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Pierre Nguetse Tegoum

Introduction

[ 40 ] Avec cette étude, l’auteur a remporté le premier prix du Concours international Jan Tinbergen édition 2009. Ce Prix récompense les meilleurs articles rédigés par les jeunes statisticiens originaires des pays en développement. Il est organisé par l'International Statistical Institute (http://isi.cbs.nl/awards-prizes.htm). L’étude a bénéficié de l’appui technique de l’Institut national de la statistique du Cameroun et de l’Observatoire économique et statistique d’Afrique subsaharienne (AFRISTAT). L’auteur remercie particulièrement Siriki Coulibaly, Aude Vescovo et Christophe Nordman pour leurs con- tributions.

vailleurs qui, à son tour, détermine l’état de pauvreté des ménages. En effet, le niveau d’instruction influence le revenu horaire des travailleurs de tous les secteurs institutionnels (public, privé formel, informel non agricole et informel agricole). Par exemple, dans le secteur informel agricole, le revenu horaire moyen d’activité principale passe de 80 FCFA chez les non scolarisés à 223 FCFA chez les travailleurs ayant un diplôme de niveau bac- calauréat ou supérieur (INS,ibid.). Par ailleurs, le niveau d’instruction du chef de ménage influe significativement sur la probabilité pour un ménage d’être pauvre (INS, 2002). En outre, l’éducation joue un rôle important sur le mode d’insertion des individus sur le marché du travail au Cameroun : le taux de chômage et sa durée augmentent avec le niveau scolaire (INS, ibid.).

L’objectif principal de ce chapitre est d'évaluer le gain d'un travailleur du secteur informel, en termes de revenus, d’avoir suivi le cycle d'éducation primaire avec succès, c'est-à-dire d'avoir obtenu au moins le certificat d’études primaire (CEP) ou un diplôme équivalent. Ensuite, il s’agit d’estimer les bénéfices du premier cycle d’enseignement secondaire (obtention du brevet d’études du premier cycle : BEPC).

Pendant longtemps, comme le constate Ben- nell (1996), les articles portant sur les béné- fices de l’éducation dans les pays en voie de développement se sont limités aux travail- leurs du secteur formel en ignorant le secteur informel dans lequel les rendements sont supposés très faibles. Ensuite, le rôle de l'édu- cation primaire dans les revenus du secteur informel a été reconnu avec, parfois, la réserve émise que l'éducation primaire n'avait un im- pact sur les revenus du secteur informel que

si le cycle primaire était achevé (3 années de primaire ne valaient pas mieux que 0 année, ce qui comptait était l’achèvement du cycle). Ces conclusions ont poussé les organisations internationales à militer pour l'achèvement du cycle primaire au détriment de la sensibili- sation pour l'éducation secondaire. Aujour- d'hui, le rôle de l'éducation secondaire sur les revenus du secteur informel commence à être mis en évidence (Kuepie et al.,2009). Dans la pratique, deux types de méthodes d'évaluation d'impact existent : les méthodes dites expérimentales et celles dites quasi ex- périmentales ou non expérimentales. Pour les premières comme pour les secondes, on distingue deux groupes : un groupe « traité » constitué des individus ayant bénéficié du trai- tement (ici, ayant obtenu le CEP) et un groupe témoin (ou groupe de contrôle) comprenant les individus n'ayant pas bénéficié du traite- ment (ici, n'ayant pas obtenu le CEP). Lorsque l'exposition au traitement est aléatoire (cas des méthodes expérimentales), l’analyse de l’impact d’une politique peut être mesuré simplement en comparant le résultat moyen des deux groupes (ici, le revenu moyen des deux groupes). Quand le traitement n'est pas aléatoire, ce qui est le cas ici, cette simple comparaison est biaisée. C'est pourquoi la méthode MCO proposée par Mincer (1962), naïvement utilisée, conduit à des estimateurs non convergents du fait de l'endogénéité de l'éducation (Heckman et al., 1998; Blundell

et al., 2001 ; Sianesi, 2002). En effet, il existe des variables influant à la fois sur le fait d'obtenir le CEP et le niveau du revenu. Il est alors néces- saire de recourir à des méthodes d'évaluation d'impact prenant en compte les différences

ex antede la variable d’intérêt entre les indivi- dus du groupe traité et les individus du groupe

témoin ; c’est la sélection au traitement. Ces méthodes sont : la méthode d'appariement, la méthode des variables instrumentales, les modèles de sélection et la méthode de dou- bles différences.

L'atout de la méthode d'appariement est qu'elle est non paramétrique, et n’émet donc pas d'hypothèse sur la distribution des reve- nus et des résidus. Cependant, elle repose sur l'hypothèse que la sélection s'opère sur la base de critères observables (i.e. que tout ce qui différencie un individu ayant le CEP d'un autre ne l'ayant pas est observé). Cette hypothèse est très forte. En effet, il peut exister des varia- bles inobservables influant le cursus scolaire et les gains (le quotient intellectuel, par exem- ple). Pour contourner cette hypothèse, il faut disposer de beaucoup de variables décrivant l'état de l'individu avant le traitement et pré- disant la probabilité d'obtention du CEP. Accepter ce choix méthodologique résout trivialement le problème d’endogénéité du modèle. Ainsi, il n'est pas nécessaire de dis- poser d'un instrument, contrairement à la mé- thode des variables instrumentales (MVI)[ 41 ]

qui, elle, nécessite de disposer d'au moins un instrument qui influe sur l'éducation mais qui n'influe pas sur le revenu autrement que par le biais de l'éducation. L’appariement ne né- cessite donc pas les variables instrumentales. Le matchingpar score de propension permet de résumer l'information contenue dans un grand nombre de variables expliquant l'expo- sition au traitement en une probabilité d'être traité (Rosenbaum et Rubin, 1983).

En revanche, cet appariement présente cer- taines limites : l’obtention de la condition d’in- dépendance, qui permet l’identification des paramètres, peut requérir l’introduction d’un grand nombre de variables de conditionne- ment qui ne sont pas toujours accessibles. La pertinence de l’analyse est aussi réduite dans la mesure où les possibilités d’appa- riement d’un individu à l’autre se réduisent lorsque l’on explique de mieux en mieux l’af- fectation au traitement. De plus, la méthode d’appariement sur observables présente un ca- ractère mécanique qui fait reposer l’évaluation sur une propriété purement statistique, en pratique difficile à justifier à partir du com- portement des agents. (Crépon, 2005). Il peut être préférable de modéliser les revenus po- tentiels des travailleurs et le parcours scolaire des individus de façon jointe. On parvient alors au modèle de sélection sur inobservables qui est un modèle paramétrique.

Cette étude est scindée en deux parties : la première est consacrée à la présentation des données utilisées et des caractéristiques des travailleurs du secteur informel ; la seconde présente les résultats des estimations avant de conclure. La présentation détaillée des méthodes d'estimation économétriques de l'impact de l'éducation sur les revenus des travailleurs du secteur informel utilisées se trouve en annexe.

[ 41 ] Voir Altonji et Dunn (1996) et Behrman et Stacey (1997) pour des exemples d’application des MVI dans l’estimation des rendements de l’éducation.

2.2.1. Les données et quelques

statistiques descriptives

du marché du travail

Présentation de l’enquête

[ 42 ]

Les données utilisées sont issues de l’EESI réalisée en 2005 par l’Institut national de la statistique (INS) du Cameroun. Il s’agit d’une opération statistique d’envergure nationale à deux phases : lors de la première phase, sont collectées les caractéristiques sociodémogra- phiques et les données sur l’emploi ; la seconde est une enquête menée auprès des unités informelles non agricoles identifiées au cours de la première phase. La méthodologie de l’en- quête EESI est en fait celle des phases 1 et 2 d'une enquête du type 1-2-3 (la phase 3 rela- tive à la consommation des ménages est ici absente). Seules les données de la première phase sont utilisées ici.

La base de sondage utilisée pour l'enquête est issue des travaux cartographiques du troi- sième recensement général de la population et de l’habitat datant de 2005. Un échantillon de 8 540 ménages a été constitué, selon un plan de sondage stratifié (selon les dix provin- ces du pays et le milieu de résidence) à deux degrés.

La population en âge de travailler est, confor- mément aux recommandations internatio- nales, l'ensemble des individus de 15 ans et plus. Le concept de secteur informel retenu pour l’EESI est celui adopté par le système de comptabilité nationale de 1993 (ensemble de normes internationales visant à établir un cadre pour la production des statistiques des

comptes nationaux). La distinction entre sec- teurs est faite au niveau des entreprises, selon des critères d’enregistrement administratif et de tenue d’une comptabilité formelle. Les entreprises informelles (ou UPI) sont celles ne possédant pas de numéro de contribuable et/ ou ne tenant pas une comptabilité formelle. Les travailleurs du secteur informel sont les actifs occupés exerçant leur emploi dans les établissements informels.

Le secteur informel peut être subdivisé en deux segments : le secteur informel agricole et le secteur informel non agricole. Le secteur informel agricole regroupe les travailleurs des UPI agricoles, dont les activités principales sont : l’agriculture, l’élevage (y compris l’avi- culture) et la fabrication de produits d’origine animale, la chasse, la pêche et la pisciculture. Le secteur informel non agricole est constitué des travailleurs exerçant dans des UPI non agricoles (industrie, commerce, services). La variable de revenu utilisée dans les estima- tions est le logarithme du revenu horaire calculé sur la base du revenu mensuel déclaré et du nombre d'heures travaillées. Le revenu comprend le salaire, les primes de fin d'année, la participation aux bénéfices, les congés payés, et les avantages en nature. Chez les travail- leurs indépendants, il fait référence au béné- fice ou revenu mixte de l’unité de production. Chez les dépendants non-salariés (apprentis et aides familiaux), le revenu d’activité[ 43 ]est

la somme des avantages en espèces ou en nature reçus, s’ils présentent un caractère régulier.

[ 42 ] Extrait du document de méthodologie de l’EESI (INS, 2005b).

Statistiques descriptives

Le secteur informel camerounais concentre 89,4 % des travailleurs camerounais âgés de 15 ans et plus (tableau 13). Les travailleurs de ce secteur sont plus jeunes que ceux exerçant dans le secteur formel. L’âge moyen est de 31,4 ans dans le secteur informel non agricole et de 37,2 ans dans le secteur agricole, contre 37,8 ans dans le secteur formel. Les femmes constituent la majorité de la main-d’œuvre du secteur informel : elles représentent la moitié de la main-d’œuvre des établissements infor- mels non agricoles et 53,1 % de la main-d’œuvre du le secteur primaire traditionnel. A contra- rio, dans le secteur formel, seulement un tra- vailleur sur quatre est une femme (24,4 %). Les travailleurs du secteur formel sont plus instruits et plus qualifiés que ceux du secteur informel. Cependant, la main-d’œuvre du sec- teur informel non agricole est relativement qualifiée puisque 56 % des travailleurs de ce secteur ont au moins achevé le cycle d’en- seignement primaire avec succès, et 4 ,4 % d'entre eux ont obtenu le baccalauréat ou un diplôme d’enseignement supérieur. Mais Dans le secteur agricole, les travailleurs sont en moyenne moins éduqués, puisque pres- que trois quarts d'entre eux n'ont pas obtenu le CEP.

Le nombre d'heures travaillées par semaine est plus élevé dans le secteur informel non agricole que dans le secteur informel agricole, du fait sans doute que les activités agricoles sont davantage contraintes par la durée du jour. De plus, l'effet de la possession du CEP est différent dans les deux secteurs puisqu'il aug- mente le temps de travail hebdomadaire dans les activités non agricoles et le diminue dans les activités agricoles. Les travailleurs du secteur formel travaillent en moyenne plus que ceux du secteur informel.

Le revenu moyen (mensuel ou horaire) dans le secteur informel non agricole est plus de deux fois supérieur à celui du secteur agricole. La possession du CEP augmente le revenu ho- raire moyen de 38 % dans le secteur informel non agricole et de 79 % dans le secteur infor- mel agricole (non seulement le travailleur de l'informel agricole gagne plus s'il est diplômé, mais en travaillant moins). Les revenus dans le secteur formel sont très élevés comparés à ceux du secteur informel : un travailleur du sec- teur formel gagne en moyenne 3,9 fois plus qu’une personne exerçant dans le secteur informel non agricole et 8,8 fois plus qu’un travailleur du secteur agricole.

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