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4 Etude du marqueur QVOT

4.5 Quot : proposition de caractérisation morpho-syntaxique et sémantico-référentielle

4.5.2 Remarques sur le génitif partitif : unus + G partitif vs adjectif numéral cardinal + N

4.5.2.1 Le génitif partitif

Poser un parallèle morpho-syntaxique et fonctionnel entre quot et les numéraux cardinaux est une hypothèse descriptive qui rend compte du phénomène de non-emploi de ce que l’on appelle le génitif partitif mais, ce faisant, on n’explique pas la divergence entre ces constructions et celles qui l’admettent. G. Serbat (1996 : 332) pose une différence syntaxique : unus, alter, nullus, etc. sont des pronoms, les cardinaux sont des adjectifs. Nous voudrions compléter ces vues en émettant l’hypothèse qu’il existe une autre différence de nature sémantico-référentielle et informationnelle révélée par les phénomènes de syntaxe.

Les exemples relevés par G. Serbat (1996 : 331 sq) de Génitif Partitif présentent une propriété qui, à notre connaissance, n’a pas fait l’objet d’étude particulière : le Génitif Partitif (G) dans le schéma XG est très souvent un élément pronominal :

Quarum (Cic., prov. 4) ; quorum (Liv., 38,9,6 ; Curt. 8,5,2) quarum (Caes., Gall.

1,1,1) ; earum (Plaut., Poen. 1095) ; illarum (Plaut., Mil. 62) ; eorum (Plaut., Capt. 809),

istorum (Apul., met. 1,25) etc.

Si l’on examine de plus près les exemples suivants :

275) Ei duae puellae sunt meretrices seruulae / Sorores ; earum hic alteram

efflictim perit, / neque eam incestauit umquam. (Plaut., Poen. 1095) : Il a comme

esclaves deux courtisanes toutes jeunettes encore, deux soeurs. Agorastoclès est amoureux fou de l’une d’elles, et pourtant il ne l’a jamais touchée. »

276) Quid eae dixerunt tibi ? / (…) Ibi illarum altera / « Ergo mecastor

pulcher est » inquit mihi (Plaut., Mil. 62) : « Qu’est-ce qu’elles t’ont dit ? (…) Et l’autre

de reprendre : « Ah, par Castor, comme il est beau ! »

on s’aperçoit que earum et illarum sont informativement peu saillants : ils appartiennent aux données thématiques de l’énoncé et leur suppression ne pertuberait pas, semble-t-il, sa cohérence globale ; d’ailleurs dans le second exemple illarum n’est pas traduit. Dans le premier exemple, le référent de earum est clairement mentionné dans le cotexte adjacent ; dans le second, on relève eae et plus haut (v. 59) : uel illae quae here pallio / me

reprehenderunt. De fait, l’accent informatif appartient aux pronoms alteram et altera par

rapport à earum et illarum qui sont eux préconstruits278 et donc quelque peu « accessoires ». Ce caractère informativement secondaire est présent dans bon nombre de cas relevés par G. Serbat. Ce point est particulièrement net lorsque X = adverbe, dans le schéma (XG) (1996 : 333) : « L’emploi des adverbes ubi, ibi, quo, qui réfèrent par eux-mêmes à l’espace et au temps, est beaucoup plus fréquent encore, avec un nominal au G qui renchérit sur l’expression locale. » Ainsi : ubi gentium (Plaut., Truc. 814) ; ubi terrarum (Plaut., Amp. 336) ; ubi locorum (Apul., met. 7,9) etc.

Dans le cas où X est un indéfini (1996 : 332), on relève le même phénomène (quoique non signalé) : metui (…) quemquam mortalium admitti (Petron., 19,2) ; nec curare deum

credo quemquam mortalium (Verg., ecl. 8,35) ; hominum est quisnam (Juv., 13,243) ; quisnam mortalium (Tac., hist. 2,72). Ici aussi se produit un phénomène de renchérissement

portant sur le caractère animé humain de quisquam/nam279 et le poids informationnel du

278 Ce concept a été forgé au départ par P. Henry (1975) puis repris par M. Pêcheux (1990 : 221) qui parle de

« l’effet de préconstruit ». On renverra également à ce propos à l’ouvrage de M.A. Paveau (2006 : chapitre 2) qui offre une présentation tout à fait intéressante du concept. Voir en outre S. Robert (1991 : 102 sq), dans son ouvrage consacré au système verbal du wolof et où elle exploite ce concept et cette opération linguistique dans le cadre d’une étude sur le phénomène de focalisation, ou (1993) dans son article consacré plus spécifiquement à la focalisation ; voir également P. Perroz (1992 : 43) dans son étude consacrée au marqueur bien. M.L. Groussier & C. Rivière (1996 : 153) proposent la définition suivante : « Se dit d’un énoncé ou d’une partie d’énoncé dont la construction antérieure conditionne certains phénomènes. 1) Enoncé dont la production antérieure conditionne certaines déterminations d’un autre énoncé donné. Par exemple, l’apparition de l’auxiliaire do dans une phrase affirmative implique, la plupart du temps, un préconstruit formé par la même lexis prédiquée à la modalité négative qui peut faire partie du contexte gauche. Ainsi dans : I don’t know why everyone here thinks I don’t like

this job. Well, I do like it, only I don’t spend my time telling people. 2) Lexis prédiquée et munie de ses

déterminations énonciatives qui n’est pas effectivement présente sous forme d’un énoncé dans le contexte gauche mais peut être déduite de celui-ci. Dans Some aspects of the job aren’t really prepossessing yet I do like

it, aren’t really prepossessing implique la conséquence : « I don’t like the job » qui va fonctionner comme

préconstruit « corrigé » par le do affirmatif. 3) Relation primitive entre notions dont la préconstruction est extérieure à l’activité propremement linguistique et, donc, n’est pas du ressort du linguiste, mais doit néanmoins être prise en compte dans les analyses de celui-ci. Par exemple, l’existence du composé a car-door implique la préconstruction de la relation qui pourrait être prédiquée sous la forme Every car has doors. On peut appeler cela un préconstruit notionnel. 4) On peut considérer que la référence à la Situation repose sur l’idée que tout Sujet (et donc le co-énonciateur) présent dans celle-ci est susceptible de tirer de ses perceptions un certain nombre de représentations structurées que l’on appellera préconstruit situationnel. C’est ainsi que dans Where shall I put my

soaked shoes ? – Put them on the balcony, le fléchage situationnel exprimé par l’article défini à gauche implique

que le co-énonciateur a pris conscience de l’existence du balcon. C’est la conscience de cette existence, qui pourrait être exprimée par l’énoncé There is a balcony, qui fonctionne comme préconstruit situationnel. » On rapprochera, sans les identifier, le terme et le concept de préconstruit de celui de « présupposé » forgé par O. Ducrot.

279 Voir G. Serbat (2001 : 596-609), pour quisquam ; l’auteur renvoie à quis, c’est-à-dire (2001 : 601) : « il est

clair que peuvent commuter avec QVIS une suite, virtuellement infinie, de noms d’êtres masculins : Marcus/

Claudius/ praetor/ agricola/ seruus, etc. » et la note 6 précise : « L’emploi de quis « quelqu’un », pronom

indéfini masculin, est soumis à une restriction importante. Il ne semble pouvoir s’utiliser que pour les animés

humains. » (Nous soulignons). L’emploi du Génitif Partitif mortalium corrobore cette contrainte. L’auteur

rajoute (2001 : 603) : « Quis désigne ici un « être animé » (humain), non pas d’emblée un être « quelconque » ; mais un être saisi dans son unicité d’être ; ipso facto déterminé, puisqu’il est donné comme existant en tant

qu’être isolé. (…) Il suffit au locuteur de susciter par quis cette sorte d’image-cadre convenable pour tout être humain. » (Nous soulignons.) On saisit ici pleinement le caractère redondant du Génitif Partitif.

génitif partitif est extrêmement faible ou, si l’on préfère, extrêmement redondant. Même dans les cas où, hors contexte, une telle propriété ne saute pas directement aux yeux comme précédemment, une prise en compte du contexte montre le caractère préconstruit et largement redondant du génitif Partitif. Ainsi l’ énoncé :

277) Vadimus immixti Danais haud numine nostro / multaque per caecam

congressi proelia noctem / conserimus, multos Danaum demittimus Orco. (Verg., Aen.

2, 396-398) : « Nous allons, mêlés aux Danaens, sous des dieux qui ne sont pas les nôtres ; dans les rencontres de la nuit aveugle nous engageons bien des combats, nous dépêchons dans l’Orcus bien des Danaens. »

laisse transparaître de façon nette cette caractéristique : le génitif partitif fonctionne comme une reprise de telle sorte que c’est multos qui se trouve focalisé.

On proposera la même analyse pour omnium dans des énoncés tels que :

278) (Aristides) unus omnium iustissimus fuisse traditur. (Cic., Sest. 141) : « La tradition veut qu’Aristide fut par excellence le plus juste des hommes. »

où omnium peut être analysé comme un « renchérissement » du signifié de unus et de l’adjectif au superlatif.

Ainsi, nous suivons G. Serbat (1996 : 346) lorsqu’il conclut au rôle « anaphorique » du G adnominal dans son ensemble. Nous avons essayé de montrer, en utilisant les exemples relevés, le caractère préconstruit du génitif partitif, qui, au niveau informationnel, est redondant. Dans bien des cas, la nature pronominale du G Partitif s’explique par ce statut de préconstruit : le G Partitif appartient souvent au cadre thématique280 de l’énoncé.

280 On soulignera un autre point important : pour G. Serbat (1988 : 58), le G Partitif n’est pas le signifiant d’une

fonction syntaxique, « (…) c’est une forme a-syntaxique du nom. » (Nous soulignons) Il partagerait ainsi une propriété commune avec le nominatif qui est (G. Serbat 2001 : 368) « cas de la non-dépendance » et « dépourvu de toute fonction syntaxique. » On expliquera ainsi cet emploi dans l’exemple suivant de Plaute : Neque quantum aquaist in mari... Abiturun es ? Neque nubes omnes quantumst... Pergin pergere ? Neque stellae in

caelo... (Poen. 432-434) : « Ni pour toute l’eau de la mer... Te décideras-tu à partir ? Ni pour tous les nuages,

tant qu’ils sont... Tu vas continuer longtemps ? Ni pour toutes les étoiles du ciel... » Le lien entre partition (caractère asyntaxique) et thématisation pourrait enfin trouver un appui dans le fonctionnement et le sens du tour

de + Abl, en latin, qui, quelle que soit l’évolution sémantique, fait coexister en synchronie cicéronienne, par

exemple, valeur partitive et valeur thématique. Ex. ( de thématique). : De beniuolentia autem, quam quisque

habeat erga nos, primum illud est in officio, ut ei plurimum tribuamus, a quo plurimum diligamur, sed beniuolentiam non adulescentulorum more ardore quodam amoris, sed stabilitate potius et constantia iudicemus. (Cic. off. 1,15,47) : « Je passe à la bienveillance qu'on nous témoigne : nous devons en premier lieu

faire le plus pour ceux qui nous marquent le plus d'affection, mais il ne faut pas mesurer la bienveillance, comme le font les très jeunes gens, à l'ardeur du sentiment, c'est plutôt à sa solidité, à sa constance, qu'il convient d'avoir égard. » En face de aliquis de nostris hominibus (Cic. Flac. 9) : « quelqu’un de nos compatriotes. »