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Chapite 3. Temps et mémoire

4.2 Les objets de l'étude

4.2.1 Genèse artificielle des connaissances numériques

La notion de sens est liée à celle de résolution d'un problème, il y a donc nécessité de s'interroger sur la notion de problème, ce que nous avons fait dans le premier chapitre. Adhérant à l'idée que dans une situation de problème, trouver des bonnes questions est aussi important que trouver des solutions, nous retenons comme concept pertinent celui d'anticipation et comme moyen d'analyse, le repérage de l'apparition de nouvelles questions mathématiques.

Le problème pour l'élève va être créé par les conditions didactiques, par le jeu des situations proposées, par la structuration du temps didactique articulant situations d'action, de formulation, de validation au cours de situations a-didactiques. Nous ne sommes pas dans une logique où l'intérêt, la motivation de l'élève seraient à l'origine de créations de connaissances mathématiques adéquates mais dans une perspective de centration sur les conditions didactiques mises en place. Les conditions faites sont à analyser dans une perspective systémique prenant en compte les trois pôles - maître /élève / savoir - du système didactique ainsi que le contrat didactique ciment de ces trois sous-systèmes. Suivant en cela l'approche développée par Schubauer-Leoni, nous prendrons également en compte le contrat dit "de recherche" que nouent enseignant et chercheur. Notre axe principal d'étude concernant le sous-système élève, il y aura lieu de se poser la question du contrat de recherche rapporté à ce sous- système élève.

4.2.2 Sous-système élève du système didactique et notion de schème

Notre étude est centrée sur le sous-système élève pour lequel nous interrogeons le processus d'élaboration des connaissances numériques dans une situation macro a-didactique.

Par élaboration nous entendons à la fois construction de connaissances nouvelles et restructuration, réorganisation, modification des significations…des connaissances antérieurement élaborées. La notion de champ conceptuel nous semble pertinente pour penser cette construction, pour découper le champ des connaissances - ici rattachées à l'objet division -, tout en prenant en compte la genèse de ces connaissances. Il s'agit pour nous de nous attacher à comprendre si et comment les conditions didactiques faites permettent que les objets proposés aux élèves fassent sens pour eux et, pour reprendre la perspective développée par Conne (1999) évoluent «vers les formes mathématiques visées». Il ne s'agit évidemment pas de traquer une quelconque réinvention par les élèves d'une forme canonique algorithmique mais de repérer l'émergence de connaissances nouvelles ou la densification du réseau de ces connaissances. Celles qui nous intéressent sont les connaissances numériques par

exemple liées aux propriétés des opérations concernées, aux rapports qu'elles ont, aux diverses extensions possibles de la division dans des ensembles numériques de plus en plus complexes…

Par macro a-didactique nous entendons une situation organisée sur le long terme, composée de séquences de type situation a-didactique des ingénieries classiques. En particulier il s'agit sur le long terme, de garder à la macro situation le caractère d'a-didacticité conféré par la non-intervention directe du maître sur les connaissances en jeu.

Le concept théorique retenu comme pertinent pour analyser ces évolutions est celui de schème tel que défini par Vergnaud, dans la théorie des champs conceptuels. A l'origine de ce choix la volonté de travailler la compatibilité de la théorie des situations avec celle des champs conceptuels, non pas dans un souci d'harmonisation ou de fusion théorique mais parce que nous faisons l'hypothèse que la notion de schème est un outil d'analyse performant quand il s'agit de travailler les phénomènes de conceptualisation dans le sous-système élève y compris dans une situation de classe. Les travaux de Brun et Conne ont mis en évidence la pertinence du concept de schème en liaison avec les algorithmes de calcul, en particulier quand il s'agit de comprendre les erreurs liées à l'exécution de ces algorithmes. L'objet choisi pour notre recherche sur le sens nous parait donc particulièrement propice au travail de la question de la compatibilité des deux théories, à celle de la pertinence de la mise en œuvre d'une telle articulation quand il s'agit d'analyser des données recueillies suite à des observations faites en classe.

Quelles sont les raisons qui nous font considérer la notion de schème comme une unité d'analyse pertinente pour la didactique? Ce concept est souvent utilisé uniquement en référence aux concepts et théorèmes-en-acte de la définition analytique de Vergnaud. D'autres caractéristiques nous semblent à souligner. Davantage à nos yeux que la seule structuration des connaissances proposée par Centeno (1995) en termes de décor didactique modèle implicite d'action, connaissance formulée, connaissance structurée puis institutionnalisée, la notion de schème rend compte de la dialectique ancien-nouveau. Elle inclut dans sa définition, les buts et les anticipations; or la notion d'anticipation est fondamentale dans la théorie des situations d'où un argument sur l'hypothèse de compatibilité. L'identification des modifications quant aux règles d'action mises en œuvre par les élèves, quant aux buts des actions et quant aux connaissances en acte à l'œuvre permet de lire de façon fine les filiations et ruptures opérées dans le champ conceptuel de la division. Nous reprenons de Sensevy l'idée d'élaboration en rhizome des ramifications du savoir et ceci dans la durée (Sensevy, 1998).

Le caractère organisateur et organisé du schème, caractéristiques déjà inscrites dans la définition du schème Piagétien, en font un instrument de lecture des conduites des élèves tout à fait intéressant. Brun et Portugais ont souligné «le caractère profondément adaptatif de la formation de nouvelles procédures» (Brun & Portugais, 1996, p243) le caractère dynamique du schème permet de rendre compte de ce processus d'adaptation.

Cette recherche peut être lue comme une tentative d'articuler macro-genèse et micro-genèse, dans une analyse qui met en perspective la mise en place de conditions didactiques à priori favorables - selon la théorie des situations- à l'émergence de savoir mathématique pertinent, et la lecture de l'activité de l'élève pour comprendre la micro-genèse des connaissances du sous-système élève.

4.2.3 Mémoire didactique

Au centre de notre recherche, la question du sens des connaissances et plus particulièrement celle de la conceptualisation à l'œuvre dans les systèmes didactiques. Le système didactique étudié par nous l'est dans le cadre de sa modélisation en théorie des situations. Nous intéressant aux phénomènes de conceptualisation et donc aux connaissances provisoires des élèves, la question de la gestion de ces "connaissances transitoires", la question de leur diffusion, de leur oubli, de leur réactualisation dans la classe… apparaît nécessairement; et ce, d'autant plus que la recherche se fait sur une longue durée.

Brousseau et Centeno à la suite des travaux cités dans le troisième chapitre, ont introduit le concept de mémoire du système didactique, pour rendre compte du rôle de l'enseignant dans la gestion des connaissances provisoires des élèves. Notre entrée dans l'étude du système didactique est l'élève, il s'agira donc pour nous, de voir en quoi l'analyse de nos données en termes de mémoire didactique du

sous-système élève peut-être pertinente, voire s'impose.

Dans la situation habituelle de l'enseignement le pôle élève de la triade maître - élève - savoir se réalise dans un élément d'un groupe classe. Le sous-système élève n'est pas actualisé dans un élève isolé dans une relation duale avec le maître médiée par le savoir. Il nous semble nécessaire de prendre en compte ce fait, que le sous système élève, dans le cas qui nous occupe, est actualisé dans une classe. La plupart des ingénieries fondées sur la théorie des situations accordent une place majeure aux débats, jeux de message… ceci ne prend de sens qu'avec la prise en considération de la présence lors des apprentissages de différents acteurs - locuteurs en interaction. Dans le sous-système "élève en classe" et dans le cas d'un débat collectif certains acteurs sont provisoirement silencieux ; ils ne sont pas pour autant nécessairement spectateurs passifs50

D'une manière générale, cette notion de maître "avec ou sans mémoire" des séquences faites précédemment est un des arguments évoqués lorsqu'il s'agit des difficultés rencontrées par les élèves lors des changements de cycle d'enseignement. Or, il nous semble que dans ces circonstances, l'absence d'information pour l'enseignant, du déroulement des séquences antérieures d'enseignement - apprentissage d'une notion, se double d'une autre modification en général négligée; l'entité classe est elle aussi profondément bouleversée. Ce n'est pas l'enseignant seul qui se trouve sans repère mais également les élèves qui n'ont pas connaissance des conditions des acquisitions antérieures de leurs pairs. Cela ne peut qu'affecter considérablement les interactions entre élèves, réduisant les échanges aux seuls savoirs institutionnalisés, ce qui n'est pas le cas dans le fonctionnement d'une classe habituelle même si, comme dans l'expérimentation Centeno, l'enseignant n'est plus le même, pour autant que les conditions permettent aux élèves un certain contrôle de la nature des débats engagés.

Ceci n'a pas d'incidence quant à la mémoire didactique si celle-ci n'a que la seule composante mémoire du maître, mais prend un autre relief si, comme nous tentons de le prouver, existe une dimension de la mémoire didactique qui relève de (des) l'élève(s).

La mémoire didactique de l'enseignant lui permet, de par sa position par rapport au savoir en jeu, d'organiser les changements de statut, de gérer les oublis nécessaires. L'élève n'a pas cette position par rapport au savoir, position qui suppose une structuration culturelle des connaissances qui est celle visée par l'enseignement. L'hypothèse faite dans cette recherche est celle d'un partage des

responsabilités; nous nous proposons de montrer en quoi l'expérimentation conduite dans ce travail

met en évidence, de par les conditions didactiques qui sont crées, la part qui peut revenir à l'élève dans la gestion de la mémoire didactique du système.

"Responsabilité de l'élève", "partage de la responsabilité" sont des locutions à la fois banales dans les travaux de didactique et fondamentales. Dans un continuum qui représenterait l'équilibre des responsabilités des apprentissages de l'élève entre l'élève et l'enseignant, le pari de la didactique est qu'augmenter la responsabilité de l'élève dans ses apprentissages conduit corrélativement à augmenter le sens de ces apprentissages; c'est l'hypothèse constructiviste de la didactique des mathématiques51

50 Un élève physiquement absent n'est pas non plus inexistant dans le groupe classe; il peut même intervenir -

passivement et à son insu - dans les apprentissages: par exemple des références à son positionnement dans le champ de savoir peuvent être faits par ses camarades.

51 Jean Portugais rappelle dans son livre les deux hypothèses fondamentales de la didactique des mathématiques:

hypothèse constructiviste d'origine piagétienne d'une part et hypothèse épistémologique consistant à considérer que problèmes et situations sont à la source de la signification des connaissances mathématiques d'autre part.(Portugais, 1995 p 31)

Schème et mémoire sont des concepts correspondant à des caractéristiques communes en ce qui concerne le retour sur le passé, la lecture dynamique et anticipatrice de la situation. Il n'est donc pas étonnant que corrélativement à la notion de schème se trouve associée dans les analyses celle de mémoire. Le concept de mémoire didactique est associé à la théorie des situations c'est donc dans une lecture de la situation didactique et des conditions de son déroulement – en l'occurrence les conditions qui déterminent les interactions- que nous retrouverons ce concept.