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« Pour servir le riz, ils emploient des plateaux chinois de terre ou de cuivre. Pour la sauce, ils emploient des feuilles d’arbre dont ils font de petites tasses qui, même pleines de liquide, n’en laissent rien couler. En outre, ils font avec des feuilles de kiao de petites cuillers pour puiser le liquide [dans ces tasses] et le porter à la bouche ; quand ils ont fini, ils les jettent. Il en est ainsi même dans leurs sacrifices aux génies et au Bouddha. Ils ont aussi à côté d’eux un bol d’étain ou de terre plein d’eau pour y tremper les mains ; c’est qu’ils n’emploient que leurs doigts pour prendre le riz, qui colle aux doigts et sans cette eau ne s’en irait pas. Ils boivent le vin dans des gobelets d’étain ; les pauvres emploient des écuelles de terre. Les maisons nobles ou riches emploient pour chacun des récipients d’argent, quelquefois même d’or. » ZHOU

DAGUAN, § 30, « Les ustensiles », trad. Paul Pelliot (1951, p. 30-31).

Cet extrait des Mémoires sur les coutumes du Cambodge de Zhou Daguan concerne « les gens ordinaires » et permet de comparer ensuite leurs ustensiles de service à ceux – équivalents, mais dans des matériaux plus précieux – « des maisons nobles ou riches ». La même dichotomie peut être constatée en fouille entre les sanctuaires et l’habitat qui abritait ces « gens ordinaires ». Un unique exemple de fouille d’un sanctuaire et de l’habitat qui lui était associé a été effectuée par Pierre Bâty sur le site de Trapeang Thlok. Le mobilier céramique du terre-plein du temple était alors équivalent en formes à celui de la zone d’habitat, mais comportait un pourcentage nettement supérieur de grès et de céramiques importées (BÂTY & al. 2005, p. 118 ; cf. p. 163). Ceci témoigne d’activités équivalentes entre le service de la divinité et les activités humaines – repas, ablutions, etc. – tout en soulignant la richesse des possessions divines.

D’une manière générale, le service du dieu pourrait plus exactement être comparé au service du roi, et il est donc assez naturel que les temples soient équipés en mobilier d’argent ou d’or. La valeur même des matériaux utilisés pour ces biens ainsi que leur caractère recyclable expliqueraient alors la quantité relativement faible d’objets précieux exhumés au Cambodge. Pourtant, on peut supposer que la distinction entre habitats nobles et ordinaires se retrouvait également entre les grandes fondations royales – que concerne majoritairement l’épigraphie – et les temples plus modestes. Il faut alors prendre en compte l’utilisation potentielle d’autres matériaux, absents des listes en raison de leur faible valeur.

64 Nous n’évoquerons pas ici la question des textiles, qui sera brièvement abordée par ailleurs (cf. p. 271-272), et qui a surtout déjà été traitée par Gillian Green (2000).

Des objets en feuilles

L’évocation par Zhou Dagouan d’objets fabriqués en feuilles est très intéressante à ce sujet, puisqu’il rapporte qu’ils étaient également employés pour le service des dieux. Naturellement, ces objets sont d’autant plus périssables qu’ils étaient volontairement jetés après usage, et seules les sources écrites peuvent donc nous en livrer témoignage. On relève bien deux occurrences de kandoṅ, qui désigne des « ustensiles faits en feuilles d’arbres, en particulier de bananier servant à contenir des aliments » (POU 1984, p. 102), malheureusement ce terme n’apparaît que comme anthroponyme65.

Il faut alors s’intéresser au composé sanskrit pattrakāra, « fabricant de feuilles », fonction régulièrement citée dans l’épigraphie au cours de la période angkorienne66

. On a souvent associé cette fonction à la fabrication d’ôles, c’est-à-dire des feuilles de palmier, en particulier de latanier, préparées pour servir de supports aux manuscrits. L’usage d’ôles est bien attesté à date ancienne ; George Groslier supposait que cette technique avait été importée d’Inde en même temps que l’écriture, ce qui est assez vraisemblable (GROSLIER 1921, p. 3)67

. Ces ôles devaient naturellement avoir une place importante dans la vie des temples khmers, tant pour la transmission des textes sacrés que pour celle des archives administratives68

. Il est donc légitime de supposer que des fabricants d’ôles étaient nécessaires dans les temples, au moins en ce qui concerne les plus grands sanctuaires. La mention de pattrakāra dans une liste de personnel comprenant des scribes (lekhaka) et des gardes de manuscrits (puṣṭakarakṣa) semble d’abord un bon argument en faveur de l’identification de ces serviteurs à des fabricants d’ôles (K. 290, st. XCVI-XCVII ; IXe śaka ; CŒDÈS 1912 [a], p. 213, 223). Cependant, la liste comprend d’autres fonctions et les fabricants de feuilles sont cités entre les

65 Un gho (K. 326 S, l. 12 ; 815 śaka ; cf. p. 522) et un si (K. 353 S, l. 4 ; IXe śaka ; IC V, p. 133).

66 Vingt-cinq occurrences de ce composé, – parfois orthographiées patrakāra – ont été relevées dans dix-neuf inscriptions ; la plus ancienne est datée de 801 śaka (K. 315 S, l. 13, N, l. 10 ; NIC II-III, p. 41-45) et la plus récente de 958 śaka (K. 1238 A, l. 23, 33).

67 Groslier avait également isolé des représentations de tels feuillets rassemblés en satra dans les bas-reliefs de Banteay Chmmar, du Bayon et d’Angkor Vat (1921, p. 3, fig. 1 ; ill. 16, p. VIII).

68 La stance LXXIV de l’inscription K. 661, par exemple, rapporte l’intérêt de Sūryavarman Ier pour les traités de rituel śivaites et le fait qu’il les fit recopier (BHATTACHARYA 1961, p. 47) ; on peut supposer qu’une partie de ce type d’activité prenait place dans les temples. D’un point de vue plus profane, on sait que l’ordonnance royale de l’inscription K. 262 exigeait de faire la liste des biens du dieu à l’usage du supérieur du temple. Pour des raisons pratiques, il est vraisemblable que cette liste, bien que reportée sur pierre, était avant tout inscrite sur ôles (cf. p. 541).

porteurs d’eau (pānīyahāra) et les porteurs de torches (ulkaidhahāra). Si l’ordre d’énumération est pertinent, il faut donc rester prudent.

On sait que le terme rikta, « vide » en sanskrit, est déjà utilisé dans les inscriptions pour désigner les « [feuilles] vierges ». Il s’agit manifestement d’une abréviation de

riktapattra, ou de son équivalent khmer slik rikta, « feuilles vierges », expression

conservée en moderne pour désigner « des feuilles de palmier servant d’ôles » (slịk tir ; POU 2004, s. v., p. 40369

). Le fait d’utiliser un composé sanskrit pour désigner cette fonction n’est pas très surprenant : c’est en effet le cas de plusieurs catégories de serviteurs, sans qu’il soit possible de dire si cet usage reflète l’emploi d’un vocabulaire emprunté aux traités indiens, une importance hiérarchique desdites catégories, ou une simple élégance d’auteur.

Dans le cas de pattrakāra, on serait pourtant tenté de privilégier l’une des deux dernières hypothèses, car il semble qu’une expression khmère préexistait à l’usage de ce composé. En effet, l’inscription K. 137 comprend, au VIe de l’ère śaka, une catégorie de serviteurs qualifiés de tmir slik, littéralement « qui coud les feuilles » (l. 15 ; IC II, p. 115). Si, comme le suppose Saveros Pou, pattrakāra est bien équivalent à cette expression (1984, p. 147), on aurait non seulement le remplacement d’une expression khmère par une expression sanskrite, mais aussi une information supplémentaire sur la tâche en question. Le conditionnement des ôles ne requiert pas vraiment de « coutures », à moins de considérer comme telles les cordelettes reliant les feuillets entre eux. Il est toutefois plus convaincant de supposer, comme Saveros Pou (ibid.), que la tâche de ces serviteurs était de coudre des feuilles afin de fabriquer des objets, les toits de palmes que requièrent certains bâtiments en matériaux légers, par exemple, mais surtout les kandoṅ destinés à contenir des aliments. On notera que Saveros Pou considère que, les tmir slik de l’inscription K. 137 étant des femmes (ku), il est vraisemblable qu’elles étaient « employées à faire des kandoṅ pour les besoins quotidiens ». En fait, cette liste comprend également des enfants des deux sexes, dont des lāṅ sī, et donc de jeunes hommes. De plus, il suffit de reprendre les listes de personnel de Lolei pour constater que les pattrakāra comprenaient également des hommes adultes.

69 Ces feuilles vierges pouvaient également être en métal, et étaient rassemblées en kaṃvi, comme en témoigne l’inscription K. 444 B (l. 20 ; śaka ; IC II, p. 64 & POU 1992, p. 14).

Il faut encore signaler ici une troisième expression, parente de la précédente, tmir

sñak ; il s’agit encore une fois d’une catégorie de personnel, ne comprenant qu’un

homme (va) dans cet exemple (K. 129, l. 4 ; VI-VIIe śaka ; IC II, p. 83). Dans son dictionnaire, Saveros Pou a proposé de corriger la lecture sñak en slak, et de la considérer comme une simple variante de slik. Outre le fait que la lecture de Cœdès était correcte (estampage EFEO n. 8), ce terme est attesté à plusieurs reprises dans les inscriptions. Il a d’abord posé des problèmes d’interprétation à George Cœdès, mais une occurrence de sñak vinau et donc de sñak d’« oranger de Malabar » (Aegle marmelos) l’a convaincu qu’il s’agissait de feuilles (K. 878, l. 13-14 ; 818 śaka ; IC V, p. 89).

Nous nous trouvons donc encore une fois en présence d’un « couseur de feuilles », sans pouvoir préciser quel objet il réalisait, ni quel type de feuilles il cousait. En effet, le terme sñak est probablement aussi général que slik. On notera que les feuilles de vinau de K. 878 n’ont par exemple rien de commun avec des palmes (DY PHON 2000, p. 11, et n° 29 p. 62).

Pourtant, l’inscription K. 989 révèle bien l’expression cmaṃ sñakk, « gardiens de feuilles » (l. 8 ; VIe śaka ; IC V, p. 56), que l’on serait tenté de rapprocher de chmāṃ

vraḥ pañji, « gardien des registres royaux » (K. 158 A, l. 3 ; XIe śaka ; IC II, p. 99, 105). Ce texte est très lacunaire et difficile à interpréter, mais il est peu probable que la valeur des kandoṅ implique qu’on les garde ; il est donc vraisemblable que sñak désigne ici des ôles.

En revanche, l’inscription K. 263 invite à une autre conclusion :

… pratidina nu ’us nu sñak nu patraśākha pratidina tamrvāc… mahānasa patrakāra gho bhīma neḥ gi ’nak ta paṃre prati[dina]… (l. 52-54 ; 906 śaka ; IC IV, p. 128-138)

« … quotidiennement avec le bois à brûler, les feuilles, les branches feuillues70

, quotidiennement, l’inspecteur…le cuisinier, le fabricant de feuilles, gho Bhīma, ceux qui servent quotidiennement… »

Ce passage est encore une fois très lacunaire, mais si le bois à brûler peut être associé à la fonction de cuisinier, ne peut-on relier les feuilles et les intrigantes « branches feuillues » à la fonction de fabricant de feuilles, ce qui renforcerait un peu l’hypothèse d’une équivalence entre tmir sñak et pattrakāra ? Par ailleurs, la présence de ces sñak aux côtés de bois à brûler (’us) dans une liste de produits destinés au culte

70 Ou « branches (d’arbres) à feuilles » selon Cœdès, qui supposait qu’il s’agissait de branches de lataniers (IC IV, p. 138, n. 6).

quotidien n’est-elle pas un peu étrange s’il faut considérer qu’il s’agit d’ôles vierges plutôt que de récipients de service en feuilles ? Enfin, on constate que dans nombre d’occurrences, à commencer par les inscriptions de Lolei, les fonctions ou les listes de cuisiniers (mahānasa) et de fabricants de feuilles (pattrakāra) sont citées l’une après l’autre. Ceci n’est peut-être dû qu’au fait que ces serviteurs avaient des statuts équivalents, mais on peut également penser que leurs fonctions étaient associées, ce qui privilégierait encore l’identification des pattrakāra à des fabricants de kandoṅ.

Ainsi, il est difficile de tirer une conclusion définitive. Cependant, l’hypothèse d’une équivalence entre les fonctions de « couseurs » et celles de « fabricants de feuilles » nous semble très vraisemblable. De plus, il nous semble que certains indices incitent à penser qu’il s’agissait plutôt de « fabricants d’objets en feuilles » dédiés au service du dieu, bien qu’aucun de ces objets ne soit évoqué dans les inscriptions et qu’il serait bien difficile d’en identifier les restes en fouilles. Naturellement, l’interprétation « ôle » était liée à une activité plus noble, plus intellectuelle et donc plus proche de l’image que l’on souhaite se faire d’un temple, mais le fait de nourrir, tant le dieu que le personnel du temple, était également indispensable et même plus systématique que la copie de manuscrit ; on peut alors facilement imaginer que cette activité requérait la présence de fabricants de kandoṅ à demeure.

La céramique dans les inscriptions

Au contraire des objets en feuilles ou en métal, la céramique est, comme on le sait, très bien attestée en fouilles. Les sources épigraphiques et archéologiques se complètent donc assez bien, car la céramique n’est presque jamais explicitement citée dans les inscriptions. À notre connaissance, une seule occurrence de ti, « la terre », est utilisée pour la désigner : vaudi mvay ti, « un vaudi en terre ». Cette rareté de mention dans l’épigraphie peut d’abord s’expliquer par le fait qu’il s’agissait d’un matériau trop commun, même lorsqu’il était importé. Ceci est d’ailleurs également l’un des facteurs expliquant les témoignages relativement nombreux de vases complets retrouvés en fouilles. Cependant, bien que non cité, ce matériau n’est peut-être pas aussi absent des inscriptions qu’on ne le pense habituellement.

En premier lieu, on peut s’attendre à ce que les noms de certains objets les associent directement à un matériau particulier. Selon Saveros Pou, ce serait par exemple le cas, pour la céramique, de cān, emprunt au chinois désignant une « assiette en céramique » (2004, s. v., p. 163) ; malheureusement, ce terme n’apparaît que comme

anthroponyme dans le corpus.

Son interprétation de bhājana est en revanche plus discutable : « grands plateaux en métal, probablement à pied, dans lesquels on dépose d’autres plats » (ibid., p. 353). Cette définition nous semble d’abord bien précise pour un terme ne désignant en sanskrit que des « récipients » de façon très large. Il est naturellement possible que les khmers aient utilisé ce terme pour nommer un objet précis. Cependant, plusieurs indices laissent supposer que ce terme était susceptible de désigner une grande variété de forme. On sait que des modèles de différentes tailles sont évoqués dans les inscriptions (cf. p. 129), et que certains étaient munis de couvercles (bhājana II garop II ; K. 415, l. 4 ; 799 śaka ; IC V, p. 86). De même, il n’est pas évident d’affirmer qu’ils étaient « probablement à pied », une occurrence précisant qu’un bhājana était accompagné d’un support (bhājanadhāra ; K. 263 D, l. 8 ; 906 śaka ; cf. p. 121). En ce qui concerne le matériau, le fait d’associer systématiquement au métal le terme bhājana nous semble également imprudent, et même formellement contredit par au moins une occurrence de l’inscription K. 125 : bhājana jhe māgha mvāy, « un récipient en bois de Māgha »71.

On peut alors se demander s’il est opportun de considérer que les vases dont le matériau n’est pas précisé étaient systématiquement en métal. Dans l’inscription K. 947, par exemple, il ne fait aucun doute que les récipients ovoïdes de poids équivalents, énumérés aux lignes 4 à 6 de la face A, étaient tous en métal, bien que le matériau (hanir) ne soit mentionné que dans un seul cas (cf. p. 536-538). Cependant, nous disposons également de nombre d’exemples où poids et matériaux n’étaient pas précisés, et pour lesquels le doute reste permis.

Il reste assez peu de matériaux à évoquer ici. On aura remarqué l’exemple d’un vase en bois (jhe), mais il s’agit d’un cas exceptionnel. Les deux seuls autres objets en bois mentionnés dans les inscriptions sont : un phuru, objet en bois non identifié à revêtement (snāp) d’argent et d’or (K. 669, face C, l. 21, 894 śaka ; IC I, p. 170) ainsi que deux kāṣṭha-drava, composé sanskrit désignant « une gouttière ou un égouttoir en bois », selon Cœdès (K. 262 S, l. 17 ; IC 4, p. 112 ; 115, n. 3). Ce terme, qui pourrait désigner une rigole d’écoulement, a au moins le mérite de fournir un exemple de l’utilisation du sanskrit kāṣṭha à la place de jhe dans une liste d’objets en khmer. La

71

Cœdès avait omis de traduire bhājana, ce qui explique sa traduction « un arbre Māgha » ; ce don aurait été aussi surprenant qu’inhabituel (K. 125, l. 13 ; 923 śaka ; CŒDÈS 1928 [b], p. 142-143).

nature des dons ne se prêtait pas vraiment à l’utilisation de ce matériau. Pourtant, comme dans le cas de la céramique, il faut tout de même ajouter à cette liste un certain nombre d’objets dont la nature même impliquait l’utilisation de bois (charrettes, palanquins, etc.) ; dans ce cas, les matériaux ne sont pas précisés. Ceci illustre bien que le fait que le matériau ne soit pas précisé, indique qu’il paraissait évident à l’auteur, et non qu’il était en métal.

Faune

Claude Jacques s’est interrogé à deux reprises sur le sens de karās, qui n’apparaît qu’à deux reprises dans l’inscription K. 1034 D (l. 14, 24 ; 817 śaka ; 1970, p. 82, n. 20, 85, n. 1). Saveros Pou a proposé d’y voir un équivalent du moderne krās (POU 2004, s. v., p. 94). Krās désigne à la fois une espèce particulière de grosses tortues de mer (Chelone Imbricata) et des peignes « à fine denture des deux côtés » (ANTELME

& BRU-NUT 2001, s. v., p. 608, 816) ; selon Saveros Pou, il s’agirait donc de la carapace de cet animal et, par extension, de « peignes faits de cette carapace ».

Les deux occurrences de K. 1034 D apparaissent dans une liste de biens, et pourraient témoigner de ces deux usages. Dans la deuxième occurrence, nū karās I,

karās est manifestement un matériau. On comprendra donc : « (un récipient de type) nū

en écaille de tortue ». Dans la première en revanche, karās prāk I, il désigne apparemment un objet et donc, peut-être, « un peigne en écaille de tortue et argent ».

Dans plusieurs occurrences, le terme mayūra, « le paon, ses plumes » en sanskrit, est utilisé seul pour désigner un objet parfois équipé d’un manche d’or (kanakadaṇḍa). Il est mentionné tant dans les listes de biens, que comme distinction conférée par le roi aux fonctionnaires méritants72

. La traduction proposée par Cœdès est alors en général « [éventail en] plumes de paon » (par ex. CŒDÈS & DUPONT 1943, p. 194). Il est vrai que l’aspect même d’une roue de paon invite bien à penser à un éventail, d’autant que l’un des éventails relevés par George Groslier dans les bas-reliefs d’Angkor Vat a effectivement l’air d’être fait de ce matériau (ill. 14.Q, p. VII ; 1921, p. 80, fig. 48-Q). Pourtant, cette interprétation est discutable.

72 Par ex. mayūra I, « 1 (objet en) plumes de paon » (K. 415, l. 4 ; 799 śaka ; IC V, p. 86) ou māyūra

kanakadaṇḍa vyar, « deux (objets en) plumes de paon à manche d’or » (K. 194 A, l. 30 ; 1041 śaka ;

En effet, lorsque la nature d’objets en plumes de paon est précisée dans les inscriptions, il s’agit le plus souvent de parasols (chattra). C’est par exemple le cas dans l’inscription K. 669 C : mayūrachatra prāk II, « 2 parasols en plumes de paon, en argent » (l. 20 ; 894 śaka ; IC I, p. 170) ou, en sanskrit, dans la stance XIX de l’inscription K. 156 (IXe śaka ; IC V, p. 179). La traduction « parasol » pourrait donc mieux respecter les témoignages épigraphiques dont nous disposons. Pourtant, l’inscription K. 323 évoque un don « d’éventails, de parasols, et d’[objets] en plumes de paon » (vyajanacchattramāyūra ; st. 61 ; 811 śaka ISCC, p. 399, 408). Faut-il alors considérer que nous avons là deux sortes d’éventails ou de parasols, ou encore un autre objet en plumes de paon ? Il pourrait s’agir par exemple d’un chasse-mouches, si l’on en croit le chapitre consacré aux caractéristiques des instruments de culte du

Dīptāgama73

, ou encore de bannières, comme dans la stance XXIX de l’inscription K. 273 (māyūraketu ; 1108 śaka ; CŒDÈS 1906, p. 54, 74). On gardera donc pour l’instant la traduction prudente « (objet en) plumes de paon » pour les cas dans lesquels

mayūra est isolé.

Il y a peu à dire sur l’ivoire. Le khmer vluk, vlvak, « défenses d’éléphant, ivoire », est utilisé dans l’essentiel des occurrences, mais on notera que son équivalent sanskrit

danta lui est préféré dans les inscriptions K. 275 et K. 276. Il est alors utilisé dans le

composé sarvadanta, « tout en ivoire ». Si l’on en croit Zhou Daguan (cf. p. 55), ce matériau devait être relativement courant au Cambodge. Dans l’épigraphie, il n’est pourtant attesté que par une quinzaine d’objets, sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir par ailleurs : chasse-mouches, instruments de musique, couteau, etc.

Dans le même ordre d’idée, alors que les rhinocéros sont bien attestés au Cambodge jusqu’à la fin du XIXe siècle et sont assez présents d’un point de vue iconographique en tant que monture d’Agni, le Feu (ill. 15, p. VII & POU 1983, p. 3), le terme les désignant n’est apparu que très récemment dans l’épigraphie.

Saveros Pou avait d’abord cru pouvoir le reconnaître dans l’inscription K. 571, dans le toponyme vraḥ anrāy ralmās, en y voyant un équivalent du moderne ramās

73 Il préscrit en effet l’utilisation de plumes de paon tant pour l’éventail que pour le chasse-mouches, ce dernier pouvant également être fait en poil de yak (Dīptāgama 94.323-329, DAGENS 2009). Il faut toutefois reconnaître que l’usage de crin est systématique pour les représentations de chasse-mouches dans les bas-reliefs (ill. 14, p. VII).

(K. 571, l. 7 ; Xe śaka ; NIC II-III, p. 111 ; ANTELME & BRU-NUT 2001, s. v., p. 728). Cependant, un nouvel examen de l’estampage EFEO n. 422 permet de proposer la lecture rlaṃ mās au lieu de ralmās, qui contredit cette identification.

L’inscription K. 947 pallie enfin cette lacune : on y relève en effet un couteau (kaṃpyat) au manche (toṅ) en corne (knāy74