), au même titre que la télé-réalité en huit clos, sont essentiellement basés sur des récits de vécus affectifs. L’exposition des passions, des émotions et des sentiments satisfait à la fois les énonciateurs et les téléspectateurs. Dans les termes de G. Tarde (1892), cet attrait, cette attirance pour ces comportements relèvent de ce qu’il nomme les lois de l’imitation. Le besoin de s’identifier à des modèles collectifs ou bien, être soi-même le modèle qui fascine, est un besoin social constitutif de la vie en société. Il ne relève donc pas d’une attitude voyeuriste, correspondant à un comportement sexuel déviant selon la psychanalyse, mais bien d’un besoin social. 95% des adolescents regardant les émissions de télé-réalité cherchent à voir leurs aînés gérer les alliances et les conflits avec l’autre sexe (Tisseron, 2002).

4.3 Le jeu du bouc émissaire

La télé-réalité médiatise un autre fondamental, constitutif de notre société : posséder le pouvoir de décider du sort d’autrui, de stigmatiser un individu et, par des rituels collectifs, de le transformer en bouc émissaire. La mise à mort en public consiste à laisser la foule décider du sort du condamné. Ces pratiques courantes à l’Antiquité, au moyen âge, par temps de guerre ou de dictature, sont volontairement re-jouées par les émissions précédemment énumérées qui les prévoient dans leurs scénarios. Ces rituels sont explicites dans les émissions où les téléspectateurs, par leurs votes, choisissent le ou les gagnants. Gloire et Fortune, adaptation d’une émission américaine Joe Schmo Show, est clairement basée sur ce principe du pigeon, du dindon de la farce. Stigmatiser l’autre, l’étranger, l’emprisonner pour le montrer (Bancel, 2002), génère de la cohésion et du lien social. Se rassembler tous contre un donne l’illusion de faire partie d’un groupe, aide à surmonter ses peurs et ses angoisses. Le jeu du bouc émissaire participe à ces rituels de catharsis collective comme le sont

aussi les sacrifices (Girard, Le Bon). Selon Girard, le sacrifice du bouc émissaire apaise les pulsions agressives des hommes. Le premier rite sacrificiel apaise la violence du collectif dans une violence du tous contre un.

4.4 L’Xtrème

La recherche d’extrêmes corporels est clairement identifiée par les sociologues. D. Le Breton (2002) la définit comme caractéristique des conduites à risque. « L’expression conduite à risque appliquée aux jeunes générations, s’impose de plus en plus pour désigner une série de conduites disparates, dont le trait commun consiste dans l’exposition de soi à une probabilité non négligeable de se blesser ou de mourir, de léser son avenir personnel ou de mettre sa santé en péril » (Le Breton, 2002, p. 61). Ces rites individuels ou collectifs font office de rites d’initiation, de rites de passages. Cette recherche de sensations et d’émotions fortes peut sembler paradoxale par rapport à cette autre tendance, manifestée par une quête de perfection désincarnée. Cependant, peu importent les extrêmes, ce sont bien toujours le corps et surtout la chair qui sont inlassablement interrogés.

BIBLIOGRAPHIE

BANCEL N., BLANCHARD P., BŒTSCH G., DEROO E., LEMAIRE S., (dir.). (2002). Les zoos humains. De la Vénus hottentote aux reality shows. Paris : La découverte : coll. Textes à l’appui/Histoire contemporaine.

COSNIER J. (1984). Psychologie des émotions et des sentiments. Paris : Retz. GIRARD R. (1984). Le bouc émissaire. Paris : Poche, Essais.

HEINRICH N. (2001). La sociologie de l’art. Paris : La découverte. JOST F. (2002). L’empire du loft. Paris : La Dispute.

LE BON G. (1990). Psychologie des foules. Paris : Flammarion (1e ed. 1895).

LE BRETON D. (2002). Conduites à risque : des jeux de mort aux jeux de vivre. Paris : PUF. LIPOVETSKY G. (2002). Faut-il brûler les médias ? In Métamorphoses de la culture libérale, Ethique, médias, entreprise. Montréal : Liber.

LIPOVETSKY G., CHARLES S. (2004). Les temps hypermodernes. Paris : Grasset. ROUX D., TEYSSIER J.-P. (2003). Les enjeux de la télé-réalité. Paris : Economica. TARDE G. (1890). Les lois de l’imitation. Paris : Alcan.

TISSERON S. (2002). L’intimité surexposée. Paris : Hachette Civilisations.

VIGARELLO G. (2004). Histoire de la beauté : Le corps et l’art d’embellir de la renaissance à nos jours. Paris : Seuil.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SÉANCE  PLÉNIÈRE  2  

DES DISCIPLINES : BIOMÉCANIQUE, BIOPHYSIQUE, BIOCHIMIE, PHYSIOLOGIE, SOCIOLOGIE, PSYCHOLOGIE, ANTHROPOLOGIE, MÉDECINE, ERGONOMIE…

A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Actes JIES XXVI, 2004

Introduction à la séance plénière

LES DISCIPLINES :

BIOMÉCANIQUE, BIOPHYSIQUE, BIOCHIMIE, PHYSIOLOGIE, SOCIOLOGIE, PSYCHOLOGIE, ANTHROPOLOGIE, MÉDECINE,

ERGONOMIE…

Jean-Louis MARTINAND UMR-STEF, ENS Cachan

Cette séance plénière prend place entre deux autres. La première, «Urgences », a été l’occasion de prendre conscience et de réfléchir sur les manières dont le corps, ou les corps, sont enrôlés par les logiques productives de la télévision, du cinéma ou des expositions. La construction des stéréotypes sociaux par la «télé-réalité», le corps malade tel qu’il est appréhendé par le malade et évoqué entre malades, face aux représentations médicales, l’invention des possibles humains dans les films de science-fiction, la «sculpture» à partir des corps morts : autant d’exemples frappants, dérangeant pour s’engager à se décentrer affectivement et intellectuellement, à envisager les irruptions de corps inattendus à travers ces histoires et ces mises en scène, à comprendre les signes dont elles sont porteuses. La dernière séance plénière nous permettra de prendre connaissance et de débattre à partir de recherches sur les « images et usages du corps dans l’éducation et la culture ».

Aujourd’hui, nous voulons interroger les disciplines « académiques », c’est-à-dire les disciplines de recherche et d’enseignement supérieur, sciences de la nature comme sciences de l’artificiel, sciences de l’homme et de la société, disciplines technologiques aussi, médecine et sciences et techniques des activités physiques et sportives.

Nous souhaitons mieux connaître comment elles se représentent le corps humain. C’est sans doute pour ces disciplines une question importante, mais qui fait rarement l’objet sous cette forme d’une élucidation systématique, approfondie et critique. Mais dans le cadre de nos Journées, c’est aussi une question cruciale pour l’éducation et la culture, qui tout autant que la recherche et la formation de spécialistes, exige une réflexion informée et critique sur les représentations que leur proposent comme des savoirs incontestables ces sciences et ces disciplines technologiques.

Nous voulons donc soumettre à la question ces disciplines, ou plutôt bien sûr quelques représentants, et sur des cas concrets. Comment ces disciplines ces disciplines procèdent-elles pour faire du corps un objet pour leur activité d’investigation empirique et d’élaboration conceptuelle, de conception et d’essai techniques, de modélisation et de théorisation scientifique ou technologique ? Pour faire bref, comment le corps y devient-il un objet scientifique ou un objet technologique ? Il faut comprendre qu’il s’agit d’un « coup de force » intellectuel, pratique, et moral, par rapport aux expériences et représentations du corps, stéréotypes, valeurs et tabous à propos du corps.

Ce coup de force renouvelé est à la fois castrateur et fécond, partiel mais ouvert sur des possibilités imprévisibles ; il ne doit pas être interdit a priori, sauf à prétendre que toute recherche est intrinsèquement mauvaise. Mais il doit être en permanence discuté et contrôlé. En effet, les savoirs scientifiques, pratiques et technologiques ainsi acquis tendent à constituer une « doxa savante »que les disciplines proposent et même imposent, en contournant la critique scientifique des autres disciplines, l’examen philosophique épistémologique et éthique, le débat et la capacité de détermination personnels ou démocratiques, car elle conforte leur pouvoir social.

Il s’agit donc aujourd’hui avant tout de solliciter des spécialistes pour exposer ce qu’ils font et ce qu’ils pensent. Avec les matériaux qu’ils nous apportent, nous espérons devenir mieux à même :

- de comprendre leur point de vue directeur, leur outillage conceptuel et instrumental, et donc de mieux apprécier la pertinence de leur démarche et de leurs acquis en regard des problèmes de recherche sur lesquels ils travaillent, et face aux problèmes humains, sociaux, économiques…

- d’appréhender « quel corps » les intéresse précisément et donc quelles conceptions du corps ils répandent ;

- de comparer toutes ces conceptions concurrentes du corps et donc de reprendre l’initiative face aux divers « paradigmes » disciplinaires.

Nous avons besoin pour cela de surmonter nos propres représentations, de nature commune ou savante ; il s’agit bien d’accéder à quelques paradoxes. Pour le corps, les difficultés sont encore plus importantes que pour les autres « objets ». En effet, chacun a une expérience propre qui constitue des images de son corps, sans vraiment en faire un objet. Il a aussi une expérience de relations aux autres et à leur corps, expérience qui fait sans doute de ce corps un objet ; mais quel type d’objet ? Nous avons aussi des idées apprises sur le corps, transmises par la famille, l’école…

Nous avons donc d’une part à comprendre comment passer des expériences, modelées par le langage, les images, les apprentissages scolaires et les influences culturelles, aux divers points de vue scientifiques ou technologiques : quelles sont les ruptures, continuités, déplacements ? D’autre part, nous avons à intégrer les divers points de vue scientifiques et technologiques : quels sont les faits avérés qui deviennent des repères, quelles sont les suggestions pour l’action, quels sont les questionnements ou les défis pratiques qu’ils font émerger, comment articuler enfin ces apports entre eux et avec les préoccupations personnelles ou sociales ?

A. GIORDAN, J.-L. MARTINAND et D. RAICHVARG, Actes JIES XXVI, 2004

LES CORPS DÉTOURNÉS

OU COMMENT LA BARBARIE PREND SON VISAGE