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I.7. Poids et mesures

I.8.2. Imports indiens

De façon naturelle, nous évoquerons ici en premier lieu les imports indiens mentionnés dans les inscriptions. On sait que les échanges commerciaux entre l’Inde et l’Asie du Sud-Est ont commencé très tôt, dès les premiers siècles de notre ère, et l’importance de ces transactions dans le processus d’indianisation qu’a connu cette région depuis n’est plus à démontrer270

. Au Cambodge en particulier, les témoignages ne manquent pas pour attester le fait que des contacts réguliers ont influencé la

civilisation khmère à tous les niveaux.

Ces échanges commerciaux étaient sans doute assez variés : on a déjà signalé que certaines gemmes introuvables au Cambodge provenaient vraisemblablement du sous-continent ou y avaient en tout cas transité, mais quelques témoignages prouvent également une importation régulière de produits manufacturés.

En ce qui concerne les objets de culte qui sont au centre de notre étude, on notera que Bernard Philippe Groslier avait exhumé, sur le site de Sambor Prei Kuk, de grandes quantités de céramiques complètes aux cols sciés ou aux fonds brisés qu’il supposait être la vaisselle sacrée du temple, sacrifiée « à l’occasion d’un événement exceptionnel ». Il notait que la forme de la majorité de ces vases était incontestablement d’origine indienne et supposait qu’il s’agissait de copies de modèles métalliques importés (B. Ph. GROSLIER 1995, p. 15). Il remarquait également que cette source d’inspiration avait été abandonnée, notamment pour être remplacée par des influences chinoises dès la fin du IXe siècle (ibid., p. 23), mais cela n’implique pas que les échanges commerciaux avec l’Inde aient cessé pendant la période angkorienne. Bien que relativement rares, c’est en effet justement de cette époque que datent tous les témoignages d’imports indiens dans les inscriptions khmères.

Trois termes désignant l’Inde sont attestés dans les inscriptions. Le premier kliṅ,

khliṅ, est un dérivé du sanskrit kaliṅga qui désigne à l’origine une région située au sud

de l’Orissa, et l’Inde par extension, pour les khmers. Il n’apparaît que ponctuellement dans l’épigraphie, le plus souvent comme anthroponyme ou toponyme, mais également pour qualifier un dignitaire « hindou » dans l’inscription K. 9 (l. 17 ; 561 śaka ; IC V, p. 3).

Le second, terme est madhyadeśa, « le pays du milieu », et désigne également à l’origine une région de l’Inde, le centre de la plaine indo-gangétique (DSF, s. v.,

p. 549). Cependant, s’il fait peut-être référence à l’Inde dans certaines inscriptions271

, il semble que ce terme renvoie parfois à d’autres régions. C’est en tout cas certainement le cas à la stance XX de l’inscription K. 1198272

, dans laquelle un dignitaire fonde une

271 C’est par exemple probablement le cas lorsque ce Madhyadeśa désigne le lieu de naissance d’un « śaiva nommé Śakrasvāmin, connaissant à fond les doctrines Vedānta et Taittirīya » dans l’inscription K. 904 (st. III ; 635 śaka ; IC IV, p. 58, 61).

272 Séminaire de Gerdi Gerschheimer et Claude Jacques, juin 2008 ; la partie sanskrite de cette inscription est encore inédite.

agglomération dans le Madhyadeśa ; si aucun élément ne permet dans cette inscription de localiser ladite région, il reste très probable qu’il ne s’agisse pas du sous-continent. Comme kliṅ, il ne désigne jamais, a priori, la provenance d’un objet.

En effet, le seul terme utilisé pour préciser l’origine indienne des possessions du dieu est également le plus général : deśa, « le pays », en sanskrit. Il est le plus souvent utilisé dans un sens général, comme dans l’inscription K. 351 où il est dit à propos d’une fondation : nau ’nak ta pradhāna ta noḥ deśa noḥ gi ta paripālana, « ce sont les gens qui sont notables dans ce pays qui la gardent » (l. 12-13 ; 914 śaka ; IC VI, p. 191). C’est également le cas à la ligne 23 de la face B de l’inscription K. 697 à propos d’un don de commune : ’añ ’oy sruk deśa neḥ phoṅ, « j’ai donné tous ces villages et pays » selon Cœdès (IXe śaka ; IC VII, p. 94), mais que l’on pourrait également traduire par « j’ai donné toutes les communes de ce pays ». Quoi qu’il en soit et bien qu’il s’agisse d’un cas isolé, deśa semble être ici une subdivision territoriale à distinguer du sruk, peut-être d’une taille supérieure.

Cependant, lorsque ce terme est utilisé pour qualifier un objet, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une importation et donc que c’est à un pays étranger, et plus précisément à l’Inde qu’il est fait référence. En effet, comme le fait remarquer Saveros Pou, deśa est conservé en moderne (des /tẹẹh/) dans des noms de produits indiens, bien que son sens soit perdu. On le retrouve notamment dans le nom du calicot, ou dans des noms de plantes auxquelles on attribuait une origine indienne (NIC II-III, p. 229, n. 6, p. 255, n. 25).

Les premières importations indiennes mentionnées dans l’épigraphie correspondent justement à des textiles. Elles sont citées à la ligne 33 de l’inscription K. 618 (Xe śaka ; FINOT 1928, p. 56 et NIC II-III, p. 226). Il s’agit, d’une part, de « sampot indien », canlyak deśa et, d’autre part, de « tentures doubles indiennes », vlaḥ

phnaṅ deśa. On notera que Saveros Pou précise dans les deux cas qu’il s’agit de

cotonnades indiennes. Cette interprétation, manifestement influencée par le terme moderne désignant le calicot, est possible ; cependant aucun élément ne précise spécifiquement le type d’étoffes dont il s’agit, et il nous semble donc prudent de conserver une traduction plus neutre.

Enfin, on peut également relever trois témoignages d’autres types d’objets manufacturés : tanlāp deśa I, « une boîte indienne », et vān deśa I, « une coupe

indienne » dans l’inscription K. 669 C (l. 17, 18 ; 894 śaka ; IC I, p. 170, 184) ainsi que

pra’apa deśa I, « un coffret273

indien », dans l’inscription K. 1198 B (l. 16 ; 936 śaka ;

NIC II-III, p. 243). Dans les deux premiers cas, Cœdès avait conservé la traduction plus

prudente « d’origine étrangère ». Comme on l’a dit, il nous semble très vraisemblable de supposer qu’il s’agissait bien d’imports indiens, mais cette traduction a au moins le mérite de mettre en avant le fait que le Cambodge n’entretenait pas des rapports commerciaux exclusivement avec le sous-continent.