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Entre décor et forme : des vases et objets « à thèmes »

L’absence de description du décor que nous venons de signaler admet malgré tout quelques exceptions notables. Nous souhaiterions présenter ici une catégorie d’ornements tirant leur inspiration de la nature, qui revient en fait assez régulièrement dans les inscriptions. Nous verrons que ces ornements occupent une place à part au sein du décor puisqu’ils affectent souvent la forme même des objets.

I.5.1. Phytomorphes

Le dais sculpté (chlāk) d’un lotus (padma) de l’inscription K. 194 (cf. p. 94) constitue un premier bon exemple de cet usage. La popularité des ornements lotiformes n’a rien d’étonnant en Asie du Sud-Est, comme en Inde. On retrouve ponctuellement d’autres exemples de ce type dans les inscriptions, comme dans la partie sanskrite de l’inscription K. 156 (IXe śaka), dont voici l’édition et la traduction proposée par George Cœdès (st. XVIII ; IC V, p. 179-181) :

cāmīkaraṃ samudgena karaṅkaṅ kamalāṅkitam

nityotphullaṃ śriyaḥ padman dadau yasmai sa bhūpatiḥ ||

« Ce roi lui donna une coupe en or ornée de lotus avec sa boîte, et un lotus de Śrī, toujours épanoui. »

George Cœdès notait au sujet de la deuxième partie de cette stance : « Śrīpadma doit être le nom d’un vase en forme de lotus épanoui » (IC V, p. 182, n. 1). Cette interprétation est très vraisemblable, mais il nous semble que rien dans le texte n’invite explicitement à considérer que les deux premiers pāda de cette stance évoquent un autre objet. Nityotphullaṃ śriyaḥ padman pourrait donc tout simplement qualifier la coupe (karaṅka). Une traduction alternative serait alors : « Ce roi lui donna une coupe en or ornée de lotus avec sa boîte, qui est un lotus de Śrī, toujours épanoui ».

Au-delà de la simple gravure ornementale, il semble que ce décor tendait donc à faire ressembler l’objet lui-même à un lotus ; on retrouve la même distinction entre les deux coupelles présentées en annexe : alors que la première n’est ornée que d’une fleur sur le fond, les pétales incisés sur la panse de la deuxième tendent au contraire à métamorphoser la coupe en fleur (ill. 35, p. XVII). On peut même imaginer un objet plus complexe, comparable à la coupe lotiforme exhumée à Srah Srang par Bernard

Philippe Groslier, ou encore au vase support de l’inscription K. 1217 conservé à l’Asian Art Museum de San Francisco (ill. 36, 267, p. XVIII, CXXXVII). Dans ces deux exemples, la panse du vase est en effet composée d’un assemblage de huit pétales métalliques, complété dans le cas de K. 1217 par un décor floral sur le fond.

Si notre interprétation est possible, la nature de la « boîte » (samudga) qui accompagne cette coupe n’en reste pas moins énigmatique. Ce qui est intéressant, c’est que si le terme samudga peut effectivement désigner une « boîte ronde » en sanskrit, il peut également avoir le sens de « pointe de bourgeon ». On sait que de nombreux couvercles en céramique exhumés au Cambodge comportent des boutons de préhension en forme de bourgeon de lotus (ill. 37, p. XVIII et ROONEY 1984, p. 87). Une hypothèse serait alors de supposer que cette coupe était munie, non d’une boîte, mais d’un couvercle sommé d’un bouton de lotus. L’emploi de samudga dans un sens inhabituel – et un peu forcé, il faut le reconnaître – pourrait alors se justifier par un double sens permettant de comprendre « une coupe en or ornée de lotus avec un bourgeon ». Ce type de forme est bien attesté en céramique au cours de la période angkorienne ; l’inscription K. 156 aurait donc au moins le mérite de confirmer l’existence d’équivalents métalliques au IXe siècle de l’ère śaka (IX-Xe de notre ère).

Le vase de K. 156 n’est pas un cas isolé dans l’épigraphie. On rencontre ponctuellement ce type d’objets dans les listes de biens, même si leur nombre reste limité. Les termes présentés plus bas qui sont utilisés pour les décrire sont généralement khmers à l’exception du composé sanskrit puṣpabhājana, « un vase (en forme de) fleur », qui est également un des rares termes ne précisant pas à quel végétal il est précisément fait allusion. Dans l’unique occurrence où il est relevé, il s’agit d’un objet très particulier, puisqu’il est précisé : puṣpabhājana I sphaṭikaliṅga ta gi, « un vase (en forme de) fleur avec un liṅga en cristal dessus » (K. 136 ; Xe śaka ; IC VI, p. 285). George Groslier avait très justement proposé de le rapprocher d’une sorte de coupe à pied en céramique comprenant un liṅga de cristal en son centre (1921, p. 24, 120 et pl. 84, p. 137 ; ill. 20.2, p. X).

On connaît au Cambodge de nombreux exemples de décors floraux dans le mobilier exhumé ; ceci concerne des objets de nature très variée. Comme dans le cas des deux coupelles que l’on a évoquées, deux types de décors peuvent être observés. En premier lieu, il pouvait s’agir de simples éléments ornementaux gravés sans rapport

avec l’objet. Dans le cas d’objets métalliques, les techniques utilisées ont déjà été abordées : les motifs végétaux étaient obtenus par gravure ou ciselure et éventuellement par la technique du repoussé. Un bon exemple de cela est le plat en bronze de provenance inconnue, présenté en illustration (ill. 38.2, p. XIX). Enfin, ce décor pouvait également être prévu au moment de la fonte, comme c’est le cas des entrelacs d’influence chinoise ornant un fragment de miroir découvert en 2006 au cours de la fouille du sanctuaire satellite n° 4 de Bakong (MAFKATA 2006, p. 19 ; ill. 40, p. XIX). L’autre possibilité de décor végétal adopté au Cambodge visait à transformer tout ou partie de l’objet même afin de le faire ressembler à une fleur ou un fruit. Ce résultat pouvait alors être obtenu au niveau de la forme générale de l’objet, au moment de sa fabrication par fonte, forgeage ou modelage, ou par l’ajout d’un élément végétal extérieur à cet objet. On distinguera par exemple le cas des vases affectant globalement la forme de fruits, sur lesquels nous reviendrons, de celui d’une épingle à chignon, conservée à l’origine au dépôt de la conservation d’Angkor, à la tête de laquelle un lotus a été ajouté (ill. 38.1, p. XIX).

La plupart du temps, c’est naturellement la combinaison de ces deux méthodes qui était adoptée. Le couvercle présenté dans l’illustration 37.1 (p. XVIII), qui provient du Phnom Kulen, est un bon exemple de cas où la forme de l’objet et le décor s’associent, la terminaison lotiforme étant complétée par un ornement incisé en forme de lotus à cinq pétales.

On retrouve la même distinction dans l’épigraphie. En effet, le terme dramvaṅ apparaît par exemple dans l’inscription K. 947 dans les occurrences suivantes (A, l. 3-4, 8, 11 ; cf. p. 536-540)

• ’aṇda dramvaṅ I liṅ III pāda, « 1 [objet] ovoïde [avec] dramvaṅ, [pesant] 3 liṅ, 3

pāda ».

• tanlap dramvaṅ hanir taṃve cīna I liṅ 10 III, « une boîte [avec] dramvaṅ en hanir, de travail chinois, [pesant] 13 liṅ ».

• dramvaṅ taṃve cīna I liṅ 5, « 1 dramvaṅ, de travail chinois [pesant] 5 liṅ ».

• dramvaṅ parvat I liṅ 8 sliṅ II, « 1 [ensemble de] dramvaṅ empilés [pesant] 8 liṅ, 2

sliṅ ».

• dramvaṅ caṃlak hanir taṃve cīna I liṅ 5 pāda I, « 1 dramvaṅ sculpté en hanir, de travail chinois ».

Le terme dramvaṅ désigne en khmer un arbre de type Garcinia176

et ici sans doute plus spécifiquement la fleur ou le fruit de cet arbre. Si, dans les deux premières occurrences rapportées, il s’agit manifestement d’un décor végétal ornant un objet ovoïde et une boîte, dans les deux suivantes dramvaṅ désigne l’objet même. On ne peut alors que supposer qu’il s’agit d’un « [objet dont la forme, ou le décor, lui donne l’aspect d’une fleur ou d’un fruit de] Garcinia »177

. C’est également le cas dans la quatrième occurrence où il semble que cet aspect végétal était obtenu par gravure. On notera que deux de ces objets, au moins, étaient de provenance chinoise.

Comme on le voit, il n’est pas toujours évident de déterminer si la mention d’un élément naturaliste pour qualifier un objet se rapporte au décor ou à la forme dudit objet. Par ailleurs, lorsque des termes comme celui que nous venons de présenter désignent l’objet à eux seuls, on pourrait tout aussi bien penser qu’il s’agit de fleurs ou de fruits en métal et non de récipients adoptant leur forme.

Si cette hypothèse nous paraît moins vraisemblable dans le cas des objets de K. 947, nous ne pouvons l’écarter définitivement, à moins de reconsidérer certaines interprétations. En effet, à la ligne 12 du piédroit Nord de l’inscription K. 262, par exemple, on relève le don de deux lotus (padma ; IC IV, p. 110, 114). Nous supposons qu’il s’agit alors de lotus en métal178, peut-être des attributs mobiles de divinités (cf. p. 315). Cependant, il faut reconnaître que l’interprétation adoptée pour draṃvaṅ pourrait également inviter à y voir un objet en forme de lotus, équivalent au śrīpadma, la coupe lotiforme de la stance XVIII de K. 156.

La même question – représentation de fleur ou objet ? – se pose dans le cas du terme khmer trayvaṅ179, qui désigne en khmer « une inflorescence de bananier, la forme

176 Garcinia delpyana selon Pauline DY PHON (2000, p. 307-308, 327-328), et Garcinia cochinchinensis selon George Cœdès, dans son analyse de K. 669, où draṃvaṅ qualifie un récipient de type bhājana ; c’est à cette occasion que Cœdès propose d’y voir un rapprochement entre la forme de l’objet et celle de la fleur ou du fruit de cet arbre (IC I, p. 183, n. 13).

177 La ligne 11 mentionne également « une boîte [avec/à] kralyak en hanir, de travail chinois, [pesant] 1

jyaṅ, 10 liṅ », mais contrairement à draṃvaṅ, kralyak n’a pas encore été identifié ; on peut également

penser qu’il s’agit d’un décor, mais sans garantir qu’il soit phytomorphe. Par ailleurs, on rappellera qu’il est possible que l’expression tanlap kralyak désigne « une boîte [destinée à contenir des] kralyak, sachant que 800 kralyak étaient offerts au dieu dans l’inscription K. 329, qui provient également de Lolei (K. 329 E, l. 9 et K. 947, face A, l. 11 cf. p. 531, n. 475, p. 538, n. 504).

178 On retrouve un objet équivalent en pesant 3 jyaṅ dans K. 313 S (l. 13 ; 815 śaka ; NIC II-III, p. 34).

179 Cet objet apparaît avec l’orthographe trayoṅ à l’époque préangkorienne dans l’inscription K. 877 (II, l. 15 ; VI-VIIe śaka ; IC VI. p. 67). On trouve également le terme trayvaṅgaṃ dans deux inscriptions :

galbée qui le caractérise » selon Saveros Pou, qui considère qu’il s’agit d’un objet non identifié « ainsi nommé sans doute à cause de sa forme rappelant l’inflorescence du végétal » (NIC II-III, p. 258, n. 9 ; ill. 39, p. XIX).

Au contraire de draṃvaṅ, trayvaṅ apparaît toujours seul dans le corpus épigraphique khmer et ne semble jamais désigner le décor d’un autre objet. Le matériau de ces trayvaṅ n’est jamais précisé, mais ils apparaissent en général dans des listes d’objets manifestement métalliques : entre une aiguière (kamandalu) et un foudre dans l’inscription K. 200 B (l. 3 ; IC VI, p. 313) ; dans l’inscription K. 1198, on le retrouve successivement entre une aiguière et une armure de type jagara, entre un plateau et un couteau, un vase à eau (kalaśa) et un jagara, un jagara et un plateau180

; enfin dans K. 697 B entre un brûle-parfum et un pichet (kundaka ; l. 7 ; IXe śaka ; IC VII, p. 96). Bien que l’on retrouve certains de ces objets à plusieurs reprises, il ne semble pas possible de tirer de ces suites d’objets un indice quant à la nature des trayvaṅ.

On notera que deux trayvaṅ vnāk, « ensembles de trayvaṅ », sont également mentionnés dans l’inscription inédite K. 1186 A (l. 13 ; 935 śaka ; estampage EFEO n. 1684). Malheureusement, ce dernier élément n’apporte pas davantage d’information.

Un autre cas de décor phytomorphe plus facile à imaginer est cité dans la liste de biens de l’inscription K. 669 C. Il s’agit de l’expression carat drāṅ prāk I, « une canne de draṅ en argent » (l. 21 ; 894 śaka ; IC I, p. 170). George Cœdès avait signalé que

draṅ correspond au moderne traṅ et désigne le latanier. Il n’est alors pas difficile

d’imaginer une canne en forme de branche de latanier, à moins qu’il ne s’agisse plutôt d’une branche de latanier ornée d’argent comme Cœdès en faisait l’hypothèse (ibid., p. 184, n. 14). Quoi qu’il en soit, l’usage d’un tel objet reste encore un mystère.

Bien que peu représentés, les fruits ne sont pas en reste, même si encore une fois, seule l’inscription K. 947 nous en apporte témoignage. Le premier exemple apparaît à la ligne 9 de la face A : valvyal jeṅ prak hanir I nu phala, « 1 porte-cierge à pied en argent [et] hanir, avec (un décor de) fruits » (cf. p. 536). L’autre exemple, à la ligne 16, est plus précis : tanlap krvac prak I, « une boîte en argent [en forme d’]orange » (ibid.).

K. 366 (face C, l. 3, 7 ; 1061 śaka ; IC V, p. 291) et K. 697 (face B, l. 7 ; IXe śaka ; IC VII, p. 96).

trayvaṅgaṃ est considéré comme une variante de trayvaṅ par Saveros Pou (2004, s. v., p. 228).

180 Quatre des divinités mentionnées dans cette inscription reçoivent en effet ce type d’objet (K. 1198 A, l. 34-35 et 37 ; Xe śaka ; NIC II-III, p. 246).

La rareté d’occurrences d’objets en forme de fruits dans les inscriptions est particulièrement étonnante quand on sait le succès que ce type de forme a connu dans la céramique khmère. Bernard Philippe Groslier a notamment insisté sur l’importance de la production de petites boîtes en forme de citrouilles d’inspiration chinoise (1995, p. 27). Celles-ci ont notamment été largement imitées dans la production des fours du Phnom Kulen aux environs des X-XIe siècles et deviennent de plus en plus naturalistes au fur et à mesure avec, en particulier, le traitement de la tige en relief (ill. 45.1, p. XXII) (ibid., p. 30). On remarquera par ailleurs que le traitement de la panse en godron de ces vases (ill. 41, p. XX), en particulier celui présenté dans l’illustration 41.3, n’est pas sans rappeler les quartiers d’une orange. Il est donc possible que ce soit bien à ce type de décor qu’il est fait allusion dans l’inscription K. 947, dès la fin du IXe siècle de notre ère.

Quoi qu’il en soit, la boîte « en forme d’orange » que nous avons relevée permet d’affirmer que l’absence d’occurrence n’implique pas que ces formes étaient réservées à la production céramique, mais connaissaient au contraire des équivalents métalliques. Il ne faut donc voir dans cette rareté qu’un nouveau témoignage de la pauvreté des descriptions des objets dans les inscriptions en dehors de quelques listes, à commencer par K. 947.

Le dernier exemple que nous souhaiterions évoquer ici concerne encore une fois la forme adoptée par un objet, et non son décor. Il désigne une calebasse, une gourde qui, une fois évidée, est encore utilisée aujourd’hui comme récipient à eau, notamment par certaines ethnies du Ratanakiri, dans le nord-ouest du Cambodge181

(ill. 42.1, p. XX). Il apparaît notamment dans une liste de biens de K. 934 S : noṅ sroṅ vyar, « deux calebasses pour les ablutions » (l. 30-31 ; IXe śaka ; cf. p. 444). On notera que ce vase à eau semble entretenir un rapport particulier avec la cérémonie du bain du dieu (cf. p. 267).

On pourrait naturellement penser que ces objets étaient des calebasses proprement dites. Cependant, ils ne sembleraient pas à leur place dans de telles listes de biens en métaux précieux. De plus, on relève les deux occurrences suivantes dans l’inscription K. 947 A (l. 28-29 ; IXe śaka ; cf. p. 537) :

181 On retrouve également ces objets dans les bas-reliefs (GROSLIER 1921, p. 119, fig. 77-A, A’). On notera toutefois que ce type d’objet est désigné aujourd’hui par le terme ghlok, dont une occurrence apparaîtrait, selon Saveros Pou, dans le toponyme svāy glok (K. 158 B, l. 24 ; 925 śaka ; IC II, p. 103).

• noṅ laṅgau I jyaṅ II liṅ 5, « 1 calebasse en cuivre [pesant] 2 jyaṅ, 5 liṅ ». • noṅ I jyaṅ II liṅ 5, « 1 calebasse [pesant] 2 jyaṅ, 5 liṅ ».

Ces deux calebasses étant de poids égaux, on peut supposer qu’elles étaient toutes deux en cuivre182

. Il s’agissait donc bien de copies métalliques de ces plantes, certainement comparables aux calebasses en céramique qui ont pu être retrouvées au Cambodge (ill. 42.2, p. XX).

Enfin, on notera que ces objets ne correspondaient pas forcément à des fabrications locales. Ainsi, l’inscription K. 262 N mentionne un noṅ cīna III, soit « 3 calebasses chinoises » (l. 15-16 ; 890 śaka ; IC IV, p. 110). Bernard Philippe Groslier relève bien ce type de forme, en tant que production khmère, au cours de la période angkorienne, notamment « glacées vert Kulên » ou en grès à glaçure marron. Cependant, il note également que des bouteilles-gourdes de ce type pendent aux poutres d’une maison représentée sur les bas-reliefs de la galerie extérieure du Bayon, qu’il identifiait à la demeure d’un importateur chinois (B. Ph. GROSLIER 1995, p. 30-31, ill. 43, p. XXI). La forme des objets n’est pas si proche des calebasses que nous avons présentées en illustration 42, mais la question de l’origine chinoise ou autochtone de cette forme reste posée. De même, les occurrences des inscriptions K. 934, K. 936 et K. 947 invitent à supposer une antériorité des exemples métalliques.

I.5.2. Zoomorphes

Que ce soit ou non le cas des calebasses, nombre des récipients phytomorphes khmers, à commencer par les productions du Phnom Kulen, témoignent manifestement de l’influence des productions chinoises importées. En revanche, l’importante production de vases zoomorphes peut incontestablement être considérée comme une spécificité khmère (CORT 2000, p. 103). En effet, Dawn Rooney a souligné qu’aucune influence directe n’a pu être établie pour ces vases, bien que le fait de combiner des formes d’animaux à des décors géométriques soit une tradition ancienne des bronziers chinois et que, dès le IVe siècle, des aiguières à têtes d’oiseaux en céramique soient attestées en Chine (ROONEY 1984, p. 61).

182 Les deux autres calebasses mentionnées par K. 947 pèsent respectivement 2 jyaṅ, 9 liṅ et 2 jyaṅ, 10

liṅ. Il est donc vraisemblable qu’elles soient également en cuivre. Un autre exemple en cuivre pesant 2 jyaṅ est mentionné dans l’inscription K. 258 B (l. 36 ; 1018 śaka ; IC IV, p. 175). Il faut signaler qu’une

Malgré les incertitudes qui portent encore sur les datations des céramiques au Cambodge, il semble que les premiers exemples de vases zoomorphes apparaissent dans la première moitié du XIe siècle de notre ère (B. Ph. GROSLIER 1995, p. 28) et que ces formes perdurent au moins jusqu’à la fin du XIIIe siècle ; le nombre important d’exemples connus témoigne de la popularité de ce type de forme.

Dans un premier temps, le répertoire de formes utilisées reste limité à des vases-oiseaux et des vases-éléphants. Au cours de la seconde moitié du XIe siècle, ce répertoire va se diversifier à des représentations de lapins, de crapauds et de tortues, dans la région d’Angkor ; ce type de vase est encore plus fréquent et plus varié en Thaïlande pour la même période, puisqu’on y trouve également des pangolins, des chats, des canards, des chevaux, des rats, des écureuils et des sangliers (ibid., p. 39).

Cette diversification des formes va de pair avec une évolution des techniques. Les premiers exemples sont de petits pots globulaires, notamment à glaçure verte, dont les éléments zoomorphes ne sont que peu mis en relief, le plus souvent simplement incisés. Par la suite, d’autres modèles utilisant plus souvent des glaçures brunes ou combinant les deux couleurs font preuve de plus de virtuosité. Dans les premiers exemples de vases-éléphants, par exemple, la forme n’est au début qu’à peine esquissée, et ne comporte souvent même pas de pattes. Au décor majoritairement incisé de ces premiers essais s’ajoutent par la suite de plus en plus d’éléments en plus fort relief, modelés et accolés à la panse, qui confèrent à ces vases un caractère nettement plus naturaliste183.

La destination de ces vases n’est pas toujours évidente et est peut-être assez variée. Cependant, on notera que des restes de chaux ont été retrouvés dans un grand nombre d’exemples. C’est notamment le cas de certains vases en forme d’oiseau et d’éléphant présentés en annexes. Une partie de ces vases étaient donc a priori liés à la consommation du bétel, la chaux étant indispensable à la confection des chiques. Louise Cort a toutefois signalé un exemple de vase-éléphant pourvu d’un bec, qui était donc vraisemblablement lié à un autre usage (2000, p. 106).

183 De bons exemples mettant en valeur la variété des formes et leur évolution vers ces représentations plus naturalistes sont présentés dans FUJIWARA 1990, dont certaines photographies sont reproduites en annexe aux côtés d’exemples conservés au dépôt de la conservation d’Angkor (ill. 44-47, p. XXI-XXIII). Le même type d’évolution est flagrant sur les représentations d’oiseaux, où seuls les yeux et le bec sont accolés dans un premier temps, mais qui comportent têtes et queues en relief par la suite.

Malgré le succès manifeste de ces décors animaliers dans la production céramique khmère à partir du XIe siècle, les occurrences y faisant allusion dans l’épigraphie sont relativement rares. Sur les trois « récipients » zoomorphes relevés, deux correspondent à des boîtes (tanlap), une en forme de lion : tanlap siṅha (K. 1034 D, l. 20 ; 895 śaka ; JACQUES 1970, p. 84) et l’autre en forme de taureau et dont le poids est précisé (2 liṅ, 2