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Objet mathématique et transposition

Chapite 2. Modèles de la didactique des mathématiques

2.4 Objet mathématique et transposition

37 Dans Laborde et Vergnaud, 1994, est définie la notion de «script-algorithme: script désignant la composante

du schème qui concerne les signifiants et les jeux d'écriture [… ], algorithme désignant la composante du schème qui concerne les signifiés mathématiques [… ]. L'expression script-algorithme permet d'attirer l'attention sur le fait que, dans certains schèmes, les signifiants jouent un rôle central puisqu'ils constituent la matière même sur laquelle les règles opèrent. Les quatre opérations de l'arithmétique dans leur forme écrite, les schèmes de traitement des équations sont des scripts –algorithmes» (p70)

38 Travaux d'abord réalisés dans le cadre d'un FNRS avec J. Brun, F. Conne et J. Retschitzki (voir § 1.3.3.3) puis

prolongés en collaboration avec R. Floris, F. Leuteneger, J.Portugais, R. Schubauer, L Maisonneuve et nous- mêmes.

Le statut d'objet que la didactique confère au savoir est une caractéristique essentielle. S'intéressant à la diffusion des connaissances mathématiques, la didactique, dans les analyses faites, privilégie l'entrée par les savoirs. L'action didactique est finalisée par l'intention d'accéder à un savoir culturellement organisé. De quel savoir s'agit-il?

Chevallard, questionnant la distance entre savoirs de référence et savoirs enseignés ou appris, a développé le concept fondamental pour la didactique de transposition didactique (voir Chevallard, 1985/1991). Les questions de transposition sont également travaillées par Conne depuis son travail de thèse (Conne, 1981), cette fois-ci au regard de la vie des savoirs et de leurs transformations dans la classe. Celui-ci définit ensuite selon une heureuse formule largement reprise, le savoir comme une

connaissance utile. le critère d'utilité étant «ce qui sépare l'ordre du savoir de celui de la connaissance»

«Lorsqu'un sujet reconnaît le rôle actif d'une connaissance sur la situation, pour lui, le lien inducteur de la situation sur cette connaissance devient irréversible, il sait. Une connaissance ainsi identifiée est un savoir, c'est une connaissance utile, utilisable, dans le sens qu'elle permet au sujet d'agir sur la représentation40» (Conne, 1992/1996, p278)

De nombreuses recherches ont questionné les conversions réciproques entre savoir(s) et connaissance(s) et ont permis le développement de concepts nouveaux. C'est le cas notamment des travaux de Rouchier (1991) sur l'institutionnalisation, travaux qui, dans la communauté francophone, font référence.

Récemment, poursuivant sa réflexion théorique quant aux rapports entre cognitif et didactique, Conne nous propose (1999) un texte dans lequel il engage une réflexion sur la distance existant entre "l'activité enseignante et enseignée". De ce texte riche, nous allons relever quelques points intéressant particulièrement notre approche.

Dans une première partie s'interrogeant sur le «faire des mathématiques pour entrer dans les pratiques mathématiciennes», il identifie activité mathématique et «interaction d'un sujet avec un milieu propice aux pratiques mathématiciennes» (ibid. p34). Il s'agit d'interactions sujet - milieu mais aussi sujet - sujet que l'auteur désigne comme n'étant ni «statiques, ni même en équilibre, mais bel et bien évolutives» (ibid.p34). Il explicite le rapport à lire entre activité et objet mathématique ainsi:

«l'activité mathématique ne porte pas sur des objets mathématiques, mais […] ces derniers sont constitués par elle, ils se situent donc en aval de celle-ci» (Conne, 1999, p34)

Posant la question des objets qui sont construits scolairement, socialement, Vergnaud affirme la nécessité d'une théorie de l'activité pour comprendre la conceptualisation. Il place le schème au cœur de ses analyses. De même, Conne parle d'activation -et de réactivation- de schèmes, précisant que c'est dans le repérage des réorganisations faites par le sujet que l'observateur peut lire l'organisation de l'activité.

«Du point de vue cognitif, un sujet est constamment actif. Bien entendu, l'activité elle-même est diverse et porte sur de multiples niveaux distincts. […] Ce flux d'actions se situe dans un contexte lui-même changeant, et c'est sur ce fond que l'observateur peut repérer des reprises, des répétitions, des boucles, des invariances, bref, une organisation.» (ibid. p35)

Conne poursuit dans ce texte la réflexion entamée dans Savoir et Connaissance dans la perspective

de la transposition didactique (Conne, 1992). «L'apprentissage s'accompagne de répétitions multiples

et fréquentes», «apprendre c'est faire et refaire41» dit Conne (1999, p36). Dans l'activité, dit-il, le savoir «permet des raccourcis […], en amont, le savoir oblitère ce qui le précède tandis qu'en aval, il garantit au sujet de disposer des connaissances requises au moment où la nécessité se fait sentir», ce qui lui permet de conclure que «c'est bien au regard de la pratique et dans l'activité que le savoir établit économie et distinction» (ibid. p37).

40 En italique dans le texte

Il relie l'idée d'objets à élaborer à la difficulté qu'ont les enseignants à prendre en compte la transposition didactique. Selon lui, les enseignants s'attendent à ce que les programmes garantissent le sens des tâches proposées aux élèves. Or, dit Conne, «on ne saurait […] fixer d'avance le niveau d'élaboration que les objets auront atteint» (ibid; p55) à l'issue de l'échange didactique. Il mentionne quelques raisons à cela: l'influence de très bons élèves quant au pilotage de l'enseignement, la présence d'observateur reconnu comme compétent en mathématique par l'enseignant, l'influence des moyens didactiques mis à disposition (ibid. p55)

Autre réflexion présente dans ce texte, celle qui concerne ce que l'auteur appelle "une vision simpliste du partage des tâches dans l'acte d'enseignement". Il met en garde sur la centration trop souvent opérée dans l'enseignement sur l'objet ou le dispositif d'enseignement en termes de "bons objets" ou de "bons dispositifs".

«Or, on ne le dira jamais assez, les objets mathématiques sont des objets de pensée et des objets seconds. Lorsque l'on propose aux élèves un dispositif didactique, on ne sait pas d'avance comment celui-ci sera appréhendé (par leur pensée)» (ibid.p45)

Le processus d'élaboration des objets est un axe essentiel des réflexions formulées dans ce texte. C'est l'existence de ce processus qui explique, selon Conne, que le concept développé en didactique soit celui de dévolution du savoir et non pas de "délégation des tâches". Les évolutions, dans un processus d'enseignement – apprentissage, ne touchent pas le seul sujet qui apprend mais également les objets, mais également les différents pôles du système.

«Etant donné que les objets sont à élaborer42 (et cette élaboration est ouverte),

il faut proposer aux élèves des objets qui fassent réalité pour eux, mais qui en même temps soient susceptibles «d'évoluer» vers les formes mathématiques visées. Aussi, ce n'est pas le sujet seul qui se transforme (en apprenant), mais aussi les objets, ou si l'on préfère la totalité de leur interaction, et au-delà encore, le couple enseignant - enseigné lui-même.» (ibid . p47)

Conne précise que pour lui, le mathématique, puisque c'est de diffusion des mathématiques qu'il s'agit, réside dans cette élaboration là

«les objets pris en compte dans la tâche sont là pour susciter une pensée qui en retour enrichit ces objets et c'est dans cette élaboration et là seulement que réside le mathématique (même s'il devra encore prendre une forme reconnaissable au regard des pratiques mathématiciennes de référence).» (ibid.p48)

Ce sont bien les traces de telles élaborations que nous allons traquer dans nos données avec les outils d'analyse que nous offre la théorie des champs conceptuels. La perspective retenue est en filiation directe avec celle des travaux et textes cités de Brun et Conne, qu'il s'agisse des liens faits entre algorithmes et schèmes ou qu'il s'agisse de penser l'élaboration des objets mathématiques.

Le chapitre suivant, plus spécifiquement centré sur le temps et la mémoire didactiques clôt l'inventaire des travaux auxquels nous nous référons directement. Le tout dernier chapitre de cette partie sera l'occasion de préciser nos propres questions et hypothèses dans cet univers théorique.