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Propriétés morpho-syntaxiques fondamentales

4 Etude du marqueur QVOT

4.5 Quot : proposition de caractérisation morpho-syntaxique et sémantico-référentielle

4.5.1 Propriétés morpho-syntaxiques fondamentales

Comme nous l’avons vu, le marqueur quot se distingue de qualis et de quantus par des propriétés morpho-syntaxiques remarquables. Il est indéclinable, associé à un élément pluriel et n’admet pas, ou seulement à titre exceptionnel le génitif partitif. Ces caractéristiques ont été abondamment soulignées dans les ouvrages de référence, comme nous l’avons signalé, et sont généralement désignées (voir supra) comme un des facteurs ayant favorisé le remplacement de quot ou de tot par d’autres formes, plus étoffées au niveau du matériel phonétique, au niveau morphologique et déclinables. Dans les descriptions et études que nous avons vues,

quot paraît donc mal intégré dans le système des formes adjectivales constituant le micro-

système organisé autour des deux pôles qualitatif et quantitatif : qualis – quantus/quot. Autrement dit, c’est l’isolement morpho-syntaxique de quot et de tot qui est mis en avant.

Cet isolement mérite d’être mis en lumière, mais à notre sens, un rapprochement morpho-syntaxique avec une autre catégorie de morphèmes paraît pertinent et s’accorde avec les propriétés sémantico-référentielles de quot. Mais ce dernier, au sein de la catégorie adjectivale, devient, en effet, moins isolé si on le rapproche des adjectifs numéraux cardinaux. Car ceux-ci se caractérisent, comme lui, par leur caractère non flexionnel, en latin, à partir de

quattuor. Le cardinal decem, par exemple, est strictement invariable272, insensible au phénomène syntaxique « d’accord » avec un élément pluriel et n’admet pas l’emploi du génitif partitif.

Le lien entre numéraux cardinaux et le pluriel n’est pas souvent noté alors qu’il s’agit d’un phénomène linguistique qui ne va pas de soi et n’est pas général. Ainsi, contrairement à ce que l’on observe en latin, en basque par exemple, le numéral peut s’employer sans morphème de pluriel : hiru etxe « trois maisons »273 vs etxe bat « une maison » ; il en va de même en arménien moderne où « l’emploi explicite d’un quantificateur numéral reste compatible avec un lexème non-pluriel : « j’ai vu 3 homme-0 »274. T. Ionin et O.

272 Sont soumis à la flexion en latin seulement unus, duo, tres et les composés de « cent » ducenti, trecenti etc. 273 I. Zubiri (2000 : 53) ; une opposition pertinente ici est l’ordre des séquences adjectif numéral-nom : avec

« un » bat et bi « deux », l’adjectif numéral se place à droite (avec bi, il peut se placer néanmoins à gauche) ; avec le reste des adjectifs numéraux l’ordre est adjectif numéral-nom. »

274 L. Danon-Boileau (1993 : 124) reprenant des données de l’article d’A. Donabédian (1993). A. Donabédian

Matushansky (2004 : 107) mentionnent également des cas où le N qualifié par un adjectif numéral ne présente pas de forme de pluriel alors que la langue possède par ailleurs une marque morphologique de pluriel. Les auteurs citent un exemple emprunté au finnois :

Yhdeksän omena-a puto-si maa-han Nine.nom apple.part.sg fall.past.3s earth.ill « Nine apples fell to earth »

En latin, à notre connaissance, il est impossible d’avoir uidi tres homo : pour « j’ai vu trois hommes » ou tres homo cecidit, comme en finnois, pour « trois hommes sont tombés ». Cette particularité typologique mérite d’être signalée.

Une autre propriété remarquable des adjectifs numéraux cardinaux est leur incompatibilité avec l’emploi du génitif partitif, bien mise en avant par G. Serbat (1996 : 332). Ainsi, on observe une opposition de fonctionnement entre unus, qui admet le génitif partitif : furiarum una (Enn., Scaen. 71) ; Gallia est omnis diuisa est in partes tres quarum

unam incolunt Belgae, alteram Aquitani, tertiam qui Celtae appellantur (Caes., Gall. 1,1,1),

et les autres adjectifs numéraux cardinaux qui eux ne l’admettent pas, comme le souligne G. Serbat (1996 : 332) : « A la différence de unus (dont l’un des emplois est celui de cardinal), les autres numéraux, à l’exception de mille et de milia, ne servent pas de X dans un syntagme XG. Decem longis nauibus (Caes., ciu. 2,23,3). Les cardinaux se conduisent comme des adjectifs275, qu’ils soient variables (duo, tres, ducenti, etc.) ou invariables (tous les autres) :

quantification et pluriel : avec un numéral supérieur à « un » ou un adverbe de quantité comme s’at (beaucoup), le pluriel n’est pas requis ».

275 Pour C. Touratier, les morphèmes numéraux sont des « déterminants » (1994 : 65) : « Les morphèmes

cardinaux appelés traditionnellement cardinaux relèvent de la quantification et sont, sauf bien sûr unus, des quantitatifs de la pluralité (…). Ces déterminants numéraux peuvent se combiner avec d’autres déterminants de valeur anaphorique ou démonstrative, ou bien fonctionner à eux seuls comme des SN. » La nature syntaxique de ce que l’on appelle adjectifs cardinaux (Serbat 1996) ou de ce que C. Touratier considère comme des déterminants numéraux est assez complexe. En effet, comment analyser les numéraux composés tels annos ducentos quadraginta quattuor (Liv. 1,60,4) ? Doit-on y voir une suite de trois « déterminants » du N annos, comme si on pouvait avoir : hos istos illos annos (à notre connaissance non attesté) ? Sur la syntaxe des nombres composés, nous renvoyons à T. Ionin & O. Matushansky (2004). Nous renvoyons, pour les exemples russes, à un complément bibliographique : D. Paillard (1984 : chapitre 4). La visée généralisante ou universelle de l’hypothèse proposée par les auteurs dans plusieurs de leurs travaux a été contestée : cf. par exemple, P. Rutkowski (2006 : 249, version électronique : 101) : « The above claim cannot be valid cross-linguistically. I will argue that the approach proposed by I & M (Ionin & Matushansky 2005) and C & Z (Corver and Zwarts 2006) does not find support in syntax of Polish. »

Le comportement syntaxique des numéraux cardinaux en latin reste donc, à notre connaissance, à être étudié dans le détail : cf. par exemple Ad duo milia peditum et ducenti equites uigilibus ad portas trucidatis ad

Hannibalem transfugiunt (Liv. 21,48,1) : « 2000 fantassins et 200 cavaliers environ, après avoir tué les gardes

des portes, passent à Hannibal. » Ad porte-t-il sur l’ensemble duo milia et ducenti ? Dans ce cas, l’emploi du nominatif (ducenti equites) est à souligner : ad dans le sens de « environ » est ici « particule autonome » (Er-Th,

isti sunt decem (Plaut., Men. 222). » Ainsi, selon nous, les propriétés fondamentales de quot

reçoivent un éclairage intéressant si on les rapproche des propriétés fondamentales des adjectifs numéraux cardinaux276. Au niveau morphosyntaxique, le caractère non-flexionnel, la

présence d’une marque de pluriel, l’absence d’emploi de génitif partitif unissent quot et la grande majorité des adjectifs numéraux cardinaux. Au sein du fonctionnement plus général de la langue latine, les propriétés morpho-syntaxiques de quot ne sont donc en fait pas plus singulières par rapport à qualis et quantus que celles des adjectifs numéraux cardinaux par rapport aux autres adjectifs qualificatifs. Ces propriétés morpho-syntaxiques peuvent s’expliquer par la fonction de pro-adjectif numéral cardinal ou de « super adjectif cardinal » pour reprendre une expression de G. Serbat (2001 : 575) visant à caractériser le fonctionnement de is qui est selon lui un « super nom ».

Afin de corroborer le rapprochement effectué, on peut en outre insister sur les propriétés combinatoires communes des adjectifs numéraux et de quot et notamment sur la faculté conjointe de quantifier le « nom numéral » milia associé à un génitif partitif : milia

militum octo duxit (Enn., ann. 332)277 / quot milia iugerum (cf. supra).

A ces propriétés morpho-syntaxiques remarquables se joignent des propriétés sémantico-référentielles communes aux adjectifs numéraux cardinaux qui relèvent de ce que l’on appelle le dénombrement.

4.5.2 Remarques sur le génitif partitif : unus + G partitif vs adjectif