• Aucun résultat trouvé

4 Etude du marqueur QVOT

4.3 Inventaire des emplois

4.3.1 Configurations externes

4.3.1.1 Emplois corrélés et non corrélés

On retrouve avec le marqueur quot plusieurs configurations que l’on a déjà entrevues et qui peuvent contenir des ellipses (ex. 246) : quot peut apparaître dans la construction en diptyque 1 (D1) :

241) Quot genera uoles, tot indito (Cato, agr. 40) : « employez autant de variétés que vous voudrez. »

242) Litora quot conchas, quot amoena rosaria flores, / quotue soporiferum

grana papauer habet, / silua feras quot alit, quot piscibus unda natatur, / quot tenerum pennis aera pulsat auis, / tot premor aduersis : quae si conprendere coner, / Icariae

numerum dicere coner aquae. (Ov., trist. 5,2,23-28) : « Autant on voit de coquillages

sur le bord de la mer, de fleurs dans les riantes roseraies, de graines dans le pavot qui fait dormir, autant la forêt nourrit de bêtes, autant il nage de poissons dans les eaux, autant de plumes a l’oiseau pour frapper l’air léger, autant de malheurs m’accablent. Vouloir les compter serait vouloir compter les gouttes d’eau de la mer Icarienne. »

On relève des amplifications morphologiques254 dès Caton :

243) Quot iuga bouerum, mulorum, asinorum habebis, totidem plostra esse

oportet. (Cato, agr. 62) : « Il faut avoir autant de chariots que vous aurez de couples de

boeufs, de mulets et d’ânes. »

244) Quot dies per dominum mora fuerit quo minus uinum degustet, totidem

dies emptori procedent. (Cato, agr. 148) : « D’autant de jours la dégustation aura été

retardée du fait du maître, d’autant de jours sera prolongé le délai accordé à l’acheteur. »

La construction en diptyque 2 (D2) est, elle aussi, bien attestée :

254 C. Fry (2005 : 262) note : « Par certains emplois amplifiés, il (le couple tot... quot) trouve dans la

thématisation morphologique un moyen de suppléer son défaut de masse phonique. » Notons cependant que le procédé existe pour tantum : tantundem uitiorum (Sen., dial. 4,5,8) qui ne présente pas de « défaut de masse phonique ». Selon nous, les deux facteurs principaux, indéclinabilité et « défaut de masse phonique » évoqués (2005 : 261) pour expliquer la disparition de quot au profit de quam multi et quanti demandent à être complétés. En effet, le défaut de masse phonique n’est pas un argument fiable à 100% pour expliquer la disparition ou le remplacement de tel ou tel mot dans les langues romanes : ad> à fr., a port. ; a occ. est un contre-exemple (avec même, pour l’occitan (J. Ronjat 1932 : 255), conservation de la forme ad qui devant certains toponymes à initiale vocalique est prononcé avec une dentale sonore spirantisée « az ») ; on peut également songer aux formes héritées du coordonnant et. Dans le domaine de la subordination, on songera à quod qui tend à s’imposer. On aboutit ainsi à un paradoxe : quod va remplacer l’A.c.I dans l’évolution du latin pour les raisons suivantes, selon G. Serbat (2003 : 746) : « A la différence de l’A.c.I., elle (la proposition conjonctive) n’implique pas de changement casuel du sujet ni de remplacement d’une forme verbale personnelle par un mode nominal : p y garde, en gros, la forme d’une indépendante assertive (Serbat 2000 : 137) ; elle n’est transformée en subordonnée que par l’adjonction d’une conjonction, qui a l’avantage de constituer une entité discrète. » Autrement dit, la langue remplace une structure « complexe ou lourde » au niveau syntaxique : changement casuel du sujet et du mode verbal par une forme plus « simple » ou plus « légère ». Pour quot, on assisterait ainsi au phénomène inverse, c’est-à-dire au remplacement d’une forme indéclinable par une forme impliquant un changement formel lié à la flexion...

Le caractère non flexionnel n’explique pas tout, lui non plus : les adjectifs numéraux cardinaux, comme

decem ou quinque, ne sont pas remplacés par des formes déclinables et les subordonnants comme qui, dans idem... qui et qualis, dans talis... qualis, peuvent précisément être remplacés par des marqueurs indéclinables : ut, qualiter. Les propriétés phonétiques et morpho-syntaxiques n’expliquent donc pas à elles seules le « déclin »

de quot. Nous pensons qu’un autre facteur a pu favoriser le passage de quot à quam multi et quanti : la recherche d’une expressivité accrue pour un même contexte. Cette expressivité est certes morpho-phonétique (C. Fry 2005 : 262) mais aussi sémantico-référentielle, comme nous essaierons de le montrer ; d’où l’émergence, pendant une certaine période, de ce que M. Banniard appelle un diasystème (1997 : 23), et nous abondons dans son sens lorsqu’il écrit (ibid.) : « une telle observation conforte au contraire l’application proposée du concept de diasystème à la latinophonie classique, parce qu’elle rend compte de l’évolution en termes non plus négatifs

(délabrement), mais positifs (dynamique) » (nous soulignons). Nous développerons ce point infra dans l’étude

245) Qui tot habet triumphos quot orae sunt partesque terrarum, tot uictorias

bellicas quot sunt in rerum natura genera bellorum. (Cic., Balb. 9) : « Il a remporté

autant de triomphes qu’il y a de contrées et de parties de la terre ; il a gagné autant de victoires militaires qu’il y a de sortes de guerres au monde. »

246) Rei publicae satis erat tot dierum quot C. Mario. (Cic., prov. 26) : « Pour l’intérêt public, le nombre de jours attribué à C. Marius aurait suffi. »

247) Si apta fabricata foret, totidem redderet soles quot habuisset in se toros. (Sen., nat. 1,7,3) : « Si elle était façonnée d’une manière appropriée, on verrait autant de soleils qu’elle aurait eu de pans. »

On relève enfin des emplois non corrélés255 :

248) O qui flosculus es Iuuentiorum, / non horum modo, sed quot aut fuerunt /

aut posthac aliis erunt in annis. (Catull., 24,1-3) : « O toi qui es la fleur des Juventius,

non seulement de ceux d’aujourd’hui, mais de tous ceux qui ont vécu ou qui vivront dans les années à venir. »

249) (…) adiciebat de duce Hannibale, nato aduersus Romanos hoste, qui

plures et duces et milites eorum occidisset quam quot superessent. (Liv., 35,12,14) : « Il

parlait aussi de la coopération d’Hannibal, cet ennemi né des Romains, qui leur avait tué plus de généraux et de soldats qu’il ne leur en restait. »

250) Ibi castra metatus latius quam pro copiis et plures quam quot satis in

usum erant ignes cum accendisset, speciem, quam quaesierat, hosti fecit omnem ibi Romanum exercitum cum rege Philippo esse. (Liv., 36,10,12) : « Là, par la dimension

qu'il donna à son camp, beaucoup trop vaste pour le nombre de ses troupes, par la quantité de feux qu'il alluma, il fit croire à l'ennemi, comme c'était son intention, que toutes les forces des Romains et du roi Philippe s'y trouvaient réunies. »

255 Les phénomènes de sandhi (quot = quod comme quit = quid, (V. Väänänen 19852 : 125) ) compliquent

parfois les choix des éditeurs. Ainsi pour l’exemple : In qua terra iugerum unum denos et quinos denos

culleos fert uini, quot quaedam in Italia regiones ? (Varro, rust. 1,2) : « Dans quel pays du monde un arpent

de terre produit-il dix et même quinze cullei de vin, comme certaines contrées de l’Italie? » leçon choisie par l’éditeur d’Agoraclass, la CUF propose : quod quaedam in Italia regiones : « autant que certaines régions d’Italie » ; et (…) et praeter quingentos Macedonas mixtosque ex omni genere auxiliorum octingentos, quot

iam ante ibi fuerant, mille Macedonum eo miserat (…) (Liv., 33,14) : « puis, aux cinq cents Macédoniens et

aux huit cents aventuriers de toute espèce qu'il y avait mis en garnison, il avait ajouté mille Macédoniens », texte et leçon choisis par l’éditeur du site Agoraclass, la CUF préfère quod à quot tout en mentionnant dans l’apparat critique les leçons avec quot. Autrement dit, il se crée des ambiguïtés, hors corrélation, entre un relatif quod, qui se distingue par sa vacuité sémantique et se caractériserait, si l’on reprend l’analyse de G. Serbat (2001 : 578-579) à propos de id, par son pouvoir de « nominaliser » : « le contenu de id est le pur renvoi anaphorique à un donné notionnel quelconque (X ridebat ; id non tulit). » On pourrait donc dire que c’est grâce à cette vacuité sémantique et à ce fonctionnement de nominalisateur abstrait que l’on peut hésiter entre quod et quot.

qui peuvent apparaître en position détachée, en incise, et dont on soulignera la souplesse et la variété. Notons que l’on retrouve le délicat problème des emplois proches du relatif de liaison. Enfin, certains exemples peuvent être rapprochés des constructions en qualis contenant une négation, du type qualis nemo...

251) Romani auxere tribunorum militum consulari potestate numerum octo, quot numquam antea, creati, (…). (Liv., 5,1,2) : « Les Romains augmentèrent le

nombre de leurs tribuns militaires faisant fonction de consuls : huit, chiffre sans précédent, furent élus (…).»

252) Senatus in quadriduum, quot dierum nullo ante bello, supplicationes

decernit. (Liv., 5,23,3) : « Le sénat vota quatre jours d’action de grâce, chiffre sans

précédent dans les guerres antérieures. »

253) Hannibal ad terrorem primos elephantos – octoginta autem erant, quot

nulla unquam in acie ante habuerat – instruxit (…) (Liv., 30,33,4) : « Hannibal plaça,

comme moyen de terreur, ses éléphants en première ligne : il en avait quatre-vingts, nombre qu'il n'avait jamais réuni dans aucune bataille (…). » (TA.)

4.3.1.2 Modifications adverbiales

On signalera deux modifications adverbiales rencontrées lors de l’examen des exemples : dans la corrélation avec quot..., tot(idem) admet deux adverbes que l’on rencontre avec les adjectifs cardinaux : bis et paene.

254) Sed ita columnae in peripteris conlocentur uti quot intercolumnia sunt in fronte, totidem bis intercolumnia fiant in lateribus : ita enim erit duplex longitudo operis ad latitudinem. (Vitr., 3,4,3) : « Cela dit, dans les périptères, les colonnes sont à

disposer de telle façon que l’on compte deux fois plus d’entrecolonnements sur les longs côtés qu’en façade : ainsi la longueur de l’édifice correspond au double de sa largeur. »

255) In oratione uero si species intueri uelis, totidem paene reperias

ingeniorum quot corporum formas. (Quint., inst. 12,10,10) : « Il en fut de même de

l'éloquence; à en considérer toutes les espèces, on trouvera presque autant de variété dans les esprits qu'il y en a dans le corps.» (TA)

On relève pour les cardinaux bis mille (Lucr., 4,408), bis centum (Verg., Aen. 8,518) et pour paene256 : paene decem (Ov., trist. 5,2,10). Ce point constitue un argument en faveur

d’un rapprochement entre adjectifs cardinaux et quot, point sur lequel nous reviendrons plus loin.

4.3.2 Configurations internes

A cette diversité de constructions et de configurations « externes » qui excèdent quantitativement et « qualitativement » le petit nombre d’exemples relevés dans les grammaires et études, nous voudrions ajouter un aperçu des configurations « internes » de

quot p. Nous avons relevé plusieurs types de configurations internes : a) quot peut être

construit sans support nominal ; b) quot peut être construit avec un support nominal (N) ; c)

quot peut être construit avec un support « qualifié » par un complément du nom ou un adjectif

(SN) ; d) quot peut être construit avec le cardinal milia qui fonctionne comme un nom, etc. 256) Aureli, pater esuritionum, / non harum modo, sed quot aut fuerunt / aut

sunt aut aliis erunt in annis. (Catull., 21,1-3) : « Aurelius, père des famines, non

seulement de celles d’aujourd’hui, mais de toutes celles qui furent, sont ou seront dans les années à venir. »

257) Quot homines, tot causae (Cic., de orat. 2,140) : « Autant d’individus, autant de causes ».

258) (…) quae, quot animi motus sunt, tot significationes et commutationes

possit efficere. (Cic., de orat. 3,221) : « (…) qui puisse rendre autant de nuances et de

mobilité qu’il y a de passions » (nous traduisons).

259) Quid enim impedit quominus tot sint quot nubes fuerint aptae ad

exhibendam solis effigiem ? (Sen., nat. 1,13,1) : « Qu’est-ce qui empêche, en effet,

qu’ils ne soient aussi nombreux qu’il y a eu de nuages propres à renvoyer l’image du soleil ? »

260) Hoc cum ita esset, primum illud dico, pluribus milibus medimnum venisse

decumas agri Leontini quam quot milia iugerum sata essent in agro Leontino.(Cic., Verr. 2,3,113) : « Tel était l’état de choses ; or voici ce que tout d’abord je déclare : les

dîmes du territoire de Leontium ont été adjugées pour plusieurs milliers de médimnes de plus qu’il n’y avait eu de milliers d’arpents ensemencés dans le territoire de Leontium. »

Quot se trouve également employé dans des lexies adverbiales avec soudure et

univerbation entre quot et un N257. Ce phénomène est bien attesté chez Caton où l’on assiste à la soudure de quot et du substantif annis.

261) Quotannis porrinam serito, quotannis habebis quod eximias. (Cato,

agr. 47) : « Tous les ans, semez du poireau et tous les ans vous aurez à récolter. »258

262) Bubus medicamentum dato quotannis uti ualeant (Cato, agr. 73) : « Donnez aux boeufs, tous les ans, un médicament pour qu’ils se portent bien. »

Gaffiot signale en outre quotcalendis (Plaut., St. 60). A côté de ces cas d’univerbation, on relève quot quot annis chez Varron (ling. 5,40), quot quot mensibus (ling. 5,47) et chez Horace quotquot eunt dies (carm. 2,14,5) : « autant que s’écoulent de jours ». Ainsi, comme nous l’avions constaté pour qualis, la variété des emplois de quot, tant sur le plan syntaxique que sémantico-référentiel, est remarquable et doit être prise en considération.