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4 Etude du marqueur QVOT

4.4 Analyses antérieures

4.4.1 Analyses syntaxiques

C. Touratier (1994 : 696) mentionne le schème corrélatif quot... tot au côté de ut... ita,

quanto... tanto. Comme nous l’avons dit, il analyse (1994 : 642) le constituant de

subordination, qualis, quantus, quot, de talis, tantus, tot, comme « l’amalgame d’un morphème de subordination et d’un ProAdj en rapport sémantique avec lesdits corrélatifs. » Il ajoute qu’à la différence de quantus : « la comparaison avec tot s’applique à des individus ou à des objets dénombrables, et indique donc une quantité numérique (1994 : 643). »

Nous avons vu que, dans le cas de qualis, la majorité des études et des manuels de référence opéraient un rapprochement avec le pronom relatif et que E. Sánchez-Salor (1984 : 61 sq), en revanche, refusait un tel rapprochement. Selon lui, qualis fonctionne sur le modèle de ut... ita et doit être analysé comme un disjunto. L’auteur étend cette analyse à quantus mais n’évoque pas quot259.

Afin d’approfondir l’analyse et de compléter les hypothèses antérieures, nous voudrions illustrer la fonction de « nominalisateur » proposée par G. Serbat et reprise par M.D. Joffre. Cette fonction peut, selon nous, recevoir confirmation dans le cas de quot par la prise en compte de phénomènes tels que la coordination et la comparaison introduite par

quam. Ainsi, on relève des exemples dans lesquels la proposition introduite par quot est

coordonnée à un élément nominal :

263) O qui flosculus es Iuuentiorum, / non horum modo, sed quot aut fuerunt /

aut posthac aliis erunt in annis. (Catull., 24,1-3) : « O toi qui es la fleur des Juventius,

non seulement de ceux d’aujourd’hui, mais de tous ceux qui ont vécu ou qui vivront dans les années à venir. »260

264) Aureli, pater esuritionum, / non harum modo, sed quot aut fuerunt / aut

sunt aut aliis erunt in annis. (Catull., 21,1-3) : « Aurelius, père des famines, non

seulement de celles d’aujourd’hui, mais de toutes celles qui furent, sont ou seront dans les années à venir. »

259 Ce point demeure assez surprenant sans plus de justification, puisque les manuels de référence et l’étude de

C. Fry (2005) considèrent que quantus et quot fonctionnent de manière complémentaire, la différence d’emploi consistant en une différence de quantité, indénombrable dans un cas et dénombrable dans l’autre. En outre, dans l’évolution de la langue quantus va s’insérer dans des contextes où quot était utilisé.

260 Chez Catulle, on trouve également dans le même contexte : Lugete, o Veneres Cupidinesque, / Et quantum

est hominum uenustiorum. (Catull. 3,1-2) : « Pleurez, o Venus ; pleurez, Amours, et vous, tous, tant que vous

Il nous semble que pareils cas de coordinations plaident en faveur d’un statut nominal de la proposition quot p261. La coordination est en effet un critère fonctionnel puissant comme le note H. Pinkster (1990 : 10) : « Revenant à la question du début, à savoir, entre quels constituants la coordination est possible, nous pouvons donc conclure que, s’il est vrai que les constituants appartenant à la même catégorie lexicale sont plus souvent coordonnés que les autres, ce n’est pas tant parce qu’ils appartiennent à la même catégorie lexicale que parce qu’ils remplissent la même fonction syntaxique ou en tous les cas, la même fonction sémantique. » Quot ici, à l’instar d’une relative, nominalise une proposition et cette proposition devient, comme horum ou harum, constituant nominal dans une macro-phrase262

et, comme horum ou harum, une apposition.

La proposition subordonnée introduite par quot peut également être coordonnée à un élément adverbial si le sémantisme de la construction le permet :

265) Sed nunc quidem ualetudini tribuamus aliquid, cras autem, et quot dies erimus in Tusculano, agamus haec et ea potissimum quae leuationem habeant

aegritudinum, formidinum, cupiditatum, qui omnis philosophiae est fructus uberrimus.

(Cic., Tusc. 1,119) : « Au reste, le moment est venu de prendre un peu de repos ; mais demain et pendant tous les jours que nous passerons dans cette villa de Tusculum, nous continuerons ces entretiens en traitant spécialement les points qui sont de nature à offrir des remèdes contre les chagrins, les terreurs, les passions, car c’est là le fruit le plus précieux de toute la culture philosophique. »

Quot, comme le pronom relatif, transforme une séquence syntaxiquement autonome en

un constituant de phrase remplissant la même fonction que cras, le sémantisme de dies et l’accusatif de durée assurant la cohésion sémantique.

La proximité entre quot et la relative peut être mise en lumière par cet exemple de Caton où alternent relatives « canoniques »263 et quot p :

266) Id tectum sic numerabitur : tegula integra quae erit ; quae non erit (unde

quarta pars aberit), duae pro una ; conliciares quae erunt, pro binis putabuntur ; uallus

quot erunt in singulas quaternae numerabuntur. (Cato, agr. 14) : « La couverture se

calcule ainsi : tuiles qui seront entières ; celles qui ne le seront pas, auxquelles il manquera un quart, deux pour une ; tuile de noue, une pour deux ; tous les dégorgeoirs seront comptés chacun pour quatre. »

261 Cette hypothèse est valide si l’on ne postule pas un antécédent (tot) dont quot p serait, dans tous les cas,

l’expansion.

262 La description de ce fonctionnement et de ce statut s’appuie sur celle de G. Serbat (2001 : 443) concernant la

relative.

263 En fait la relative est ici particulière dans le sens où elle focalise une propriété. Sur ce point particulier de la

Ce statut nominal peut également trouver un appui dans les exemples liviens présentant des comparaisons introduites par quam. Nous adoptons ici les opinions de T. Hernández Cabrera (2002) qui voit dans la comparaison introduite par quam un critère de détermination fonctionnelle semblable à celui de la coordination264.

267) (…) adiciebat de duce Hannibale, nato aduersus Romanos hoste, qui

plures et duces et milites eorum occidisset quam quot superessent. (Liv., 35,12,14) : « Il

parlait aussi de la coopération d'Hannibal, cet ennemi né des Romains, qui leur avait tué plus de généraux et de soldats qu'il ne leur en restait. »

268) Ibi castra metatus latius quam pro copiis et plures quam quot satis in

usum erant ignes cum accendisset, speciem, quam quaesierat, hosti fecit omnem ibi Romanum exercitum cum rege Philippo esse. (Liv., 36,10,12) : « Là, par la dimension

qu'il donna à son camp, beaucoup trop vaste pour le nombre de ses troupes, par la quantité de feux qu'il alluma, il fit croire à l'ennemi, comme c'était son intention, que toutes les forces des Romains et du roi Philippe s'y trouvaient réunies. »

Le premier exemple montre que la comparaison s’établit entre plures duces et milites

eorum265 et quot superessent. Quot superessent, à l’instar d’une relative, fonctionne comme

un élément nominal. Dans le deuxième exemple, c’est le groupe plures ignes qui est comparé à quot satis in usum erant et qui lui est homofonctionnel ou isofonctionnel. Comme plus haut, nous pouvons dire que quot transforme une séquence syntaxiquement autonome p en nom susceptible de fonctionner ici comme complément du comparatif d’un élément nominal. Selon nous, le dernier exemple peut être comparé à :

269) urbanas legiones ita scribere consules iussi ne quem militem facerent qui in exercitu M. Claudi M. Valeri Q. Fului fuisset, neue eo anno plures quam una et

uiginti Romanae legiones essent. (Liv., 26,28,13) : « Les consuls durent lever dans

Rome des légions de citoyens, mais avec défense d'enrôler aucun des soldats qui avaient servi dans les troupes de M. Claudius, de M. Valérius et de Q. Fulvius, de manière qu'il n'y eût pas cette année-là plus de vingt et une légions romaines sur pied. »

264 T. Hernández Cabrera (2002 : 106) : « Este procedimiento de caracterización funcional (…) proporciona,

como se verá, resultados semejantes a los obtenidos mediante el criterio de la coordinación y sin embargo no ha recibido aún un tratamiento independiente adecuado. »

265 On peut considérer ici duces et milites eorum comme des « antécédents », la comparaison s’établissant en fait

entre deux nombres : le nombre de généraux et soldats tués et le nombre de (sur)vivants. La structure plures...

quam quot permet une comparaison entre deux nombres « indéfinis ». On peut faire remarquer que quantus peut

lui aussi apparaître dans pareil contexte : Cn. Autem Lentulus multo maiorem opinionem dicendi actione

faciebat, quam quanta in eo facultas erat. (Cic. Brut. 234) : « Cnaeus Lentulus, par son action, donnait

Et le précédent à celui-ci, sans indication de nombre :

270) Quibus tumultariis certaminibus haud ferme plures Saguntini cadebant quam Poeni. (Liv., 21,7,9) : « En général dans ces combats précipités, il ne tombait

guère plus de Sagontins que de Carthaginois. »

L’exemple (268) montre, nous y reviendrons, que quot p occupe la même fonction qu’un adjectif numéral si l’on rapproche : plures quam quot satis in usum erant ignes et

plures quam una et uiginti Romanae legiones266.

On retrouve pareil fonctionnement chez Cicéron :

271) Nam quod questus es pluris te testis habere de Voltinia quam quot in ea

tribu puncta tuleris (…) (Cic., Planc. 54) : « En tout cas, en te plaignant d’avoir dans la

tribu Voltinia plus de témoins que tu n’as obtenu de voix dans cette tribu... »

272) hoc cum ita esset, primum illud dico, pluribus milibus medimnum venisse

decumas agri Leontini quam quot milia iugerum sata essent in agro Leontino. (Cic., Verr. 2,3,113) : « Tel était l’état de choses ; or voici ce que tout d’abord je déclare : les

dîmes du territoire de Leontium ont été adjugées pour plusieurs milliers de médimnes de plus qu’il n’y avait eu de milliers d’arpents ensemencés dans le territoire de Leontium. »

Des investigations plus poussées permettraient d’affiner cet examen ; néanmoins, il nous semble que les critères de la coordination et de la comparaison en quam permettent déjà d’enrichir les données présentées dans les études antérieures et suggèrent des pistes de recherche intéressantes. Les exemples que nous venons d’analyser confortent la théorie de G. Serbat relative à la fonction syntaxique de nominalisateurs267 des thèmes en qu- et invitent à

un rapprochement avec le fonctionnement du relatif. Ces exemples, en tous les cas, ne nous semblent pas plaider en faveur d’un statut adverbial ou de complément circonstanciel de

quot p.

266 Cette structure avec comparatif et adjectif pose problème dans la littérature portant sur la question, ainsi E.

Zweig (2005 : 11) : « Additional Issues and Problems. Comparatives. (…) (40) fewer than three men. If the underlying structure of (40) was (41) « fewer NUMBER than three men », then it would be comparing NUMBER to men: fewer NUMBER than three men. However, if the underlying structure is really (42) « fewer NUMBER than three NUMBER men », then the one number is compared to another. However, this cannot be the whole story, as this cannot straightforwardly explain examples such as (43), in which the numeral a hundred was argued not to contain NUMBER : (43) fewer than a hundred men. »

267 Nous renvoyons sur ce point à l’étude de M.D. Joffre (2004) qui développe particulièrement ce point (2004 :

137) : « Ces prétendus connecteurs (y compris cum, quod et le relatif) sont eux aussi d’abord des abstracteurs syntaxiques, des nominalisateurs qui font d’une séquence syntaxiquement organisée et autonome un syntagme dépendant, constituant d’une phrase. »

Cette fonction de nominalisateur mise en évidence par G. Serbat, de laquelle découle le statut de subordonnant268 peut enfin trouver confirmation dans l’examen de quot p en style indirect. Comme nous l’avons fait pour qualis, cf. supra, nous avons recherché des énoncés au style indirect contenant une structure en quot p. Un exemple tel que :

273) Tertia demonstratio fuit folio maiore quam cornus, radicis harundinae, totidem, ut adfirmabant, genicultae nodis quot haberet annos totidemque esse folia ; hi

ex uino uel aqua contra serpentes dabant. (Plin., nat. 24,150) : « La troisième espèce

qu’on m’a montrée a la feuille plus grande que le cornouiller, et la racine du roseau ; cette racine, affirmait-on, portait autant de noeuds, et la plante autant de feuilles que d’années. On la donnait dans du vin ou de l’eau contre les serpents. »

témoigne du statut syntaxiquement subordonné269 de quot p comme le montre l’emploi du subjonctif imparfait amené par la concordance des temps. Ainsi, la prise en compte de trois critères : coordination avec un élément de la classe nominale, comparaison introduite par

quam, modifications observées lors du passage au style indirect, permet de corroborer un

statut de nominalisateur et de subordonnant pour certains emplois.

Les particularités morpho-syntaxiques de quot : caractère non-flexionnel, pluralité et non-emploi du Génitif partitif, comme c’est le cas, par exemple, dans l’étude de C. Fry (2005) sont, en général, bien mises en avant, mais ne reçoivent, en revanche, pas d’explication et on se contente plutôt de souligner (C. Fry : 2005)270 que ces propriétés qui font de quot un marqueur tout à fait singulier ont provoqué le remplacement de quot par quantus.

268 Ainsi, un même marqueur, dans une synchronie donnée, peut relever de plusieurs statuts, le relatif qui par

exemple, comme l’a montré G. Serbat (2001 : 636) connaît des emplois subordonnant et non-subordonnant ; aussi essayons-nous de montrer que certains énoncés présentent des caractéristiques permettant de vérifier le statut de subordonnant de quot. Ceci ne signifie pas que quot est un subordonnant dans tous ses emplois (dans

quotannis, il ne l’est pas). Sur ce point donc, nous suivons l’hypothèse de G. Serbat plutôt que celle d’E.

Sánchez-Salor (1984 : 62-63) qui voit par exemple dans tous les emplois de qualis un statut comparable à celui de ut comparatif, c’est-à-dire un disjunto incompatible avec un statut de subordonnant. Nous renvoyons au volet consacré à qualis sur ce sujet. En diachronie, le statut syntaxique d’un marqueur peut varier ; c’est par exemple, un des effets produits par la grammaticalisation.

269 Nous utilisons ici, pour les comparatives, un des critères employés par A. Orlandini (1994) qui attribue au

style indirect la fonction de révélateur – elle parle de papier tournesol – de statut syntaxique. Sur ce point, voir le chapitre I, §1.3.3.1.

270 C. Fry (2005 : 262) : « Il (cet exemple) montre en outre que la raison efficiente qui le motive est le désir d’un

gain en expressivité par amplification thématisante. Tam magnus possède en effet plus de visibilité que le petit

tantus. C’est une raison toute semblable qui pourrait avoir fait disparaître les maigrement monosyllabiques tot... quot, après leur substitution prévisible par tam multi... quam multi (Hofmann & Szantyr 1972 : 207) ».

Il faut cependant noter, à propos de l’exemple cité, que l’on trouve dans l’édition Teubner (BTL4) une autre leçon : Mentula tam magna est, tantus tibi, Papule, nasus. L’édition de la CUF mentionne dans l’apparat critique la variante quantus : tantus. A propos du remplacement de tantus par tam magnus, on consultera l’étude de V. Väänänen (1987) consacrée à l’Itinerarium Egeriae. Dans son étude, l’auteur étudie l’hypothèse de traits de « dialectalisme latin » (153). Tam magnus est considéré comme un hispanisme : « tam magnus se trouve aussi dans des inscriptions latines d’Espagne ; fondu en un léxème autonome, ce syntagme donne esp. tamano, ptg.