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Le bien-être psychologique

C. Le bien-être : hédonisme ou eudémonisme ?

La contribution du plaisir et du bonheur au bien-être humain est très certainement l’une des clés de la compréhension de la psychologie humaine. Après avoir longtemps été presque exclusivement l’interrogation des philosophes, cette question intéresse maintenant tout autant les psychologues (pour une vue d’ensemble sur cette question, voir Ryff & Singer, 1998, cités par Laguardia & Ryan, 2000).

Selon le point de vue de la psychologie hédoniste (Kahneman, Diener & Schwartz, 1999, cités par Laguardia & Ryan, 2000), le bien-être est décrit comme un plaisir, une satisfaction ou un bonheur subjectif et la recherche du bonheur est considérée comme le principe qui motive l’activité humaine. Diener et Lucas (1999) soutiennent par exemple, que le bien-être subjectif consiste à vivre

51 OMS : Santé mentale : renforcement de la promotion de la santé mentale, Genève, 2001 (Aide-mémoire n° 220).

52 Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social.

Rapport remis à M. le Président de la République, Commission pour la mesure des performances économiques et du progrès social (CMPEPS), présidé par Joseph E. Stiglitz, travaux coordonnés par Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi, Paris, La documentation française, septembre, 324 p., (2009).

53 Livre Vert Améliorer la santé mentale de la population. Vers une stratégie sur la santé mentale pour l’Union européenne (2005).

54 Santé mentale, l’affaire de tous : Pour une approche cohérente de la qualité de la vie

Rapport remis à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, Groupe de travail « Santé mentale et déterminant du bien-être », présidé par Mme Viviane Kovess-Masfety. Travaux coordonnés et rédigés par Marine Boisson, Clélia Godot et Sarah Sauneron, Paris, La documentation française, novembre, 254 p., (2009).

beaucoup d’affects agréables, peu d’affects désagréables et à ressentir une grande satisfaction personnelle de sa propre vie. Diener et d’autres psychologues hédonistes supposent en outre qu’un grand bien-être subjectif apparaît quand quelqu’un atteint ses buts, quels qu’ils soient, et que c’est ce qui le satisfait et le rend heureux.

Bien que la psychologie hédoniste constitue le courant de pensée qui domine la recherche sur le bien-être psychologique, il existe un courant alternatif qui conçoit le bien-être comme plus complexe que le seul bonheur. Ainsi, Cowen (1994, cité par Laguardia & Ryan 2000) suggère l’idée d’une théorie comportant des composantes claires au point de vue comportemental, psychologique et physiologique, composantes permettant de décrire le bien-être non simplement par l’absence de psychopathologie, mais plutôt par la présence de manifestations positives d’un bon fonctionnement.

Le bien-être serait ainsi possible pour tous. Il impliquerait des éléments aussi divers que manger, dormir, avoir des relations interpersonnelles, un certain contrôle sur sa vie, une existence satisfaisante et une bonne santé physique. Selon cette théorie, créer de bonnes relations d’attachement, acquérir des habiletés appropriées à son âge dans le domaine de la cognition, des relations interpersonnelles et le sentiment d’une certaine maîtrise sur sa vie favorisent le bien-être psychologique.

C’est dans les termes de l’eudémonie que Waterman (1993) définit le bien-être. Il s’inspire de la conception classique d’Aristote selon laquelle les gens vivent plus ou moins en accord avec leur

« vrai soi », leur daïmôn. C’est le daïmôn qui donne l’orientation et le sens des actions d’une personne ; si elle vit en accord avec son daïmôn, elle connaît l’eudémonie que Waterman décrit comme étant la réalisation de soi ou le fonctionnement psychologique optimal. Dans cette perspective, la réalisation de soi est possible pour quelqu’un s’il saisit les occasions de se développer et les voit comme des défis de la vie qu’il se sent capable d’affronter. Dans cette perspective, il convient donc de bien distinguer l’eudémonie et le bonheur, car le bonheur ne requiert pas en en tant que tel de poursuivre des activités ou des buts qui stimulent la croissance personnelle. De plus, parfois, les efforts d’un individu dans la poursuite du bonheur ne visent pas et n’atteignent pas nécessairement la réalisation de soi.

La distinction des désirs est traditionnelle dans la philosophie grecque. Il nous semble d’ailleurs ici intéressant de tenter de rapprocher les points de vues d’Aristote et d’Épicure (en espérant ne pas choquer les philosophes…). En effet, dans la lettre à Ménécée (127-135), Épicure évoque lui aussi plusieurs types de plaisirs : « quand nous disons que le plaisir est notre but ultime, nous n'entendons pas par-là les plaisirs des débauchés ni ceux qui se rattachent à la jouissance matérielle, ainsi que le disent ceux qui ignorent notre doctrine, ou qui sont en désaccord avec elle, ou

II - Le bien-être psychologique 59 qui l'interprètent dans un mauvais sens. Le plaisir que nous avons en vue est caractérisé par l'absence de souffrance corporelle et de troubles de l’âme. ». Il distingue ainsi tout particulièrement ceux qui permettent l’aponie (absence de souffrance corporelle)55 et l’ataraxie (absence de trouble de l’âme).

De ce fait, l’épicurisme nous semble plus eudémonique, qu’hédoniste.

Eux-mêmes dans une posture qui va plutôt dans le sens de l’eudémonie, Ryff et Singer (1998) définissent le bien-être à l’aide de six dimensions principales dont l’origine remonte aux théories de Rogers, Jung, Allport, Neugarten, Buhler, Erikson, Birren, Jahoda et Maslow (Ryff, 1989).

Ces dimensions sont les suivantes : (1) un certain contrôle de son milieu, (2) des relations positives, (3) l’autonomie, (4) la croissance personnelle, (5) l’acceptation de soi (6) et le sens à la vie.

Selon ces auteurs, il est possible que le bonheur surgisse à l’occasion comme résultat secondaire de ces dimensions, mais en tant que tel cela ne définit pas ce qui fait que des gens sont psychologiquement bien.

De l’analyse de ces différentes perspectives, il ressort que les études du bien-être psychologique empruntent deux voies divergentes selon l’idée qu’elles se font de la réalisation optimale de l’être humain. Elles se réduisent en fait à deux approches différentes de la définition de la santé psychologique :

- le plaisir hédoniste ou l’atteinte du bonheur ;

- l’eudémonie ou le fonctionnement psychologique en accord avec sa propre nature.

Selon Laguardia et Ryan (2000), l’issue du débat entre ces deux orientations est d’une importance primordiale pour la psychologie et plus largement pour une conception de la société.

Pour les philosophies hédonistes, l’important est « d’obtenir ce qu’on désire », suggérant ainsi que quel que soit son but, on sera heureux et « subjectivement bien » si on atteint ce but : ces théories visent le plaisir, les récompenses et le rendement comme si tels étaient les moteurs premiers de l’activité humaine. L’idée que « ce qui te rend heureux est bon » correspond finalement assez bien à l’idéal des économies de marché.

Cependant, ces théories laissent de côté les questions concernant la signification de la vie, l’essence de la nature humaine et les buts plus profonds que le plaisir personnel. Elles passent peut-être à côté de la vraie signification de l’peut-être humain et fournissent finalement peu d’informations concernant les facteurs contextuels et culturels qui favorisent ou compromettent le bien-être psychologique.

55 Conception très différente de celle de Platon qui considère que seul le désir de vérité est bon, dans la mesure où selon lui les désirs du corps sont moralement condamnables. Alors que pour Épicure, la satisfaction des besoins du corps dans l’intention d’éviter la douleur est un désir naturel nécessaire au bien-être.

« L’eudémonisme recherche précisément ce qui est « fondamentalement bon » pour la nature humaine et les besoins psychologiques qui stimulent le développement de l’humain et dont la satisfaction procure l’éveil et la vitalité. Les eudémonistes soutiennent que les buts poursuivis et les satisfactions obtenues ne sont pas tous également « bons » et qu’il est des formes de plaisir qui n’ont aucun lien avec le bien-être psychologique. » (Laguardia & Ryan, 2000, p. 284)

Bien que ces courants de recherche soient liés conceptuellement, le bien-être subjectif (B-Ê S) et le bien-être psychologique (B-Ê P) sont empiriquement distincts car ils ne sont pas influencés par les mêmes variables sociodémographiques et de personnalité (Keyes, Shmotkin & Ryff, 2002). « Le B-Ê S renvoie au bonheur et comporte une évaluation cognitive, la satisfaction de vie, de même qu’une évaluation affective, l’équilibre entre les affects positifs et les affects négatifs. Le B-Ê P comporte une connotation d’engagement dans des défis existentiels, de réalisation de soi (self-fulfillment) faisant référence au potentiel humain. » (Dubé & Lefrançois, 2003, p. 176). Ces liens ont été notamment mis en évidence (cf. Figure 3, p.60) par Linley, Maltby, Wood, Osborne et Hurling (2009).

Pour ce qui concerne notre recherche, nous choisissons de poursuivre nos travaux en étudiant plus particulièrement les éléments constitutifs du bien-être selon une perspective eudémonique, notamment en souhaitant éclairer tout particulièrement l’impact du collectif, ou plus modestement

« des autres » sur le bien-être psychologique.

Figure 3

Modèle structural du bien-être subjectif et du bien-être psychologique

(Linley, Maltby, Wood, Osborne & Hurling, 2009, p. 5)

II - Le bien-être psychologique 61

D. Les autres et le bien-être psychologique : le continuum