• Aucun résultat trouvé

Les projets de déclaration « obligatoire » ou de portée juridique plus grande

Au cours des débats, le Secrétariat de l’ONU, et les délégations indienne, latino-américaines et française ont proposé des déclarations dont certaines de leurs dispositions leur auraient conféré une valeur juridique plus grande, voire un caractère obligatoire278. Ces propositions ont été rejetées par le groupe de travail sur la mise en œuvre.

« L’avant-projet de la déclaration internationale des droits de l’homme », préparé par le Secrétariat des Nations Unies, et également appelé « projet Humphrey » (du nom du directeur de la division des droits de l’Homme), se présente

275 JOHNSON Glen, « La Déclaration universelle des droits de l’Homme », UNESCO-L’Harmattant, 1988, cité in

PATEYRON Eric, Op. Cit., p. 118.

276 COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Compte-rendu de la première séance [27 janvier 1947], E/CN.4/SR.1, 28

janvier 1947, p. 3.

277

COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Projet de rapport sur la mise en œuvre, E/CN.4/53, 10 décembre 1947, p. 6.

278 La délégation du Royaume-Uni a également proposé de préparer un « instrument juridiquement contraignant ». Cependant,

cet instrument aurait pris la forme d’un traité qui aurait dû être approuvé par l’Assemblée générale puis ratifié par les gouvernements afin d’entrer en vigueur. COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Text of Letter from Lord Dukeston,

the United Kingdom representative on the Human Rights Commission, to the Secretary -General of the United Nations,

sous la forme d’un amendement à la Charte279

. Soumise à la première session du Comité de rédaction, cet avant-projet stipule, en effet, à son article 43 que :

« [L]es dispositions de la présente Déclaration internationale des Droits constitueront des principes fondamentaux du droit international et du droit national des Etats Membres des Nations Unies. Leur application intéresse 1'ordre public international et les Nations Unies seront

compétentes pour connaître des violations des dites dispositions »280.

La délégation indienne, qui accorde beaucoup d’attention à la question de la mise en œuvre de la déclaration, propose un projet qui aurait constitué un « engagement » de même valeur que celle d’un traité, mais qui aurait été uniquement approuvé par l’Assemblée générale.

Le projet est esquissé au début de la première session de la Commission. La représentante de l’Inde, Hansa Mehta, indique que son gouvernement, bien que disponible à préparer une déclaration, est davantage en faveur d’un « acte engageant tous les Etats membres ». Elle argumente que cet acte « serait conforme à la Charte et aux résolutions de la dernière Assemblée générale » et insiste sur « la nécessité du caractère impératif de cette déclaration »281.

A la fin de la session, la délégation indienne soumet un projet de déclaration, sous la forme d’une résolution, qui précise l’idée esquissée par la représentante. Ce projet très court (deux pages) énonce de manière très succincte des droits qui sont regroupés en un seul article composé de trois alinéas282. Les trois autres articles de ce projet de déclaration porte sur la question l’application de la déclaration.

La déclaration est présentée à l’article 2 comme « un engagement que souscrivent les Etats membres des Nations Unies ». La suite de cet article est formulée en employant les termes d’un traité, bien qu’il s’agisse d’une résolution, puisqu’il est précisé que la déclaration « entre en vigueur douze mois après la date à laquelle elle a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies ». Cet article

279 Voir PATEYRON Eric, Op. Cit., p. 117.

280 COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Avant-projet de la déclaration internationale des droits de l’homme ,

E/CN.4/AC.1/3, 4 juin 1947, p. 17.

281 COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Compte-rendu de la quinzième séance [5 février 1947], E/CN.4/SR.15, 5

février 1947, pp. 1-2.

282

Ces trois alinéas portent sur les libertés individuelles (alinéa a), l’interdiction de la discrimination (alinéa b) et le dro it à la sécurité, au travail, à 1'instruction, à la santé, de participer au gouvernement et de po sséder des biens (alinéa c). COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Projet de résolution à adresser à l’Assemblee générale, soumis par la

précise également que les territoires non autonomes et sous tutelles « sont placés automatiquement sous le régime de cette déclaration ».

L’article 4 interdit à tout Etat qui a adhéré à la déclaration « d’en suspendre l’application, en tout ou en partie dès l’instant où il y aura dûment adhéré ».

Enfin, l’article 5 confie au Conseil de sécurité de l’ONU la mission de veiller à l’application de la déclaration. Cet article, qui élargit le mandat du Conseil de sécurité et fonde le caractère obligatoire de la déclaration, est formulé de la manière suivante :

« Le Conseil de sécurité des Nations Unies sera saisi de toute violation alléguée des droits de l'homme, procédera à une enquête à son sujet et assurera le redressement de l'abus dans le cadre de l'organisation des

Nations Unies »283.

La proposition indienne, qui aurait conféré une valeur obligatoire à une résolution de l’Assemblée générale, a été rejetée par le représentant de la Belgique, puis par le groupe de travail sur la mise en œuvre, qui ont considéré qu’elle n’était pas applicable sur le plan juridique.

Le délégué belge (M. Lebeau) a rappelé que l’Assemblée générale ne peut pas adopter « d’acte (…) comportant des obligations juridiques », et ne peut adopter qu’« une résolution que chaque Etat sera libre d’approuver, ou bien adopter le texte d’une convention qui devra être signée et ratifiée » ; il se prononce en faveur d’une résolution comportant une déclaration284.

Le groupe de travail sur la mise en œuvre, qui s’est réuni du 5 au 9 décembre 1947, a décidé à l’unanimité que la Déclaration ne doit pas « contenir une stipulation qui en empêche l’abrogation ou la modification unilatérale », estimant qu’une telle disposition « excéderait la compétence de l’Assemblée générale » et qu’elle « doit se ramener, en définitive, à une recommandation »285.

283 Idem, p. 2. 284

COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Compte-rendu de la quinzième séance [5 février 1947], E/CN.4/SR.15, 5 février 1947, p. 5.

285 COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Projet de rapport sur la mise en œuvre, E/CN.4/53, 10 décembre 1947, pp.

Les délégués des Etats d’Amérique latine, qui avaient dès 1938 adopté une « Déclaration pour la défense des droits de l’Homme »286, ont formulé plusieurs projets qui prévoyaient, selon diverses modalités, des dispositions qui auraient conféré à la Déclaration un caractère obligatoire.

Lors de la Conférence de San Francisco (25 avril – 26 juin 1945), la délégation du Panama, soutenue par les représentants de Cuba, du Chili et du Mexique, avaient défendu, en vain, l’inclusion dans la Charte des Nations Unies d’une « déclaration des droits essentiels de l’Homme »287

. Cette déclaration a été soumise à la Commission nucléaire, réunie l’année suivante du 29 avril au 31 mai288

. Bien que préparée sous les auspices de l’Institut de Droit Américain, celui-ci avait confié la tâche à un comité plurinational de consulter des experts de différentes nations ; ainsi, le préambule de la déclaration ne la présentait pas comme un document ayant une vocation uniquement régionale, mais comme « une déclaration d’un comité représentant différentes nations »289. Annexée à la Charte de l’ONU, elle aurait pu être considérée comme un document de même valeur juridique.

Un autre « projet de déclaration des droits et devoirs internationaux de l’homme » est présenté par la délégation chilienne lors de la première session de la Commission des droits de l’Homme290

. Ce projet constitue une version préliminaire de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme, adoptée à Bogota, en Colombie, le 30 avril 1948291. L’article 20 du projet préliminaire dispose que la déclaration doit être incorporée dans les législations nationales :

« Les dispositions de la présente Déclaration feront partie de la législation de chaque Etat et seront respectées et appliquées par les autorités administratives et judiciaires de la même manière que toutes les autres lois de l’Etat.

286 La déclaration est adoptée à la 8ème Conférence Inter-Américaine, qui a eu lieu à Lima, au Pérou. Voir : GLENDON Mary

Ann, “The Forgotten Crucible: The Latin American Influence on the Universal Human Rights Idea”, pp. 15 -39, Harvard

Human Rights Journal, Vol. 16, 2003, p. 28. 287

GLENDON Mary Ann, A World Made New. Eleanor Roosevelt and the Universal Declaration of Human Rights, Op. Cit., p. 15.

288 COMMISSION NUCLEAIRE, Déclaration des droits essentiels de l’Homme présentée par la délégation du Panama ,

E/HR/3, 26 avril 1946.

289 GLENDON Mary Ann, “The Forgotten Crucible: The Latin American Influence on the Universal Human Rights Idea”, Op. Cit., p. 31.

290

COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Projet de déclaration des droits et devoirs internationaux de l’homme , E/CN.4/2, 8 janvier 1947.

291 GLENDON Mary Ann, “The Forgotten Crucible: The Latin American Influence on the Universal Human Rights Idea”, Op. Cit. p. 31.

Les dispositions de la présente Déclaration ne peuvent être abrogées ou modifiées que conformément aux termes d’un accord inter-américain ou d’un accord des Nations Unies ayant force obligatoire pour les Etats

américains »292.

L’article suivant prévoit, qui plus est, que les étrangers pourraient saisir, en cas de violation des droits de cette déclaration, les tribunaux n ationaux, et si besoin, une « Cour internationale dont le statut doit figurer, comme partie intégrante, dans l’instrument qui consacrera l’adoption de la présente déclaration »293

.

Plusieurs propositions formulées par le représentant français, le professeu r René Cassin, auraient conféré à la Déclaration une portée juridique plus grande.

D’une part, René Cassin aurait souhaité que la Déclaration fasse référence à la Charte de l’ONU, ce qui aurait indiqué de manière explicite que la Déclaration constitue l’expression des droits de l’homme tels qu’énoncé à l’article 55 de la Charte. Dans une proposition formulée le 6 juin 1947, René Cassin propose un préambule de déclaration énoncé de la manière suivante :

« Considérant que la Charte des Nations Unies stipule dans son article 55 que les Nations Unies « favoriseront le respect universel et effectif des droits de l’homme et les libertés fondamentales pour tous, sans distinction

de race, de sexe, de langue ou de religion » »294

Le préambule de l’avant-projet présenté le 16 juin 1947 par le délégué français au Comité de rédaction rappelle également la formule de la Charte de l’ONU en débutant comme elle par « Nous, Peuples des Nations Unies »295.

D’autre part, René Cassin a proposé des dispositions qui auraient conféré aux droits un caractère obligatoire. Dans l’avant-projet du 16 juin, l’article 44 stipule que les droits qu’elle énonce « font partie des principes fondamentaux du droit international », et que ces droits doivent être incorporés dans le droit interne des Etats membres de l’ONU :

« Les dispositions de la présente Déclaration internationale des dro its de l’homme font partie des principes fondamentaux du droit international et

292 COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Projet de déclaration des droits et devoirs internationaux de l’homme ,

E/CN.4/2, 8 janvier 1947, p. 11.

293 Idem, pp. 11-12

294 Reproduit in AGI Marc, Op. Cit., p. 358. 295

devront devenir partie intégrante du droit national des Etats membres des Nations Unies ; leur application intéresse l’ordre public international et les Nations Unies sont compétentes pour connaître des violations desdites

dispositions »296.

Cet avant-projet précise également à l’article suivant que :

« Chacun des Etats membres de l’Organisation des Nations Unies a le devoir de prendre les mesures et les dispositions juridiques n écessaires pour assurer, dans l’étendue de sa juridiction, la mise en vigueur et le respect effectif des droits et libertés proclamés dans la présente

déclaration. Si besoin est, ils collaborent à cet effet297.

Les propositions formulées par le professeur René Cassin d’énoncer le devoir des Etats d’incorporer dans leurs ordres juridiques nationaux les dispositions de la déclaration ont été rejetées par le groupe de travail sur la mise en œuvre. Répondant à la question « La Déclaration (ou la Convention) doit-elle ou non devenir partie intégrante de la législation des Etats qui l'acceptent ? », le groupe de travail a « considéré que le problème de la mise en œuvre était dépourvu d’intérêt pour la Déclaration dans le cadre de [cette] question »298, et que la question de l’applicabilité ne peut se poser que pour des conventions.