• Aucun résultat trouvé

D’où provient l'avantage ?

Après avoir établi l’impact positif de l’héritage d’une tradition familiale dans le même type d’activité, il est important d’étudier les raisons conduisant à cet avantage. Pour ce faire, nous estimons l’équation (2), présentée ci-avant, qui inclut dans la fonction de production le capi- tal social, les investissements familiaux, et les compétences managériales et spécifiques au secteur d’activité de l’entreprise.

Si nos hypothèses se vérifient, l’effet du capi- tal social, des investissements familiaux et des compétences managériales et spécifiques à l'entreprise sont significatifs et positifs, et

[ 62 ] La polygamie est significative et a un impact positif sur la valeur ajoutée et les ventes, contrairement aux attentes, mais uniquement lorsque ni le capital ni le travail ne sont introduits dans la régression.

ces effets absorbent celui d’avoir hérité d’une tradition familiale. En effet, dans ce cas, la variable TRAD est significative dans l’équa- tion (1) uniquement parce qu’elle reflète une meilleure dotation en compétences, en inves- tissement familial et/ou en capital social, et/ou un meilleur rendement de ces facteurs. Pour savoir quels facteurs capturent le mieux l’effet de TRAD,nous les introduisons progressive- ment dans l’équation, tout d’abord un à un (non reporté) puis deux à deux.

Lorsqu’un seul de ces facteurs est introduit, et quel que soit ce facteur, l’effet de TRAD reste significatif. Parmi les variables reflétant les compétences managériales, la connaissance des institutions de microfinance et la tenue d’une comptabilité ont un impact positif et significatif sur la valeur ajoutée. Cependant, l’acquisition d’une expérience antérieure de direction d'une entreprise n’a pas d’effet sur sa performance. Ceci peut s’expliquer par la grande variété de ce type d’expériences, qui ne fournissent pas forcément de meilleures connaissances sur la manière de gérer une entreprise. Quant aux variables reflétant les compétences spécifiques au secteur de l’en- treprise, trois ont un impact positif signifi- catif : l’apprentissage traditionnel, une expé- rience dans l’entreprise informelle avant d’en devenir le propriétaire, et les années d’expéri- ence dans la profession. À l’inverse, avoir de l’expérience dans la profession, à l’extérieur de l’entreprise informelle actuellement dirigée, n’a pas d’impact. Comme pour l’expérience passée en gestion, ceci pourrait être impu- table à l’hétérogénéité de ce type d’expéri- ences en termes de responsabilité, de durée et de caractéristiques de l'entreprise où l'ex- périence a été acquise.

Le tableau I5 en annexe présente l’estimation de l’équation (2), en introduisant deux à deux les proxies supposées expliquer l’avantage comparatif des entrepreneurs de type TRAD.

Il montre que l’effet de l’héritage d’une tradi- tion familiale disparaît uniquement lorsqu’on introduit ensemble les variables captant les compétences spécifiques au secteur d’activité de l’entreprise et le capital social. Les autres combinaisons ne permettent pas d’absorber la totalité de l’effet de TRAD.

Combinés, ces résultats semblent indiquer qu’une plus grande quantité ou un meilleur rendement de capital social et de compé- tences spécifiques au secteur d’activité de l’en- treprise contribuent à expliquer pourquoi les entrepreneurs informels dont des membres de la famille sont impliqués dans le même secteur d’activité obtiennent de meilleurs résultats. Cependant, une question reste en suspens : l’avantage s’explique-t-il par une meilleure dotation de ces facteurs ou par un rendement plus élevé ? Pour répondre à cette question, nous introduisons des interactions entre TRAD

et ces facteurs de production. Les coefficients positifs significatifs de ces interactions signi- fient des meilleurs rendements de ces facteurs de production pour les propriétaires héritant d’une tradition familiale. Les résultats (non re- portés) montrent qu’aucune de ces interac- tions n’est significative. On peut donc con- clure que la source de l’avantage du proprié- taire héritant d’une tradition familiale est prin- cipalement due à une meilleure dotation en facteurs de production. Il existe cependant une exception, celle de l’interaction entre TRAD

et le montant d’investissement familial. Mais le coefficient est négatif. En conséquence, le capital physique familial présente de moins bons rendements lorsqu’il est utilisé dans une entreprise héritant d’une tradition familiale.

L’un des résultats importants de cette recher- che est que, pour les entrepreneurs informels ouest-africains, avoir un père entrepreneur ne constitue pas un avantage en termes de performances de leur entreprise. Les enfants d’entrepreneurs ne disposent pas de meil- leures dotations en capital humain, physique et social. Contrairement aux États-Unis ou aux pays européens, il n’existe pas de trans- missions intergénérationnelles de compé- tences managériales. Cette spécificité des pays ouest-africains peut s’expliquer par une ex- position différente à l’entreprise du père, ou par des écarts plus importants, en termes de compétences managériales, parmi les en- trepreneurs de la génération des pères. La forte corrélation du statut d’entrepreneur entre générations ne peut donc pas s’expli- quer par l’existence d’un avantage comparatif pour les enfants d’entrepreneurs. D’autres explications sont à trouver. Elles peuvent être l’héritage d’un goût pour l’autonomie, des aspirations professionnelles réduites ou une structure segmentée du marché du travail, qui contraint les enfants d’entrepreneurs à être eux-mêmes entrepreneurs dans le secteur informel. D’autres recherches sont cependant nécessaires pour choisir entre ces différentes hypothèses.

La seconde conclusion de cette recherche est qu’avoir des membres de la famille impliqués dans le même type d’activité est important pour les entreprises informelles, notamment les entreprises du segment supérieur du sec- teur informel. Les entrepreneurs informels bénéficiant d'une tradition familiale dispo- sent d’un avantage comparatif en termes de valeur ajoutée ou de ventes. Cet avantage s’ex-

plique principalement par la transmission de capital humain spécifique à l’entreprise, acquis grâce aux opportunités d’accumuler des ex- périences dans le même secteur d’activité, et par la transmission de capital social garantissant une meilleur clientèle et une bonne réputation. En revanche, les entrepreneurs informels héri- tant d’une tradition familiale ne bénéficient pas d’un meilleur accès au capital physique ou à des compétences managériales.

Ce chapitre contribue au débat sur la nature volontaire de l’entrée dans le secteur informel. Il défend l’idée de marchés du travail multi- segmentés, où certains entrepreneurs choisis- sent d’entrer dans le secteur informel parce qu’ils espèrent une plus forte valeur ajoutée. L’une des caractéristiques de ces entrepreneurs est que des membres de leur famille sont impli- qués dans le même type d’activité.

Ces résultats sont importants du point de vue de l’élaboration de politiques. La plupart des politiques actuellement mises en place pour améliorer l’efficacité du secteur informel por- tent sur la réduction des contraintes finan- cières. D’autres programmes essayent de ren- forcer les compétences managériales des entrepreneurs, notamment en gestion ou finance. Les résultats de ces recherches sem- blent montrer que des politiques visant à favoriser l’acquisition d’expérience profession- nelle dans des entreprises informelles, et le développement de réseaux professionnels pourraient contribuer à améliorer l’efficacité du secteur informel et à réduire la transmission intergénérationnelle des inégalités. L’impact de telles politiques devra cependant être évalué au préalable avec des protocoles spécifiques.

BACCHETTA, M., E. ERNSTet J.P. BUSTAMANTE(2009),Globalization and Informal Jobs in Developing Countries: A Joint Study from the International Labour Organization and the WTO, OIT et OMC, Genève.

BIRKS, S., F. FLUITMAN, X. OUDINet C. SINCLAIR(1994),Skills Acquisition in Micro-Enterprises:

Evidence from West Africa,OCDE, Paris.

BLINDER, A. (1973),“Wage Discrimination: Reduced Form and Structural Variables”, Journal

of Human Resources,8(4), pp. 436-55.

BRILLEAU, A., S. COULIBALY, F. GUBERT, O. KORIKO, M. KUEPIEet E. OUEDRAOGO(2005),Le secteur

informel : Performances, insertion, perspectives, enquête 1-2-3, phase 2, Statéco, vol.99, pp. 65-88.

BRILLEAU, A., E. OUEDRAOGOet F. ROUBAUD(2005),Introduction générale au dossier, l’enquête 1-2-3 dans les principales agglomérations de sept États membres de l’UEMOA : la consolidation d’une méthode,Statéco,vol.99, pp. 15-19.

CHARMES, J. ETX. OUDIN(1994),« Formation sur le tas dans le secteur informel », Afrique Contemporaine,Numéro spécial 4etrimestre, pp. 230-238.

CHEN, M.A. (2005),“Rethinking the Informal Economy - Linkages with the Formal Economy and

Formal Regulatory Environment ”, UNU-WIDER Research Paper, 2005/10.

CO G N E AU, D., T. BO S S U ROY, P. DEVR EY E R, C. GU É N A R D, V. HI L L E R, P. LE I T E, S. ME S P L É-SO M P S, L. PASQUIER-DOUMERet C. TORELLI(2007),Inequalities and Equity in Africa, Notes et Documents,

n° 31, AFD, Paris.

COLOMBIER, N. et D. MASCLET(2008), “Intergenerational Correlation in Self Employment: Some

Further Evidence from French ECHP Data”, Small Business Economics,30, pp. 423-437.

COLOMBIER, N. et D. MASCLET(2006), “Self-Employment and the Intergenerational Transmis- sion of Human Capital”, CIRANO Scientific Series, 2006s-19.

DUNN, T.A. et D.J. HOLT-EAKIN(2000),“ Financial Capital, Human Capital, and the Transition

to Self-Employment: Evidence from Intergenerational Links”, Journal of Labor Economics,18(2), pp. 282-305.

FAFCHAMPS, F. et B. MINTEN(2002),“Returns to Social Network Capital among Traders”,Oxford Economic Papers,54(2), pp. 173-206.

FA I R L I E, R.W. et A.M. RO B B (2007a), “Why are Black-Owned Businesses Less Successful

than White-Owned Businesses? The Role of Families, Inheritances, and Business Human Capital”,

Journal of Labor Economics,25(2), pp. 289-323.

FAIRLIE, R.W. et A.M. ROBB(2007B),“Families, Human Capital, and Small Business: Evidence from the

Characteristics of Business Owners Survey”, Industrial and Labor Relations Review, 60(2), pp. 225-245.

FIELDS, G.S. (2005), “A Guide to Multisector Labor Market Models”,World Bank Social Protection Discussion Paper,No. 0505.

GRIMM, M., J. KRÜGER et J. LAY (2010),Barriers of Entry and Capital Return in Informal Activities:

Evidence From Sub-Saharan Africa,mimeo.

HAAN, H.C. (2006), Training for Work in the Informal Micro-Enterprise Sector: Fresh Evidence from Sub-Sahara Africa,Springer.

HARRIS, J. R. et M.P. TODARO(1970), “Migration, Unemployment and Development: A Two Sector

Analysis”, American Economic Review, mars, pp. 126-142.

LAFERRÈRE, A. et P. MCENTEE(1996),“Self-Employment and Intergenerational Transfers: Liquidity Constraints of Family Environment?”, CREST Working Paper.

LENTZ, B.F. et D.N. LABAND (1990), “Entrepreneurial Success and Occupational Inheritance among

Proprietors”, The Canadian Journal of Economics,23(3), pp. 563-579.

LEWIS, W. (1954),“Economic Development with Unlimited Supply of Labor”, Manchester School of Economics and Social Studies,22, pp. 139-91.

MALONEY, W.F. (2004),“ Informality Revisited ”, World Development,32(7), pp. 1159-1178.

MORRISSON, C. (2006), “Structures familiales, transferts et épargne”, OCDE, Working paper,n° 255.

NEUMARK, D. (1988),“Employers’ Discriminatory Behavior and the Estimation of Wage Discrimination”,

Journal of Human Resources,23(3), pp. 279-95.

OAXACA, R. (1973), “Male-Female Wage Differentials in Urban Labor Markets”, International Economic

Review,14(3), pp. 693-709.

PACKARD, T.G. (2007), “Do Workers in Chile Choose Informal Employment? A Dynamic Analysis of Sector

Choice”, World Bank Policy Research Working Paper,No. 4232.

PASQUIER-DOUMER, L. (2010a),“Inequality of Opportunities in West-African Urban Labour Markets”,

DIAL Working Paper, DT/2010/09.

PASQUIER-DOUMER, L. (2010b), « Le rôle des réseaux sociaux dans les parcours de vie », In Peuplement

de Ouagadougou et développement urbain, Dir. Boyer F. et Delaunay D., Mimeo.

PRADHAN, M. (1995), “Sector Participation Decisions in Labor Supply Models”, LSMS Working Paper,

No. 113.

WALTHER, R. (2007),La formation professionnelle en secteur informel, , Notes et Documentsn° 33,

Documents relatifs