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3 Etude du marqueur QVALIS

3.4 Examen des analyses consacrées au marqueur qualis

3.4.1 L’analyse de C Touratier

Dans sa Syntaxe Latine, l’auteur précise (1994 : 642) : « La comparative peut être l’expansion d’adjectifs sans adverbe de mesure ; mais ces adjectifs n’en sont pas moins des corrélatifs. Ne signifiant aucune qualité particulière, ils indiquent uniquement une évaluation qui porte sur la nature ou la quantité d’une qualité non précisée ; et le constituant de subordination associé à chacun de ces corrélatifs est l’amalgame d’un morphème de subordination et d’un ProAdj en rapport sémantique avec lesdits corrélatifs. Talis... qualis exprime seulement l’identité de nature des qualités comparées (…) le corrélatif pouvant être aussi bien attribut qu’épithète. »

132) Moueor enim, tali amico orbatus qualis, ut arbitror, nemo umquam erit. (Cic., Lael. 10) : « car je suis touché de la perte d’un ami dont la valeur était telle que jamais, je crois, personne ne l’égalera. »

Plus loin (1994 : 644), l’auteur signale que les subordonnées comparatives et consécutives « peuvent remplir à elles seules le paradigme de l’adjectif et apparaître donc seules sans corrélatif. » Elles sont « alors comparables à des relatives sans antécédent. »

133) Sapiens praetor, qualis hic fuit, offensionem uitat. (Cic., Mur. 41) : « un sage préteur, tel que l’a été mon client, échappe aux rancunes. »

Ce rapprochement avec la relative tranche avec les analyses du même auteur dans son ouvrage consacré à la relative (1980). Dans ce dernier, en effet, il prend soin de distinguer les deux constructions. A propos de la construction en « comme » illustrée par : « C’était un médecin original et comme on n’en voit plus », il explique : « En latin de telles comparatives épithètes correspondent à une subordonnée introduite par le pronom qualis, que les grammaires sont souvent tentées d’appeler pronom relatif et qu’il serait préférable d’appeler pronom comparatif ; ce pronom est alors ordinairement annoncé ou repris par son corrélatif

talis. Certes une telle subordonnée n’est pas sans analogie avec la proposition relative ; on

peut en effet montrer que lorsqu’elles se rattachent à un adjectif comme talis, tantus, etc. « les comparatives sont aux adjectifs ce que les relatives sont aux noms. » Comme le dit Jean- Claude Milner172. Mais à la différence de la relative, la comparative n’est pas alors une

épithète : elle est simplement un constituant du syntagme épithète, une expansion de l’adjectif épithète qu’est talis ou tantus » (64).

Plusieurs points sont à commenter : on retrouve dans l’analyse de qualis un fonctionnement syntaxique identique à celui du relatif, à savoir que le constituant de subordination est un « amalgame », ici celui d’un morphème de subordination et d’un ProAdj.

Cette analyse soulève plusieurs questions. Il conviendrait de préciser, nous semble-t-il, ce que l’on entend par l’étiquette « pronom comparatif ». En effet, on remarquera que dans sa Syntaxe (1994), l’auteur n’utilise plus cette étiquette mais celle de ProAdj. De plus, dans le cas de talis... qualis, qualis (1994 : 624) est une expansion de talis, mais lorsque les subordonnées apparaissent sans corrélatif, elles peuvent « remplir à elles seules le paradigme de l’adjectif (1994 : 644). »

Autrement dit, se pose le problème de savoir si dans tous les cas, on doit « sous- entendre » un talis et considérer que qualis est une expansion de cet adjectif173.

Ce statut de ProAdj laisse ainsi ouverte la question de la fonction de l’adjectif dans la proposition où il se trouve. Etant donné la grande diversité d’emplois et de fonctions de l’adjectif en latin : épithète, attribut, apposé, prédicatif (praedicatiuum)174, N (adjectif substantivé), on peut s’interroger sur la fonction de qualis au sein de la proposition dans laquelle il se trouve. Ainsi, comment analyser quales... exeunt dans l’exemple suivant :

134) Quales sunt hostium uel ferarum caede madentium aut ad caedem euntium

aspectus, qualia poetae inferna monstra finxerunt succincta serpentibus et igneo flatu,

quales ad bella excitanda discordiamque in populos diuidendam pacemque lacerandam

deterrimae inferum exeunt : talem nobis iram figuremus, flamma lumina ardentia, sibilo mugituque et gemitu et stridore et si qua his inuisior uox est perstrepentem, tela manu utraque quatientem (neque enim illi se tegere curae est) (…). (Sen., dial. 4,35,4) :

« Comme est l’aspect des ennemis ou des bêtes sauvages dégouttants de sang ou allant en verser ; comme les poètes ont dépeint les monstres infernaux, ceints de serpents et soufflant du feu, comme les pires dieux de l’enfer sortent pour susciter la guerre, semer la discorde entre les peuples et déchirer la paix ; telle il nous faut figurer la colère, les yeux étincelants, sifflant, mugissant, gémissant, grinçant des dents, troublant l’air des

173 C. Bodelot (2000 : 28) : « D’un côté si l’on admet le principe, discutable, qu’une relative apparaissant au

niveau de la chaîne sans antécédent suppose en profondeur l’existence d’un point d’application (Sum qui sum =

Sum is qui sum), on peut attribuer à la relative la fonction d’épithète mais non celle d’attribut, fonction que

pourtant « tout le monde reconnaît à l’adjectif dit qualificatif » (Touratier 1980 : 38). D’un autre côté, si l’on renonce à l’hypothèse elliptique, il devient possible de récupérer la fonction attribut (Sum qui sum = Talis sum); mais, du même coup, la proposition relative assume alors les principales fonctions du nom (Age quod agis = id

age) et de l’adverbe (Vbi tu Gaius, ego Gaia = Ibi ego Gaia <ero>), ce qui bat aussi en brèche, irréfutablement,

le principe de l’insertion mécanique de la relative dans le paradigme de l’adjectif. »

174 Pour le praedicatiuum, voir infra §3.8 où nous étudions la question en détail en mentionnant les références

cris les plus affreux, agitant des traits de ses deux mains sans souci de se protéger (…). »

On retiendra donc de la proposition d’analyse de l’auteur que : qualis constitue un constituant de subordination défini comme un ProAdj qui, employé dans un schème corrélatif, a une fonction d’expansion de talis et qui, employé seul, assume la fonction d’adjectif. De plus, nous avons suggéré que ce statut de ProAdj demande quelques précisions et en particulier une interrogation relative à sa fonction interne dans p. Enfin, le statut du lien entre le fonctionnement du pronom relatif et de qualis, « pronom comparatif » nous paraît exiger quelques explications supplémentaires.