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A propos de la Théorie des Situations

Chapite 2. Modèles de la didactique des mathématiques

2.2 A propos de la Théorie des Situations

A Bordeaux, lors du colloque "Autour de la théorie des situations" (juin 2000), Brousseau exprime à la fois que ce qui intéresse la didactique est l'apprentissage de connaissances déterminées à l'avance et que le didacticien est concerné par le sujet épistémique, c'est à dire que les connaissances sont rapportées à celles d'un élève théorique, enfant conçu par la société. Cette position lui permet

23 Soulignons que la compatibilité théorique entre ces deux modèles reste à travailler, ce que nous ne ferons pas

ici, nous centrant sur une autre articulation, celle de la théorie des situations avec la théorie des champs conceptuels.

24 Souligné par l'auteur 25 Souligné par l'auteur

d'affirmer que «Piaget n'est pas la source mais la cause de la didactique». Douady dans sa thèse (1984) exprimait elle aussi la filiation et la rupture que représente le positionnement didactique en regard des théories piagétiennes.

«Tout l'apport de Piaget, si important qu'il soit, est insuffisant pour qu'on puisse construire directement un apprentissage en classe dont les résultats soient prévisibles au moins avec une forte probabilité, et dont les conditions soient reproductibles. Piaget laisse entier le problème du rapport entre l'enseignement et l'apprentissage, rapport qui est un des objets d'étude de la discipline enseignée"(Douady, 1984, p7)

C'est bien pour répondre à ce problème, spécifiquement didactique, que, dit Douady, Brousseau élabore la théorie des situations, théorie qui affirme qu'il s'agit de faire en sorte que les élèves placés dans un contexte d'échanges permanents avec des situations problèmes, mobilisent des connaissances antérieures, les modifient, les complètent.

Nous n'allons pas ici reformuler l'ensemble du corpus théorique qui charpente maintenant la théorie des situations26. Notre propos se limitera à préciser les concepts de ce modèle que nous entendons questionner, et ce, tout en gardant la perspective d'une continuité avec les différents travaux genevois, qu'il s'agisse de la lecture de cette théorie dans la perspective de l'apprentissage par adaptation (voir Saada-Robert & Brun 1996, Brun 1994, Brun (à paraître)) ou qu'il s'agisse, suite aux travaux de l'équipe genevoise "Didactique et Interactions" de mettre l'accent sur l'importance des interactions et de l'appropriation collective des connaissances (voir Schubauer-Leoni et Leutenegger).

La didactique a pour objet d'étude les systèmes didactiques et les phénomènes spécifiques à l'enseignement et l'apprentissage des mathématiques. Pour étudier ces phénomènes, Brousseau modélise le système didactique sous la forme de situations didactiques. Dans un premier temps, dans les écrits de Brousseau (1972, 1978/1998f), ce qui allait devenir situations d'action, de formulation et de validation était formulé en termes de dialectiques. Pour justifier le choix de ce vocable, Brousseau insiste alors sur l'anticipation et sur une position de dialogue avec la situation comme source d'élaboration des stratégies:

«Nous utilisons le mot «dialectique» plutôt qu' «interaction » parce que, d'une part l'élève est capable d'anticiper sur les résultats de ses choix, et que d'autre part, ses stratégies sont, en quelque sorte, des propositions confirmées ou infirmées par l'expérience dans une sorte de dialogue avec la situation.

(Brousseau, 1978/1998f, p33)

Cette notion d'anticipation qui nous semble fondamentale était aussi mise en évidence, dans l'étude du cas Gaël (Brousseau1981), elle apparaît alors comme essentielle dans la construction des connaissances. La locution choisie, "dialectique" porte également en elle l'aspect souligné par Piaget27 (1980) lorsqu'il emploie cette expression, à savoir celui de processus circulaire entre démarches pro-

actives et rétro-actives.

2.2.1 Les dialectiques

C'est «au cours de [la] dialectique de l'action que l'enfant organise ses stratégies, construit une représentation de la situation, qui lui sert de «modèle» et de guide pour prendre ses décisions»

26 Nous renvoyons le lecteur au livre récemment publié Théorie des Situations (Brousseau, 1998) dans lequel

Balacheff Cooper, Sutherland et Warfield ont rassemblé les textes fondamentaux de cet univers théorique ainsi que l'importante étude expérimentale sur les décimaux.

27 «D'après Piaget il y a dialectique lorsque deux systèmes, considérés jusqu'alors comme indépendants, entrent

en interrelation et s'intègrent à une totalité nouvelle dont les propriétés les dépassent» (Garcia R. in Piaget, 1980, p238)

(Brousseau, ibid.p33). C'est bien la notion de décision qui est au cœur de la définition de la situation d'action28. La théorisation de Brousseau prend en compte comme élément discriminant, le

fonctionnement des connaissances pour modéliser les situations adidactiques en situations d'action,

de formulation et de validation. Dans une situation d'action, la connaissance se manifeste par des décisions et des actions non verbales mais régulières et efficaces sur le milieu (Glossaire de didactique des mathématiques, Brousseau, 1997 ). La situation doit permettre à l'élève de juger le résultat de son action, et doit, du point de vue des connaissances, favoriser l'émergence de modèle

implicite, "implicite" dit Brousseau par ce qu'il ne peut pas être nécessairement formulé, ni

organisé en théorie. L'expression "modèle implicite" renvoie à l'observateur. «Un modèle implicite

d'action" est, pour un observateur, un moyen de décrire et de prévoir les décisions du sujet. Il se

fonde donc sur une régularité et une reproductibilité de ces décisions» Il s'agit d'une interprétation faite relativement aux connaissances que l'observateur prête au sujet . (ibid.)

Brousseau réserve l'appellation de théorème-en-acte à une connaissances supposée du sujet lorsque celle-ci a la forme d'une déclaration et celui de schème d'action quand elle a une forme procédurale (ibid.) Nous utiliserons quant à nous, les définitions de 'théorème-en-acte' et de 'schème' relativement à la théorie des champs conceptuels qui font que l'intitulé "en acte" correspond à ce qui peut être détecté dans les actes, qu'il y ait formulation ou non.

Pour justifier l'utilisation de la notion de "connaissance implicite", Brousseau explicite une hypothèse sous-jacente à la modélisation faite par lui. La théorie des situations réfère cette modélisation du système didactique en termes de situations définies sur la base du fonctionnement des connaissances, à une théorie de l'activité mathématicienne:

«Cette hypothèse d'un objet de connaissance encore implicite réglant déjà les décisions dans un champ de questions, repose en fait sur la reconnaissance, à priori, de la possibilité d'interpréter les textes mathématiques à l'aide d'une sorte de représentation du travail du mathématicien. Elle implique donc la prise en charge, non seulement des mathématiques, de leur histoire et de leur épistémologie classiques, mais aussi d'une certaine part de la didactique, dans la mesure où elle prétend modéliser ce travail» (Brousseau, 1986/1998, p96)

Notons que chez Vergnaud, il est également question de théorie de l'activité du sujet, théorie nécessaire dit-il, pour comprendre les phénomènes de conceptualisation.

Les références réciproques faites à l'origine dans leurs textes, par Brousseau et Vergnaud, attestent de la compatibilité, dans leur fondement, des modèles théoriques de ces deux chercheurs.

La dialectique de formulation concerne une situation de communication. Il s'agit alors de se faire comprendre par autrui et de faire en sorte que la connaissance ainsi formulée soit «convertie en décision pertinente.». C'est cela qui caractérise la situation de formulation; l'explicitation par un élève de son modèle implicite doit permettre à autrui à la fois de comprendre cette verbalisation et de se servir de l'information communiquée pour obtenir lui- même un résultat. Les échanges qui font alterner les positions d'émetteur et de récepteur conduisent à l'élaboration d'un modèle explicite. Par "modèle explicite", Brousseau entend qu'alors la formulation est possible avec des signes, des règles, antérieurement connus ou bien nouveaux.

Différents moyens peuvent être utilisés pour convaincre, c'est la caractéristique de la

dialectique de validation que d'engager le débat dans une problématique de preuve, il ne

s'agit plus comme précédemment d'une validation pragmatique. Le découpage en situations

28 Dans cette partie nous nous référons en particulier au glossaire de didactique des mathématiques élaboré par G

Brousseau pour les Journées de Montréal 1997 ainsi qu'au texte "Fondements et méthodes de la didactique", (Brousseau, 1986/1998)

d'action, de validation et de formulation est une modélisation du fonctionnement des connaissances en "situations didactiques" et non une organisation d'étapes à mettre en place.

«Une dialectique de la validation pourra comporter diverses dialectiques particulières de l'action, ou de la formulation (pour mettre au point une terminologie par exemple).

Il est clair de toute façon qu'une dialectique de la validation est elle-même une dialectique de la formulation et donc une dialectique de l'action.»

(Brousseau, 1978/1998f, p42)

Une situation de validation donne l'occasion, dit Brousseau, «de mettre en œuvre des systèmes de référence, des théories, pour en dériver des arguments, des preuves, des questions etc.»

La dialectique d'institutionnalisation formalisée plus tardivement concerne

l'intégration de la nouvelle connaissance dans ce que Brousseau appelle "le patrimoine mathématique" de l'élève. Une situation d'institutionnalisation d'une connaissance «est une situation qui se dénoue par une transformation du répertoire commun, accepté et utilisé par ses protagonistes». Le statut (cognitif) de la nouvelle connaissance est alors collectivement et explicitement fixé.

2.2.2 Didactique - Adidactique

Partant de l'idée qu'un «élève apprend en s'adaptant à un milieu qui est facteur de contradictions, de difficultés, de déséquilibres» (Brousseau, 1986/1998, p59), Brousseau constate que lorsqu'il s'agit d'acquérir les connaissances culturelles - telles les mathématiques -, un milieu naturel est insuffisant; il s'agit donc d'organiser un milieu propice à ces apprentissages. Chaque connaissance, dit Brousseau, «peut se caractériser par une (ou des) situation a-didactique qui en préserve le sens» (ibid.p59). La situation adidactique est en quelque sorte une représentation du non didactique dans le didactique. La mise en place de telles situations et la dévolution de ces situations sont du ressort du maître dans la gestion globale de son enseignement. Il s'agit donc, ainsi que le formule Brousseau, de «situations adidactiques aménagées à des fins didactiques» (ibid.p60). Elles sont dites "adidactiques" parce qu'alors le maître fait en sorte que l'interaction de l'élève avec la situation soit la plus féconde et la plus indépendante possible: la dévolution de ces situations consiste en un processus de délégation à l'élève de la responsabilité de ses interactions avec le problème posé. Le jeu du maître à propos de la gestion didactique de la situation, est donc centré, dit Brousseau, non sur l'élève lui-même ou la connaissance en jeu mais sur le système des interactions de l'élève avec le problème posé. (ibid.p60).

Si apprendre nécessite l'existence d'interactions gérées par l'élève avec une situation adaptée à la connaissance visée et dénuée de pressions didactiques spécifiques à cette connaissance, alors la question se pose des apprentissages faits dans des classes dites "ordinaires"29. "Pourquoi les élèves apprennent, quand bien même le "a-didactique" n'apparaît pas?". A cette question, Mercier - à partir de son travail de thèse - répond par une théorisation en termes de "moments adidactiques" qui existent nécessairement dans et hors la classe. Selon lui, et il l'affirme dans la conclusion de sa thèse:

"La modélisation proposée par la théorie des situations didactiques s'est avérée être le fondement de toute description de la dimension adidactique présente dans tout enseignement (parce qu'elle est nécessaire à l'apprentissage effectif) parce qu'elle saisit dans une même description la situation et le rapport personnel à la situation didactique." (Mercier, 1992)

Il développera par la suite le concept d'adidacticité, travaillant ce concept dans des analyses de classes dites "ordinaires" c'est-à-dire dans des classes fonctionnant hors ingénierie didactique liée à la théorie des situations.

29 Le problème de la méthodologie à mettre en œuvre pour l'étude didactique des classes dites "ordinaires" se

Autre concept fondamental, celui de contrat didactique30 définit par Brousseau comme «la règle du jeu et la stratégie de la situation» (Brousseau 1986/1998, p60). Ce contrat, non totalement explicitable, est à voir, précise l'auteur, comme un processus de recherche d'un contrat hypothétique, et, autre dimension, à travers les ruptures sur lesquelles reposent l'apprentissage. Notons également, que Schubauer- Leoni (1986), prend en compte avec la notion de "contrat différentiel" l'instanciation du contrat didactique dans le groupe classe31.

2.2.3 Théorie des situations et apprentissage par adaptation

Brousseau situe l'apprentissage dans le processus plus large de l'adaptation. Il fait des conditions de l'adaptation et de leur influence sur les apprentissages l'objet d'étude de la théorie des situations.

«Dans la didactique moderne, l'enseignement est la dévolution à l'élève d'une situation.» (Brousseau, 1986/1998, p60)

Dans la logique de cette position, Brun s'attache à travailler la question de l'apprentissage par adaptation relativement à la théorie des situations32. Lors des "Vingt ans de didactique des

mathématiques en France" Brun expose, ainsi que le titre du texte publié l'indique, l'«évolution des rapports entre la psychologie du développement cognitif et la didactique des mathématiques» (Brun,

1994, p25). Il montre alors comment épistémologie et psychologie génétique interviennent dans le champ didactique, comment interactionnisme et constructivisme ont été retenus par la didactique naissante et ce, en refusant une position applicationniste avec laquelle la didactique a pris soin de prendre ses distances.

Dans un mouvement inverse, lors des Journées de Montréal (1997), Brun, prenant le système didactique comme point de départ, interroge la modélisation faite par Brousseau en regard de l'apprentissage par adaptation. Dans une lecture originale de l'élaboration de la théorie des situations, il met en évidence comment à partir de la notion de situation - problème est née la notion de situation a-

didactique ainsi que la notion de milieu, et ce, parce que dans le contrat didactique, est contenu son

projet d'extinction. En effet la situation a-didactique est là, dit Brun, pour dire un certain type de rapport qui serait celui de l'élève dans un milieu non didactique où il devrait engager ses connaissances. La notion de milieu est là, quant à elle, pour dire le référent mathématique d'où peut émerger ce rapport.

A ce stade, dit Brun, est apparue la nécessité - théorique - d'une modélisation en termes de jeu et non plus seulement en terme d'adaptation à une situation problème. L'adaptation à une situation problème correspond à l'apprentissage isolé du sujet épistémique; quand l'élève est immergé dans un contexte chargé d'intention didactique, les élèves interagissent. La notion de contrat didactique sous- entend celle de négociation. Issu de la "théorie des jeux", le concept de jeu concerne des situations où plusieurs personnes prennent des décisions; deux dimensions essentielles sont alors utilisées pour caractériser les interrelations qui se nouent, la coopération et la lutte. Le modèle du jeu se substitue alors dans la théorisation de Brousseau, au modèle de l'adaptation.

En restant dans un système centré uniquement sur les interactions, le modèle devient contradictoire à cause du phénomène identifié par Brousseau en tant que paradoxes du contrat (voir Brousseau 1986/1998). Si l'élève s'adapte à la situation il ne s'adapte pas au contrat et s'il s'adapte au contrat

30 Voir Brousseau 1998, Sarrazy 1995, 1996, Schubauer-Leoni 1987

31 «Du point de vue du contrat didactique, M.L. Schubauer-Leoni prend en compte ce qu'elle nomme un contrat différentiel entre l'enseignant d'une part et les différents élèves d'autre part. Ce contrat différentiel permet de

décrire les formes que prend le contrat didactique selon les représentations de l'élève (par exemple au plan social) que s'en fait l'enseignant. L'auteur montre que les interactions sociales doivent être prises en compte à l'intérieur du contrat didactique lorsque l'on observe des interactions didactiques» (Leutenegger, 1999, p16)

32 Nous nous référons pour cette partie au texte non publié de la conférence faite par Brun à Montréal (1997)

ainsi qu'au séminaire des équipes "Didactique des Mathématiques" et "Didactique et Interactions" de novembre 98

didactique, il n'apprend pas. La notion de jeu introduit la notion de stratégie qui permet de rendre compte du comportement humain dans un système contraint. Se référant à Vergnaud pour réaffirmer que les élèves contrôlent eux-mêmes leurs apprentissages par l'intermédiaire de leurs schèmes, Brun se pose la question de ce qu'il nomme "les propriétés non didactiques" du sous-système élève. Il affirme que les contrôles internes de l'élève "travaillent" la situation didactique. Il note que, dans un double mouvement adaptatif, d'une part, «la recherche d'adaptation de l'élève à la situation (contrôle interne) entraîne des pertes de contrôle du système didactique» et d'autre part, «le maître cherche à les compenser en adaptant la situation aux adaptations que tente l'élève vis à vis de la situation».(Brun, 1997)

Dans ce texte Brun différencie deux dimensions de l'adaptation de l'élève, adaptation à un milieu didactique et adaptation à un rôle.

Rappelons que Brousseau définit la situation didactique comme un ensemble de contraintes réciproques entre sous-système éducatif et sous-système enseigné (voir en particulier la IVème école d'été, 1988), les liens et contraintes entre eux étant organisés sous forme de jeux. Brousseau réaffirme alors sa perception de la situation didactique en tant que jeu et non en tant que situation de communication. Les relations didactiques sont modélisées sous forme de négociation dans des jeux locaux. Le sous-système élève prend des décision soutenues par ses connaissances, il lit la situation soit comme un jeu semblable à un jeu connu soit comme un jeu nouveau appelant de nouvelles réponses ( donc nécessitant une réorganisation des schèmes activés). Et, dit Brousseau, la situation didactique doit intégrer ces nouveaux rapports et, au fur et à mesure des progrès des élèves dans un double mouvement, la représentation du milieu doit se rapprocher de la réalité et le milieu doit s'appauvrir en intentions didactiques.