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I.7. Poids et mesures

I.8.4. Autres provenances

En dehors de la Chine et de l’Inde, les témoignages de relations commerciales du Cambodge avec l’étranger restent très rares dans les inscriptions du Cambodge et il faudra essentiellement s’en remettre aux données de fouilles.

En ce qui concerne les provenances les plus éloignées, on rappellera avant tout que, bien que relativement rares, un certain nombre de tessons de céramiques provenant du Moyen-Orient ont été exhumés dans la région d’Angkor. Le site palatial de Prei Monti en a par exemple livré un nombre inhabituellement élevé. Ces fragments pourraient correspondre à des jarres iraniennes de Siraf des VIIIe-IXe siècles de notre ère

(MAFKATA 2007, p. 17)282

.

La lecture du terme ’ar(th/b)iya, qui qualifie un diadème en cuivre dans l’inscription K. 936 N, est très incertaine (mukuṭa I laṅgau ’ar(th/b)iya ; l. 1 ; IX-Xe śaka ; cf. p. 447). ’Arthiya comme ’arbiya ne sont pas attestés dans les inscriptions, et il

est donc difficile de trancher, mais la lecture th proposée dans un premier temps nous paraît très douteuse ; le ba en revanche paraît effectivement envisageable, même si la forme utilisée ici est d’ordinaire plutôt réservée aux souscrites (ill. 217, p. CIX). En admettant cette lecture, il est tentant d’y voir une façon de transcrire l’arabe al ʿarabīya qui indiquerait alors une provenance « arabe » de ce diadème en cuivre283

. Cette interprétation reste incertaine, d’autant que le khmer moderne n’a pas conservé cette forme, mais si elle était confirmée, nous aurions là une unique preuve du fait que les produits importés en provenance du Moyen-Orient, peut-être via l’Indonésie, ne se limitaient pas à des céramiques.

Il est assez étonnant qu’aucun produit manufacturé provenant des plus proches voisins du Cambodge – Cams, Vietnamiens, Môns, etc. – n’ait été pour l’instant relevé dans les inscriptions. En effet, si le Campā par exemple apparaît assez régulièrement dans les inscriptions, c’est essentiellement en raison des relations conflictuelles qu’il entretenait avec le Cambodge, comme c’est le cas dans l’inscription K. 227, par exemple, qui rapporte des faits d’armes khmers au Campā (CŒDÈS 1929 [b], p. 309-315).

En ce qui concerne d’éventuelles relations commerciales avec les Vietnamiens, Claude Jacques a déjà fait remarquer que la rareté des attestations de yavana284

était sans doute liée « à l’éloignement des deux pays et au fait que les rapports entre les Vietnamiens et les Khmers n’ont guère été à l’avantage de ces derniers » (JACQUES

282 Ce type de mobilier n’est pas inédit en Asie du Sud-Est : un certain nombre d’exemples en ont par exemple été étudiés sur le site de Barus à Sumatra (DUPOIZAT 1998 & 2005 ; ill. 72, p. XXXV).

283 Nous tenons à remercier Arlo Griffiths qui nous a suggéré cette lecture et invité à réfléchir à cette interprétation.

284 Le terme sanskrit yavana, littéralement « étranger », est utilisé dans les inscriptions cams pour désigner les Vietnamiens. Au Cambodge, c’est également le cas de son dérivé moderne yûon. Au contraire de George Cœdès, Claude Jacques considère qu’il est peu probable que la stance CLXVI de la stèle de Preah Khan (K. 908) fasse référence aux Vietnamiens lorsqu’elle évoque la vassalité des Yavana aux côtés de celle des Cams et des gens de Javā. Selon lui, il est possible que, dans certaines inscriptions angkoriennes, ce terme désigne les Yuans du Nord de la Thaïlande (JACQUES 2005, p. 16, 28).

2005, p. 26). Cette remarque est également valable pour la forme khmère de yavana,

yvan, qui n’apparaît qu’une fois, dans l’inscription K. 105285

, où il est fait mention d’une esclave achetée à un yvan de Kaṃvaṅ Tadiṅ pour être donnée à une divinité (tai kaṃvai

ti duñ nu prāk ta yvan kaṃvaṅ tadiṅ ; l. 28-29 ; 909 śaka ; IC VI, 183). Cependant, il est

encore possible que yvan désigne d’autres « étrangers » que les Vietnamiens à cette époque, comme cela est le cas de yavana selon Claude Jacques. Par ailleurs, le toponyme auquel il est associé est khmer et il serait donc bien imprudent d’affirmer qu’il s’agit d’une « importation » de serviteurs.

Enfin, il nous reste à évoquer Javā, pays pour lequel nous disposons de l’unique mention d’un objet importé d’un pays proche du Cambodge. Elle apparaît encore une fois dans l’inscription K. 947 A : on y relève en effet l’objet suivant : vodī caṃdoṅ prak

garop prak taṃve javā I jyaṅ 4 liṅ II, « 1 vodī [pourvu d’]un bec en argent, avec un

couvercle en argent, travail de Javā, [pesant] 4 jyaṅ, 2 liṅ » ; comme on le voit, on retrouve encore une fois le terme taṃve (l. 26 ; cf. p. 536). Il est inutile d’insister ici sur l’importance de ce javā et sur le fait que sa localisation a fait l’objet de nombreuses discussions, en particulier en raison de son implication dans l’histoire de Jayavarman II, rapportée par l’inscription de Sdok Kak Thom (K. 235 C, l. 61, 72 ; 974 śaka ; SAK-HUMPHRY 2005, p. 96, 102 ; CŒDÈS & DUPONT 1943, p. 87, 106, n. 1, 107-108).

Comme on le sait, l’identification de ce pays pose quelques problèmes : alors que certains auteurs, à commencer par Cœdès, considèrent qu’il s’agissait manifestement de l’actuelle île de Java, d’autres, comme Claude Jacques, relèvent que cette île est en général nommée Yava ou Yava-dvīpa, « l’île de Yava » dans l’épigraphie. C’est notamment sous ce nom qu’elle est mentionnée non seulement au Cambodge – dans l’inscription K. 809 S (l. 20 ; 974 śaka ; IC I, p. 37) – mais également assez tôt dans l’épigraphie javanaise (inscription de Canggal, st. VII ; 732 A. D. ; CHHABRA 1965, p. 46)286

.

Cette nouvelle occurrence n’apporte malheureusement aucun élément permettant de localiser ce Javā. Cependant, il est intéressant de noter que ce pays entretenait

285 On notera toutefois que la forme kañyvan apparaît à plusieurs reprises comme anthroponyme.

286 À ce sujet, on se reportera notamment à JACQUES 2005 (p. 18-24), article dans lequel sont rapportées les occurrences de javā dans le corpus épigraphique khmer. Aucune des occurrences khmères ne se rapporte à des objets manufacturés. Claude Jacques y présente également les différentes hypothèses au sujet de ce toponyme et considère que Javā, vraisemblablement un royaume vassal du Cambodge, pourrait être situé dans le nord de la péninsule Malaise.

manifestement des relations commerciales avec le Cambodge moins d’un siècle après que Jayavarman II ait effectué un rite destiné à permettre au royaume khmer de se dégager de sa tutelle.

Ainsi, on voit que les mentions de biens d’origine étrangère restent assez rares dans les inscriptions alors que les témoignages archéologiques d’imports sont relativement nombreux, au moins en ce qui concerne la céramique pendant la période angkorienne. Cependant, les quelques occurrences relevées invitent à penser que les imports ne se limitaient pas à elles. Ainsi, en plus des quelques réflexions que cet inventaire a pu inspirer, on retiendra que la provenance des objets est encore un bon exemple des limites des études statistiques portant sur les occurrences relevées dans des inscriptions, puisque les données concernant les objets – à commencer par la provenance – ne sont que rarement précisées et que seuls les objets précieux y étaient cités, au détriment notable de la céramique.