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I.7. Poids et mesures

I.7.4. Instruments de mesure de poids

Enfin, il faut également souligner ici qu’il n’est pas très étonnant que la plus petite mesure khmère, le sliṅ de 0,37 g, ne soit que rarement utilisée. Si cette valeur est exacte, il est logique que cette unité ne soit employée que dans les inscriptions les plus détaillées, telle K. 947, ou dans le cas d’objets de très petite taille. C’est le cas par exemple d’un gobhikṣa, objet non identifié mentionné par l’inscription K. 374 qui pèserait 1 sliṅ d’or (l. 15 ; 964 śaka ; IC VI, p. 251). La connaissance de son poids n’est naturellement pas suffisante pour l’identifier, mais permettra peut-être d’orienter les recherches vers certaines catégories d’objets, des bijoux par exemple.

Ces valeurs paraissent acceptables, mais seule une autre valeur témoin permettra de confirmer ce résultat. Il faut signaler qu’un autre étalon de mesure est connu dans l’épigraphie khmère, mais n’a pas encore pu être exploité. L’inscription K. 504 rapporte en effet qu’une bhāra et 2 tulā de bronze ont été utilisées, vraisemblablement pour fondre le Buddha sur la base duquel est inscrit le texte (K. 504, l. 3 ; 1105 śaka ; RS II, p. 46). Malheureusement, à notre connaissance, cette statue n’a pas encore été pesée. On ne peut alors qu’espérer que cette mesure pourra être effectuée prochainement au musée de Bangkok où la statue est actuellement conservée.

I.7.4. Instruments de mesure de poids

Le nombre de subdivisions d’unités de poids et la petite taille des dernières d’entre elles impliquent l’utilisation d’instruments de pesage assez précis que nous souhaiterions évoquer brièvement ici. Deux types de balances sont attestées au Cambodge à date ancienne.

251 On verra que la suite de notre étude nous a donné l’occasion de tester la validité de ces valeurs sur plusieurs objets dont les poids sont donnés à des époques différentes. Il est encore trop tôt pour exploiter ces données, mais il faut signaler que les estimations de poids mentionnés, en particulier à l’époque préangkorienne, confirment souvent le sentiment que ces valeurs ont beaucoup évolué dans le temps.

En ce qui concerne le premier type, nous ne pouvons que rappeler les données déjà présentées par George Groslier dans ses Recherches sur les Cambodgiens (1921, p. 27-28). Il avait alors identifié une représentation de balance dans une scène de marché des bas-reliefs du Bayon (ill. 66, p. XXXII). Il s’agit d’une balance « chinoise » ou « romaine » d’un type encore en usage au Cambodge jusqu’au début des années 70 (MARTIN 2008, p. 507, 513, photos 2 et 3). Elle est composée d’un fléau vraisemblablement gradué, à l’extrémité duquel était disposée une charge, et sur lequel on déplaçait un poids (ill. 67.C, p. XXXIII).

Il rapportait également qu’un exemplaire en bronze de petite taille de ce type de fléau, qu’un décor de nāga monocéphale rattacherait nettement à la période angkorienne, avait été trouvé dans la région d’Angkor ; il le décrit en ces termes252

:

« l’aiguille plate portait un couteau en cuivre rouge qui subsiste en partie. Le plateau s’attachait probablement à des fils liés à l’anneau placé sous la tête du Nāga. La pièce de métal formant cadran et qu’il est facile d’imaginer d’après les balances des bijoutiers modernes, et le plateau, si plateau il y eut, n’ont pas été retrouvés. Ce modèle est donc une variante du précédent [celui des bas-reliefs] et nous apprend qu’il existait autrefois comme aujourd’hui deux sortes de balances ; l’une à peser les denrées, l’autre les matières précieuses ».

Le deuxième type de balance attesté au Cambodge est un trébuchet à deux plateaux. Cet objet a d’abord été identifié dans la statuaire, comme attribut d’une divinité bossue non identifiée. À notre connaissance, le premier exemple en est signalé à l’est de la tour Sud du Phnom Krom dans le rapport de la conservation d’Angkor de juillet 1938. La main de droite de la divinité est posée sur son genou et tient ce qui semble être un fil relié à un trébuchet. Celui-ci est composé d’une tige horizontale à laquelle deux plateaux sont suspendus par des cordons253. Louis Malleret avait proposé d’identifier cette divinité à Kubera ou Kaccāyana (1969), mais cette hypothèse avait été contredite, à juste titre nous semble-t-il, par Jacques Dumarçay, qui renvoyait à des images bien identifiées de ces deux divinités, très différentes de ce dieu bossu (1971, p. 57, n. 7) ; aucune solution définitive n’a été proposée pour l’identifier à ce jour. Dumarçay rapportait à cette occasion la découverte d’une balance en bronze d’un modèle semblable dans un dépôt non daté comprenant l’outillage d’un orfèvre. Malheureusement, nous n’avons pu retrouver la trace de ces objets et leur ancienneté n’est de toute façon pas évidente254

.

252 On ignore l’origine exacte de cet objet, ni ce qu’il en est advenu (ill. 67.B, p. XXXIII).

253 Trois cordons par plateau dans l’exemple le plus détaillé, qui provient d’Angkor Vat (ill. 68, p. XXXIII).

Bruno Dagens rapporte qu’un modèle miniature en or de ce type de trébuchet suspendu par deux cordons aurait été retrouvé en 1967 par Bernard Philippe Groslier lors de la fouille du dépôt de fondation d’un temple situé au pied du Phnom Bakheng (DAGENS 2000, p. 132)255. Cependant, nous ne disposons d’aucune représentation de cet objet qui aurait été déposé à la conservation d’Angkor, et il est probable qu’il a été perdu pendant la guerre256

.

En plus des instruments de mesure, George Groslier mentionne la découverte de poids, qu’il est intéressant d’évoquer ici. Il s’agit de deux pièces de bronze « plates, inoxydables, superposables en pile, portatives », une octogonale et l’autre en forme d’étoile, pesant respectivement 35,2 g et 74,45 grammes. Groslier avait naturellement rapproché ces valeurs de celles du tael et du demi-tael chinois. Sachant l’importance des relations commerciales entretenues très tôt entre le Cambodge et la Chine, il avait supposé que ces unités étaient déjà utilisées à date ancienne. On a déjà dit que les valeurs des mesures de poids avaient vraisemblablement évolué, et qu’elles s’étaient probablement adaptées progressivement aux systèmes de mesures étrangères, pour des raisons commerciales. Si l’on s’en tient aux données de K. 1218, le tael chinois n’avait pas été pris en compte au début du XIe siècle de notre ère. Il semble donc que les poids mis au jour par Groslier étaient postérieurs à l’adoption du tael chinois ; il est alors d’autant plus regrettable que l’on ne connaisse pas le contexte stratigraphique dans lequel ils ont été découverts : pour autant que l’on sache, ils pourraient en effet être postérieurs à la période angkorienne.

Cependant, si la datation de ces deux objets est difficile, sinon impossible à établir, d’autres poids métalliques bien datés de la période angkorienne ont déjà été mis au jour au Cambodge. On pourra mentionner pour exemples les cas de poids en plomb de différentes formes, découverts à Srah Srang par Bernard Philippe Groslier ou à

Dagens, il s’agirait sans doute d’un trésor enfoui par un pillard et dégagé par des pluies abondantes (comm. pers., nov. 2008).

255 Plus précisément le prasat Bay Kaek (Bruno Dagens, comm. pers., nov. 2008).

256 On notera que les rapports de fouille ne mentionnent pas cet objet alors que le dépôt de fondation y est précisément décrit ; il comportait en effet un curieux dispositif : « Il consiste en un tube vertical de bronze, rigoureusement axial, soudé au centre d’une plaque d’argent carrée. Celle-ci reposait à son tour sur des plaques de bronze assemblées par feuillure rabattue. À l’angle Sud-Est, une brique calait les plaques de bronze. Le tube traversait un pilet de briques, monté par conséquent sur les plaques de bronze et d’argent, qui devaient soutenir le dé de dépôt de l’idole centrale » (RCA, année 1967 Prasat Bay Kaek Est). À ce dispositif s’ajoute bien un certain nombre de feuilles, mais rien qui rappelle la balance en or évoquée par Bruno Dagens.

Prasat Ta Muong par Christophe Pottier (ill. 19, p. IX). En ce qui concerne d’autres métaux, on pourra également signaler, entre autres, la découverte par Henri Marchal d’un lot de cinq petits lingots, « plats et vaguement ovales d’un métal ressemblant à de l’argent », dans une jarre en terre cuite, au cours du dégagement de l’angle Sud du

gopura Est de la quatrième enceinte de Preah Khan (JFCA, VII, juil. 1928-janv. 1930,

p. 118). L’usage de ces lingots n’a pas encore été établi avec certitude, mais on peut se demander dans quelle mesure il ne pourrait s’agir de poids étalons, ou tout simplement de « monnaies ». Les deux exemples de poids pyramidaux retrouvés à Prasat Ta Muong pèsent respectivement cinquante et soixante grammes, et ne correspondent donc à aucune des estimations que nous avons évoquées ou proposées. Quant aux lingots de Preah Khan, Marchal signale que l’ensemble pèse 860 g, ce qui est de peu d’utilité. Cette étude est donc l’occasion de souligner l’intérêt de documenter avec soin ce type de découvertes, si l’on souhaite alimenter la réflexion sur les mesures de poids du Cambodge ancien.

I.8. Provenances

Le dernier élément d’information précisé dans les listes de donations est la provenance des biens. On présentera plus loin le peu d’occurrences attestant des importations mais, dans la plupart des cas, aucune provenance n’est précisée et l’on serait tenté de penser qu’une majorité de biens étaient produits localement.