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Les autres et le bien-être psychologique : le continuum égocentrisme-allocentrisme

Le bien-être psychologique

D. Les autres et le bien-être psychologique : le continuum égocentrisme-allocentrisme

Selon Sartre (196556) « l'enfer, c'est les autres » a toujours été mal compris. « On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c'étaient toujours des rapports infernaux. Or, c'est autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l'autre ne peut-être que l'enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont au fond ce qu'il y a de plus important en mêmes pour notre propre connaissance de nous-mêmes. Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître, au fond, nous usons ces connaissances que les autres ont déjà sur nous. Nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné de nous juger. Quoique je dise sur moi, toujours le jugement d'autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d'autrui. Et alors en effet je suis en enfer. Et il existe une quantité de gens dans le monde qui sont en enfer parce qu'ils dépendent trop du jugement d'autrui. Mais cela ne veut nullement dire qu'on ne puisse avoir d'autres rapports avec les autres. Ça marque simplement l'importance capitale de tous les autres pour chacun de nous. »

Sartre exprime ainsi, avec ses mots à lui, que la perception de la qualité des relations interpersonnelles apparaît comme un indicateur du bien-être et de la santé psychique (Finkenauer &

Baumeister, 1997) ou du développement et de la maturité des individus.

« La forte relation entre l'altruisme et l'humeur positive est notre plus grande découverte » (Csikszentmihalyi & Patton, 1997, p. 153). L’altruisme procure deux sortes de « récompenses » :

- une attention positive à autrui va probablement attirer un comportement réciproque plutôt que de l'indifférence ; le fait de se savoir apprécié et valorisé attire plus de sens et de joie à sa vie (Seligman 1991) ;

- l'action même de porter une attention positive — sans égard à la réciprocité — libère une énergie psychique qui autrement serait dirigée vers son monde intérieur avec les différentes angoisses qu'une telle attention sur soi pourrait générer.

Cependant, selon Csikszentmihalyi et Patton (1997), les bienfaits immédiats de l'altruisme sont le plus souvent impalpables.

Fréchette et Le Blanc (1987) postulent que la personnalité se manifeste par le niveau d'harmonie psychique entre la personne et son environnement. Ce degré d'harmonie se localise sur le

56 Texte dit par Jean-Paul Sartre en préambule à l'enregistrement phonographique de la pièce en 1965, cité par Michel Contat et Michel Rybalka (1992, p. 101) - Folio essais - Gallimard

continuum qui va de l'égocentrisme du nouveau-né jusqu'à l'allocentrisme de l'adulte en pleine maturité, « l'allocentrisme étant la disposition à s'orienter vers les autres et une capacité à s'intéresser aux autres pour eux-mêmes » (1987, p. 47). Leblanc évoque ainsi le continuum égocentrisme-allocentrisme (2003, p. 56), considérant que « l'égocentrisme-allocentrisme est le mouvement de la personne humaine vers ce qui est différent d'elle, c'est la disposition de s'orienter vers les autres et la capacité de s'intéresser aux autres pour eux-mêmes. Cette notion tire son importance du fait que l'homme, par sa nature même, est voué à la communication, à la relation et à l'échange avec autrui. Le schéma normatif du développement, tel que présenté dans les diverses théories et modèles du développement de la personne humaine (voir la recension de Lerner, 1986), propose justement les étapes de cette progression vers l'allocentrisme. ». Dans un autre registre, Anatrella (1997, p. 39) évoque ainsi l’immaturité liée à l’adulescence entretenue par une société adolescentrique.

Ainsi, il ressort donc que le bien-être personnel, l’absence de préoccupation à propos du soi et la bienveillance à l’égard des autres seraient liés : peut-être serait-il plus judicieux de dire qu’être en bon terme avec soi-même est probablement lié à la capacité de l’être avec des autres.

« Une orientation altruiste va probablement lever l'obstacle le plus important à l'atteinte d'un état de Flow, c'est-à-dire une trop grande attention sur l'ego et ses besoins. En dirigeant son énergie sur le bien-être des autres, un jeune homme ou une jeune fille se libère de cette préoccupation de l'ego qui sape tant d'énergie psychique. Plutôt que d'être mobilisée à s'observer et à se surveiller, une grande partie de l'énergie psychique se libère et se rend disponible à la poursuite des buts que la personne s'est fixée (Logan, 1988). Cela constitue l'un des paradoxes de l'expérience optimale : ce n'est qu'en s'oubliant soi-même que le soi prend de l'ampleur. » (Csikszentmihalyi & Patton, 1997, p. 190).

Cette « dilation de l’ego » liée à l’absence de préoccupation à propos du soi, constitue le cœur du continuum égocentrisme-allocentrisme

Si à l’évidence, l’affirmation de l’importance du « toujours seul, mais jamais sans les autres » pour apprendre (Carré, 2005) apparaît plus que jamais très clairement réaffirmée, notre problématique débouche cependant sur la nécessité de repositionner plus pragmatiquement (modestement) la question de « apprendre en groupe » ou « apprendre dans des collectifs » vers

« apprendre avec des autres ».

In fine, tout en gardant bien à l’esprit que l’apprentissage ne peut être réellement réalisé que par l’étudiant lui-même, il nous semble plus juste de considérer que nous allons essentiellement nous intéresser à ce qui motive des étudiants à « ne jamais apprendre sans des autres ». Dans cette première approche, nous faisons volontairement le choix de ne pas chercher à mieux définir le

« collectif » d’une part car avec Hatchuel (2008) nous considérons que la forme des collectifs n’est

II - Le bien-être psychologique 63 pas une condition mais une conséquence des actions individuelles (cf. §3, p. 43), d’autre part, dans la mesure où en tant que tel, le « collectif » ne fera en fait pas partie de nos observations57. Adoptant un point de vue micro-social, au sens de Desjeux (1998)58, nous choisissons finalement de focaliser notre problématique sur la motivation des étudiants à « ne pas apprendre seul ».

Pour ce faire, il semble tout d’abord nécessaire de mieux comprendre la motivation : nous souhaitons étayer notre réflexion en l’appuyant tout particulièrement sur les travaux de Fenouillet, notamment sur son modèle intégratif de la motivation (Fenouillet, 2009a, 2009b).

57 Dans la mesure, où nous ne comptons pas étudier les relations interpersonnelles entre les étudiants en tant que telles, mais plutôt les dispositions qui motivent l’intention d’en avoir, nous pensons pouvoir nous autoriser à faire cette économie.

58 Nous plaçant quelque part entre la psychologie générale et la psychologie sociale, pour utiliser une métaphore

« écologique » simple, nous pourrions dire que là où les sociologues étudieraient la forêt et que les psychologues sociaux s’intéresseraient à l’arbre dans la forêt, nous observerons l’arbre à l’aide d’une focale qui ne nous permettra plus réellement de voir la forêt. De notre point de vue, nous allons tenter de comprendre en quoi cet arbre est bien dans son biotope (pourquoi il est là…), sans pour autant pouvoir qualifier ce biotope parce qu’il restera hors de notre champ de vision …

Chapitre III

La motivation

Dans cette section, après une présentation du modèle intégratif de la motivation (Fenouillet, 2009a), nous allons progressivement affiner notre problématique autour des trois grandes théories qui vont constituer le cœur de cette thèse.

Pour le profane ou le politique, la motivation apparaît comme une « baguette magique » qui permettrait de résoudre la plupart de nos soucis individuels ou collectifs contemporains. « Pourtant, ce mot si commun n’est apparu que très récemment et son usage s’est propagé seulement à partir du milieu du vingtième siècle (Mucchielli, 1981 ; Feertchak, 1996) » (Fenouillet, 2009a, p. 15). L’étude scientifique de la motivation bien que relativement récente n’est pas moins foisonnante. Fenouillet (2009a, 2009b) s’est arrêté au nombre « magique » de 101 théories de la motivation identifiées depuis James (1890) ou McDougall (1908) qui peuvent être considérées comme étant à l’origine des premiers travaux scientifiques sur ce que nous appelons aujourd’hui la motivation.