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de migration rurale-urbaine ; présentation rapide du cas

du Vietnam

Les recherches existantes sont largement représentées par des études théoriques sur les migrations rurales-urbaines. Elles se sont concentrées principalement sur la question de la redistribution de la main-d’œuvre dans l'espace, depuis les zones rurales – où il existe un surplus de main-d’œuvre dans le secteur agricole à faible revenu – vers les centres urbains (Lewis, 1954 ; Todaro, 1969 ; Harris et Todaro, 1970 ; Fields, 1975). Différentes séries de modèles ont été formulées, dans le but de styliser le phénomène de migration rurale-urbaine, mais aussi d'étudier le lien avec le marché du travail urbain. Les premiers travaux théoriques sur la migration rurale- urbaine sont représentés par le modèle de développement de Lewis (ibid.). Dans son optique, les flux de migrations des zones rurales vers les zones urbaines étaient accom- pagnés d'un mouvement de la main-d’œuvre entre le secteur traditionnel rural et le secteur industriel moderne. Les migrations se pour- suivent, jusqu'à ce que le surplus de main- d ' œ u v re (i . e. l e «c h ô m a g e c a c h é » ) s o i t absorbé par le secteur moderne. Cependant, à la fin des années 1960, on a observé que les

zones urbaines connaissaient des taux de chô- mage élevés et que le modèle de Lewis sem- blait donc inadapté à la description de l'inter- action rurale-urbaine (Lall et al.,2006). Tout en partageant l'idée de Lewis selon laquelle le secteur urbain tire une partie de sa main- d’œuvre du secteur rural, les concepts dé- veloppés par Todaro (1969) et Harris-Todaro (1970) sont très différents en termes de mo- délisation des résultats du processus de mi- gration. Les modèles de Todaro cherchent à expliquer l'existence du chômage urbain et son lien avec la migration rurale-urbaine ; l’idée de base de son modèle théorique étant que les emplois urbains sont plus attirants que le tra- vail agricole dans les zones rurales et que les migrations ont donc lieu parce que les tra- vailleurs ruraux cherchent des opportunités d'emplois attirantes dans les centres urbains. Toutefois, a contrariodes études théoriques o ù l e p ro ce s s u s d e m i g rat i o n d e l a m a i n - d’œuvre est généralement considéré comme un phénomène à une étape, l'auteur propose une « image plus réaliste» qui considère la mi- gration comme un phénomène à deux étapes. Selon ce déroulement, les emplois du secteur informel (appelé secteur traditionnel urbain) sont un moyen pour les migrants ruraux de « joindre les deux bouts » pendant la période de recherche d'emploi dans le secteur formel. À la première étape, les migrants ruraux non qualifiés passent tout d'abord un certain temps dans le secteur traditionnel urbain. La deuxième étape est atteinte lorsque le migrant trouve un emploi plus stable dans le secteur moderne. Le processus de migrations rurales- urbaines est donc ici considéré, à travers la recherche d'emploi, comme un mécanisme d'ajustement par lequel les travailleurs se ré- partissent entre différents marchés du travail.

F i e l d s ( 1 97 5 ) p ré s e nte , q u a nt à l u i , u n e fo r mule plus globale de ce processus de recherche d'emploi, et son modèle modifié donne un taux d'emploi à l'équilibre plus faible que celui du modèle original d’Harris-Todaro (1970). En effet, il incorpore la formule globale de recherche d'emploi dans le modèle d’Harris- Todaro et en détermine les effets sur le taux de chômage à l'équilibre. Quoi qu'il en soit, la plus remarquable contribution de Fields dans ce domaine est la combinaison du modèle de migration d’Harris-Todaro à l'introduction d'un secteur intermédiaire qui, selon sa des- cription, se caractérise par la facilité d'entrée et l'absence de relations stables employeurs- e m p l oyé s ( St i g l i t z , 1 974 ; Lu c a s , 1 9 97 ) . Ce secteur intermédiaire, proposé dans le mo- dèle de Fields, est considéré comme se rap- prochant fortement du secteur informel décrit par la mission du Bureau international du travail (BIT) pour l'emploi en 1972[ 22 ]. Dans

ce modèle, l'existence d'opportunités de revenus dans le secteur informel représente une nouvelle option pour les migrants ruraux. Ainsi, ils peuvent non seulement choisir de rester dans l'agriculture et d'être employés dans le secteur formel ou être au chômage dans les villes, mais aussi opter pour être dans le secteur informel tout en cherchant un meil- leur emploi, formel.

Un autre modèle proposant plus explicitement une sous-division du secteur urbain entre le formel et l’informel est celui de Gupta (1993). Son modèle analyse le fonctionnement du secteur informel – détermination du salaire et du prix du produit – à l’aide d’un modèle type Harris-Todaro de migrations rurales-urbaines.

A contrariodes anciens modèles todariens et

du modèle du secteur informel, le modèle de Gupta explique l'existence simultanée du sec- teur informel et du chômage recensé dans les zones urbaines. De surcroît, l'objectif premier de son modèle était d'étudier les effets des politiques de développement alternatives au niveau du secteur informel sur le chômage recensé dans le secteur urbain. Les résultats théoriques de ce modèle justifient la politique de subvention des prix vers le secteur infor- mel. Quant au rôle du secteur informel, le modèle de Gupta diffère des anciens modèles d’Harris-Todaro : pour le premier, il y a préva- lence d'un chômage urbain ouvert, même à l'équilibre de migration, et ce malgré l'existence du secteur informel. Le rôle du secteur infor- mel dans le processus de migration rurale- urbaine a été souligné davantage par la modé- lisation à l'équilibre général de Cogneau et al., (1996) pour le cas du Cameroun, et par Bhat- tacharya (1998) pour les pays asiatiques. Ce dernier introduit des éléments dynamiques et migratoires dans un modèle à l'équilibre gé- néral à trois secteurs qui incorpore systéma- tiquement un secteur informel. Les résultats simulés de ce modèle suggèrent des modifi- cations de composition de la migration rurale- urbaine dans le temps, et soulignent le rôle de l'emploi dans le secteur informel en tant qu'objectif pour les migrants ruraux.

Les modifications des modèles Harris-Todaro pour y inclure un secteur informel urbain po- sent d'importantes questions empiriques sur la nature de ce secteur et son rôle dans le pro- cessus de recherche d'emploi (Lucas, 1997). En sus, plusieurs études empiriques ont été menées pour tester la validité des hypothèses émises, notamment sur le rôle du secteur in-

[ 22 ] Cette mission du BIT au Kenya porte sur le secteur informel urbain, en plus du secteur formel à revenus élevés, en tant que source d'emplois et d'opportunités de revenus attirant des migrants potentiels de zones rurales.

formel dans le processus de recherche d'em- ploi (Banerjee, 1983 ; Meng, 2001 ; Florez, 2003). Dans une étude empirique cherchant à tester les modèles migratoires théoriques et le rôle d u s e c te u r i nfo r m e l d a n s ce p h é n o m è n e , Banerjee affirme qu'il y a deux grands types d’exercices : certaines études (Sabot, 1977 et Sethuraman, 1976 cités dans Banerjee, 1983) cherchent à estimer l'importance du secteur informel ; d’autres (Mazumdar, 1976 ; Oberai, 1977 ; etc.) cherchent à mieux connaître la répartition de l'emploi, de l'industrie ou du secteur dans lequel travaillent les migrants résidant en zones urbaines pendant des pério- des plus ou moins longues. Banerjee critique cet exercice, indiquant qu'il ne permet de comprendre que la structure et le fonction- nement du marché du travail urbain, mais qu’il n’est pas un test concluant de la prédic- tion des modèles de migration probabilistes. L'analyse de Barnerjee devait déterminer si les migrants qui entrent dans le secteur in- formel considèrent l'emploi dans ce secteur comme un moyen de survie en attendant un travail dans le secteur formel. L'hypothèse de base testée par cette étude est que l'emploi dans le secteur informel est une étape pro- visoire pour les nouveaux migrants qui cher- chent un emploi dans le secteur formel. Cette étude fournit des données empiriques indi- quant que le processus de migration pré- s e nté p a r l e m o d è l e p ro b a b i l i ste s e m b l e irréaliste dans le cas de Delhi, et que plus de la moitié des entrants dans le secteur infor- mel a été attirée dans cette capitale par les opportunités que présentait en soi ce secteur. En outre, la mobilité réelle et potentielle du secteur informel vers le formel était faible. Cette question a également été posée plus tard par d'autres auteurs (Florez, 2003 ; Meng , 2001) mais, compte tenu du niveau de dis- ponibilité des données, les réponses à cette

question diffèrent en fonction des études. Florez cherche à prouver que le statut migra- toire est l’un des principaux déterminants du travail dans le secteur informel. Les résultats de cette étude indiquent que le statut migra- toire a de fortes répercussions sur la probabi- lité de trouver un emploi dans ce secteur ou d'être au chômage, notamment parmi les femmes. Meng , quant à lui, utilise une appro- che économétrique pour tester cette hypo- thèse. Au sein du modèle d’obtention d’em- ploi sont incluses une variable « expérience de travail en ville » ainsi qu’une variable muette indiquant la satisfaction ressentie par le tra- vailleur. Au cœur de cette approche se trouve l’hypothèse selon laquelle si « l’expérience du travail en ville» ou « la satisfaction de l’emploi» sont conséquentes et positivement liées à la probabilité de choisir et/ou d’être choisi dans le secteur informel, il est alors improbable que ce secteur représente un choix provisoire. Effectuons maintenant un rapide survol des études sur ce sujet au Vietnam. Il existe plu- sieurs études sur la migration des travailleurs des zones rurales vers les zones urbaines dans ce pays. Il est communément accepté que les travailleurs migrants ruraux sont attirés par les chances de gagner plus dans les grandes villes. En moyenne, les revenus urbains des deux plus grandes villes du pays (Hanoï et Ho Chi Minh Ville) sont cinq à sept fois plus importants que ceux des ouvriers agricoles des zones rurales (PNUD, 1998). Les recherches menées par Cu (2004) montrent aussi que les migrants ruraux vers les zones urbaines cherchent un nouvel emploi. Certaines études, tirant leurs résul- tats de l’enquête VMS 2004, montrent que les facteurs géographiques jouent un rôle dans cette composition, pour les migrants en- trants du delta du fleuve Rouge et des régions nord-est. Cela dit, pour les nombreux migrants

ruraux vers la région du sud-est, la distance géographique n’est pas un obstacle à la migra- tion. Les facteurs économiques, comme les revenus ou les opportunités d’emploi, sont plus importants, eu égard à la migration des travailleurs ruraux d’autres provinces éloignées vers cette région (CIEM, 2006). Ainsi, environ 19 % des travailleurs migrants vers cette région proviennent de la province du delta du fleuve Rouge. La probabilité que les tra- vailleurs d’un certain âge migrent vers les villes pour chercher un emploi est plus forte. Les carences en formation à l’emploi des migrants ruraux-urbains, même dotés d'une assez bon- ne éducation théorique, leur posent des pro- blèmes pour décrocher des emplois sur le marché du travail urbain (Cu C. L., 2004). La composition de la migration dans les provinces du nord se caractérise aussi par le meilleur niveau scolaire des migrants des provinces du delta du fleuve Rouge que ceux d’autres régions – plus spécifiquement, plus de 45 % des migrants entrants à Hanoï sont allés au lycée, selon ADB-M4P, 2007. Néanmoins, les études existantes sur la migration des travail- leurs ruraux vers les zones urbaines se basent principalement sur des statistiques descrip- tives donnant des renseignements sur la répartition des migrants par emploi (voir par exemple Djamba et al.,1999 et UNFPA, 2007). Aucune étude, pour l’instant, n’a spéci- fiquement abordé la question des migrations rurales-urbaines et de leurs liens au marché du travail urbain, et plus particulièrement du rôle de l'emploi informel dans le processus migratoire au Vietnam. Certains résultats sur cette question sont principalement tirées d’études sur certains types de travailleurs

migrants transitoires dans les zones urbai- nes, comme les vendeurs de rue (Jensen et Peppard Jr., 2003 ; MDB, 2007).

1.3.2. Données et statistiques

descriptives

Données

Les données utilisées dans cette section sont t i ré e s d e l ’ e n q u ête s u r l e s m i g rat i o n s a u Vietnam menée par l’OGS en 2004. Cette enquête avait pour but de mieux compren- dre les éléments suivants : le processus de migration (y compris la décision de migrer), les étapes que représente cette migration, et les différences de situation entre les migrants et les non-migrants au lieu de destination (OGS, 2005). Au total, environ 10 000 personnes ont été questionnées (5 000 migrants et 5 000 non-migrants). Tous les participants à l’enquête avaient entre 15 et 59 ans. Les migrants étaient définis comme des personnes âgées de 15 à 59 ans ayant déménagé d’un district à un autre dans les cinq années précédant l'enquête[ 23 ].

Comme indiqué dans l’introduction, notre étude se restreint aux quatre provinces du delta du fleuve Rouge : Hanoï, Haï Phong , Haï Duong et Quang Ninh. La logique de cette décision d’enquêter sur les migrations rurales- urbaines et l’emploi informel dans cette ré- gion se base sur sa spécificité. En effet, cette région est l'une des régions préférées des migrants. Quant à la migration rurale-urbaine en tant que telle, le delta du fleuve Rouge, avec la région du sud-est, connaît l'un des flux migratoires ruraux-urbains les plus importants : les plus grandes villes du pays s’y trouvent, ainsi que les plus grandes zones industrielles

[ 23 ] Comme le précise l’enquête, pour Hanoï, Haï Phong et Ho Chi Minh Ville, les personnes ayant déménagé d’un quartier de la ville à un autre ne sont pas couvertes par cette définition.

(Cu, 2004). Hanoï, capitale du Vietnam, a con- nu une transition formidable depuis leDoi Moi[ 24 ], par un phénomène d’urbanisation

rapide. En outre, le développement de plus en plus important du marché a engendré des liens entre les économies rurales et urbaines, à travers lesquels de nouvelles opportunités d’emploi existant au-delà des frontières géo- graphiques et administratives se sont fait con- naître (Dang , 2001). Les trois autres provinces étudiées sont celles où se trouve un grand cen- tre urbain et dont les faubourgs connaissent une urbanisation rapide. Les données du re- censement de 1999 montrent que Haï Phong est l’un des quatre grands centres urbains accueillant des migrants d’autres provinces. De plus, la forte densité de centres et pôles industriels dans la zone économique du nord- est en fait une destination attirante pour les travailleurs d’autres provinces.

Puisque l’enquête de 2004 a été conçue pour incorporer des données permettant de dif- férencier le type géographique du point de départ et de destination des migrants, qua- tre types de migrants peuvent être définis : ruraux-ruraux, ruraux-urbains, urbains-ruraux et urbains-urbains. Or, l’objectif de notre étude étant d'enquêter sur la participation et les revenus des migrants ruraux, par rapport à d'autres participants au marché du travail urbain sur les lieux de destination, nous lais- sons de côté deux types de migrations (rurale- rurale et urbaine-rurale) dans l’échantillon que nous analysons. En conséquence, notre échantillon inclut les migrants ruraux, les mi- grants urbains et les non-migrants urbains. Les personnes employées, sans emploi ou inactives sont identifiées selon la définition usuelle :

une personne est considérée comme sans emploi si elle ne travaille pas et si elle a recher- ché activement du travail depuis une période donnée. Pour notre enquête, une personne est donc identifiée comme sans emploi si elle répond « sans emploi et a besoin d'un emploi ». Nous employons une donnée indirecte pour l’emploi informel, défini comme des personnes travaillant mais ne disposant pas de contrat de travail. Or, l’absence de contrat de travail signi- fie également qu’il est plus improbable que le travailleur bénéficie de la sécurité sociale et d’autres prestations. Les renseignements sur ce sujet, tirés d’une question posée dans l’en- quête de 2004 (où l’on demandait au partici- pant s’il disposait de prestations dans le cadre de son emploi « actuel»), confirment cette hypothèse : parmi les travailleurs indiquant qu’ils n’avaient pas signé de contrat de travail, plus de 90 % précisaient qu’ils ne disposaient d’aucune prestation.

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