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Corrélation : les comparatives et la théorie de J Haudry

43) Hunc Chrysippus negat loqui, sed ut loqui ; quare, ut imago hominis non sit homo, sic in coruis, cornicibus, pueris primitus incipientibus fari uerba non esse

1.3.3.2 Corrélation : les comparatives et la théorie de J Haudry

Le latin est une langue riche en structures corrélatives qui, dans une étude devenue « classique », ont été examinées d’un point de vue diachronique et comparatif par J. Haudry (1973)42.

D’après ce chercheur, les structures de subordination du latin et les conjonctions que l’on relève dans la phrase complexe sont issues des transformations et des renouvellements d’une structure binaire, la corrélation, qui, syntaxiquement, se situe entre la parataxe et

l’hypotaxe. Les constructions corrélatives subissent deux changements : un interne et l’autre externe.

Du point de vue interne, l’évolution de la langue atteste un ensemble de transformations formelles d’un schème ancien en *kwo-... *to-..., s’étendant de la préhistoire

de la langue jusqu’à un stade « récent », où à la forme en *to- est substituée une forme en –i. Cette troisième forme est productive en latin.

Au niveau externe, le diptyque originel : quam... tam ou ut... sic peut présenter une inversion : tam... quam ou sic... ut avec, éventuellement, soudure des éléments et naissance d’un nouveau marqueur : tamquam, sicut. Ce même diptyque peut également être substitué au corrélatif originel43 par une forme nouvelle provoquant un appariement de nature non

étymologiquement lié entre le corrélatif et le relatif : quomodo... ita. Enfin, le corrélatif peut être supprimé, provoquant l’apparition d’une structure subordonnée : quomodo, ut, qui, etc.

Plusieurs critiques ont été émises et des hypothèses différentes ont été proposées44, à propos desquelles nous renvoyons aux études mentionnées en note. Nous nous contenterons ici de souligner la place particulière des constructions comparatives dans la théorie de J. Haudry. Ces dernières, pourrait-on dire, constituent un pilier central de sa démonstration, car ce que tend à montrer l’étude de J. Haudry, c’est que, parmi la vaste classe des subordonnées en latin, les comparatives, semblent plus étroitement liées à la corrélation, plus que les autres subordonnées.

Le lien privilégié entre corrélation et comparaison45 peut, tout d’abord, s’expliquer par le phénomène de comparaison lui-même. Comme le fait remarquer Rivara (1995 : 34) : « le phénomène même de corrélation, analysé du point de vue linguistique comme le couplage de

deux marqueurs (cf. Milner 1973) est, du point de vue sémantique, l’expression d’une identité. ».

43 M. Fruyt (2005) adopte la terminologie D1 (diptyque 1) pour le schème en *kw-... *t- et D2 pour le schème

appelé ditypque inverse. Nous adopterons la terminologie de M. Fruyt.

44 Voir pour le latin C. Bodelot (2004) qui renvoie à la théorie de G. Serbat. Pour les langues modernes, nous

pouvons citer l’étude d’A. Montaut (2000) à propos du hindi qui montre que (2000 : 69) « en hindi, le système de corrélation ne s’est pas transformé en système de subordination (conjonctive) par troncation du résomptif – bien qu’on trouve aujourd’hui des « jab », des « jahaan » et des « jo » sans corrélatif - ; c’est un système parallèle qui s’est installé avec la série en « ki ». Elle ajoute : « Il n’y a pas de continuité observable entre les deux systèmes. Au contraire, on observe en hindi une sorte de conversion, optionnelle ou obligatoire, du système conjonctif en système corrélatif, par l’utilisation d’un pronom ou adjectif cataphorique, à base « y-/i-» , le démonstratif dit proche (« yah », direct, « is » oblique), en distribution complémentaire avec la base « u-/v-» du démonstratif dit distant. Alors que la base en « u » ne corrèle pas un contenu propositionnel, mais un terme de la proposition (adverbe de lieu, de temps, manière, ou expression relative), la base en « i » sert à corréler un contenu propositionnel. »

45 On verra plus loin que, dans l’usage, cette affirmation doit être nuancée. Nous examinons ici les comparatives

Dans la théorie de J. Haudry, nous l’avons vu, le corrélatif et le relatif peuvent se souder et l’on aboutit ainsi à la création d’un nouveau marqueur. Or, cette « soudure » semble être majoritairement le fait des marqueurs comparatifs. Toutes les études mentionnent, en effet, sicut, issu de sic... ut et tamquam, remontant à tam... quam. Mais parmi les autres « couples » corrélatifs, on ne trouve pas *isqui, *ibiubi, *tumcum, etc. M. Fruyt (2005 : 32), dans le paragraphe qu’elle consacre au phénomène de soudure du corrélatif et du relatif, signale sicut, tamquam et tametsi46 ; en (2005 : 32 note 20), le même auteur mentionne encore

priusquam, antequam et postquam. Le phénomène de soudure ou d’agglutination n’est donc

pas général mais semble lié aux structures comparatives. Ce lien particulier entre la comparaison et l’agglutination des marqueurs en latin devrait être étudié et expliqué en tant que tel.

Au niveau syntaxique, la corrélation n’est pas analysée de la même manière dans toutes les études. Comme le signale I. Choi-Jonin (2009 : 4), la corrélation est un phénomène linguistique étudié principalement par les linguistes travaillant sur le latin et le grec et « malgré les contributions importantes de ces linguistes à la description syntaxique et à la modélisation de la corrélation, la syntaxe des systèmes corrélatifs reste un domaine encore fluctuant qui mérite un investissement approfondi. »

Pour Haudry (1973), comme nous l’avons dit, la corrélation se situe à mi-chemin entre la parataxe et l’hypotaxe. Cette position n’est pas adoptée par tous. S. Mellet (2007 : 50) soutient, avec M. Fruyt (2005 : 22), que la corrélation « est déjà en latin une subordination à part entière » et propose de l’analyser dans les termes de la théorie de P. le Goffic (voir

supra). A. Orlandini & P. Poccetti (2009) voient dans la corrélation une structure syntaxique

malléable, dont les marqueurs sont plurifonctionnels et susceptibles, selon les contextes, d’être coordonnants et/ou subordonnants.