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Le mécanisme des plaintes affaibli

L’actuelle procédure des plaintes, qui fonde son examen des communications reçues sur la Déclaration universelle, comme cela est montré (voir infra), a été envisagée dès le début des travaux de la Commission. Pour plusieurs délégations, il apparaît que la Déclaration, dont le contenu n’avait pas encore été défini, peut constituer l’une des bases juridiques de l’examen des communications. Or, le mandat conféré à la Commission ne confère que de faibles pouvoirs de surveillance des droits de l’Homme, réduisant ainsi la force juridique de la Déclaration universelle. La faiblesse de ce mandat résulte notamment de l’opposition de la délégation soviétique et des contraintes juridiques liées à la Charte des Nations Unies.

Si la Commission a envisagé dès le début de ses travaux que la Déclaration internationale constituerait l’une des bases de l’examen des communications, le mandat confié à la Commission pour cet examen est à l’origine limité, n’autorisant ni les enquêtes, ni les jugements, et ne permettant donc pas à la Commission de prendre de décisions coercitives en cas de violation des droits énoncés par la Déclaration universelle.

La question des communications est mise à l’ordre du jour de la Commission dès sa création car de nombreuses plaintes ont été adressées à l’ONU, sans que celle - ci ne dispose de mécanisme pour traiter ces plaintes, « souvent maladroites et

256 Note du secrétariat des Conférences du 8 mai et du 15 mai 1948, NUOI, 382 (S 50 –3 –8 –42A) citée in idem, p. 44. 257 DECAUX Emmanuel, « L’élaboration de la Déclaration universelle des droits de l’homme », Op. Cit., p. 147. 258

La contribution française est transmise dans deux documents : COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME,

Communication reçue du gouvernement français, E/CN.4/82/Add.8, 6 mai 1948 ; COMMISSION DES DROITS DE

L’HOMME, Communication reçue du gouvernement français, E/CN.4/82/Add.10, 17 mai 1948. Dans le second document, l’article 33 est effacé et les articles suivants n’ont pas été renum érotés.

manuscrites »259. Ces plaintes sont adressées soit au Secrétariat des Nations Unies, soit à la Commission elle-même par des individus qui allèguent être victimes de violations des droits de l’Homme260

.

La Commission envisage dès ses premières réunions que la Déclaration internationale puisse constituer l’un des documents permettant l’examen de ces plaintes. Ses membres ne peuvent toutefois pas préciser explicitement qu’elle constituerait la base de l’examen des communications, puisqu’ils n’ont pas encore défini le contenu du document qu’ils souhaitent rédiger, mais soulignent le lien qui devrait exister entre la Déclaration et le mécanisme des plaintes. René Cassin esquisse un système dans lequel le mécanisme des plaintes constituerait le fondement d’un système juridictionnel international des droits de l’Homme. Il souligne que « sa délégation est favorable à la proposition de filtrer les pétitions avec le concours d’organisations non gouvernementales, par la création d’un organisme de conciliation non juridictionnel au sein des Nations Unies et par le recours suprême à une Cour de justice »261. Le délégué des Philippines affirme, sans préciser davantage sa pensée : « Quand la Commission aura adopté la Déclaration Internationale des Droits de l’Homme, elle recevra des lettres de toutes les parties du monde » ; et le représentant philippin voudrait attribuer à l’ONU « le rôle de cour suprême d’appel »262

. Le représentant de l’Uruguay établit également un lien : « Quand la Déclaration Internationale des Droits de l’Homme sera au point, la Commission pourra adresser au Conseil économique et social une recommandation spéciale sur la manière de traiter ces communications »263.

Pour le représentant du Royaume-Uni, Charles Dukes, la Déclaration internationale ou une convention pourrait constituer la base juridique de l’examen des plaintes, mais il s’oppose le 28 janvier 1947 à ce que la Commission traite de la question des communications avant qu’elle ait pu rédiger la Déclaration

259 GLENDON Mary Ann, A World Made New. Eleanor Roosevelt and the Universal Declaration of Human Rights, Op. Cit.,

p. 36.

260 Le Secrétariat affirme que : « Le nombre des communications est important et le Secrétaire pense que la Commission

désirera peut-être voir la liste avant de charger un comité d'examiner les communications elles -mêmes ». COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Compte-rendu de la deuxième séance [27 janvier 1947], E/CN.4/SR.2, 29 janvier 1947, p. 7. John Humphrey précise que « certaines communications ont été faites au Secrétaire général des Nations Unies et non aux membres de la Commission ». COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Compte-rendu de la troisième séance [28

janvier 1947], E/CN.4/SR.3, 28 janvier 1947, pp. 5-6.

261 COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Compte-rendu de la trente-huitième séance [15 décembre 1947],

E/CN.4/SR.38, 15 décembre 1947, p. 13. Egalement cité in DECAUX Emmanuel, « L’élaboration de la Déclaration universelle des droits de l’homme », Op. Cit., pp. 141-142.

262 COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Compte-rendu de la quatrième séance [28 janvier 1947] , E/CN.4/SR.4, 29

janvier 1947, pp. 2-3.

263

internationale264. Il déclare ensuite le 3 décembre 1947 que la Commission « pouvait recevoir des communications, mais qu'elle ne pourrait prendre à leur sujet aucune décision avant que la Commission ait arrêté les textes d'une Déclaration et d'une Convention »265.

A la demande d’Hansa Metha266

, la Commission décide de mettre les communications à la disposition « de tous les membres de la Commission qui en feront la demande »267. La Commission adopte une seconde décision par cinq votes en faveur, trois abstentions et l’opposition de l’URSS, de l’Australie et du Royaume- Uni268, selon laquelle : « 1) une liste de toutes les communications émanant de particuliers ou d'organisations non gouvernementales adressées à la Commission des Droits de l'Homme, ainsi que celles concernant les Droits de l'homme qui seraient transmises à la Commission par d’autres organes des Nations Unies est à chaque session communiquée aux membres de la Commission 2) Les membres de la Commission auront la faculté de consulter au Secrétariat, les originaux de ces communications »269.

Ces décisions de la Commission sont approuvées par l’ECOSOC qui prie, lors de sa cinquième session le 5 août 1947, le Secrétariat

« a) De dresser, avant chaque session de la Commission, une liste confidentielle des communications reçues qui concernent les droits de l'homme, comprenant un bref aperçu de la teneur de chacune

b) De communiquer cette liste confidentielle à la Commission, à huit -clos, sans divulguer 1’identité des auteurs des communications ;

c) De permettre aux membres de la Commission, sur leur demande, de consulter les originaux des communications traitant des principes qui sont à la base du respect universel des droits de l'homme

d) De faire savoir aux auteurs de toute communication relative aux droits de l'homme, sous quelque forme qu'ils l'aient adressée, que leur

264

Idem, pp. 3-4.

265 COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Procès-verbal de la vingt-sixième séance [3 décembre 1947],

E/CN.4/SR.26, 3 décembre 1947, p. 6.

266

COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Compte-rendu de la deuxième séance [27 janvier 1947] , E/CN.4/SR.2, 29 janvier 1947, p. 7.

267 COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Compte-rendu de la troisième séance [28 janvier 1947], E/CN.4/SR.3, 28

janvier 1947, p. 5.

268 COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Compte-rendu de la quatrième séance [28 janvier 1947] , E/CN.4/SR.4, 29

janvier 1947, p.9.

269

communication a été reçue et qu'il en a été pris bonne note pour l’examen

selon la procédure fixée par l’Organisation des Nations Unies »270

.

Le Comité spécial des communications, établi le 3 décembre 1947 par neuf voix contre quatre271, se réunit pour la première fois le 12 décembre 1947 à Genève sous la présidence d’Eleanor Roosevelt. Cependant, il constate « que le régime actuel de la transmission des communications et pétitions est peu satisfaisant pour les membres de la Commission eux-mêmes, étant donné que par ailleurs la Commission in corpore n'est habilitée à prendre aucune mesure au sujet de réclamations relatives aux droits de l'homme »272.

Ce mandat confié à la Commission a été réduit en raison, d’une part, de l’hostilité de la délégation de l’URSS de conférer à la Commission un rôle juridictionnel, et d’autre part, en raison des contraintes juridiques établies par la Charte de l’ONU.

Le délégué de l’Union soviétique affirme qu’ « un sous-comité pourrait bien, dans ces conditions, faire des recommandations sur l'utilisation des documents qui lui parviennent mais il ne saurait se livrer à des enquêtes. La Commission des droits de l’homme n'est pas une Cour de Justice. Elle a un mandat précis qui est l'élaboration d'une Déclaration des droits de 1'homme »273. A la seconde session de la Commission, le 2 décembre 1947, M. Bogomolov se déclare, à nouveau, opposé à la création d'un comité spécial chargé de procéder à l'étude de ces communications. Il affirme « qu'il y aurait lieu d'examiner par priorité les communications émanant de territoires non autonomes et des organisations démocratiques les plus importantes, et qu'il conviendrait de ne pas tenir compte des communications émanant des individus »274.

D’autre part, des dispositions de la Charte de l’ONU qui portent notamment sur la souveraineté des Etats membres ont été mises en avant par le Secrétariat des Nations Unies. Le directeur de la division des droits de l’Homme du Secrétariat général des Nations Unies, John Humphrey, qui propose le 28 août 1946 que la

270 CONSEIL ECONOMIQUE ET SOCIAL, Communications relatives aux droits de l’homme, E/CN.4/27, 23 octobre 1947. 271 COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Procès-verbal de la vingt-sixième séance [3 décembre 1947],

E/CN.4/SR.26, 3 décembre 1947, p. 15.

272 COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Rapport du comité ad hoc sur les communications, E/CN.4/64, 14

décembre 1947, pp. 1-2.

273

COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Compte-rendu de la troisième séance [28 janvier 1947] , E/CN.4/SR.4, 29 janvier 1947, p. 7.

274 COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Compte-rendu de la vingt-troisième séance [2 décembre 1947],

Commission puisse recevoir ces plaintes souligne que le traitement de ces communications ne devrait pas violer l’article 2 paragraphe 7 de la Charte de l’ONU qui interdit à l’Organisation d’« intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un Etat »275. Cette position est défendue également par Henri Laugier, représentant le Secrétariat, qui affirme lors de la première réunion de la Commission douter de la compétence de la Commission à « diriger des enquêtes », mais estime qu’elle « peut soumettre des propositions pour l’établissement d’un mécanisme qui permettra à de tels appels de se faire entendre »276.

Cependant, il convient de noter que la limite imposée par cet article 2 a été rejetée par le groupe de travail sur la mise en œuvre qui a considéré que « [d]ès l'instant où les Etats acceptent d'émettre à leur sujet une Déclaration ou de conclure une Convention, ils les font manifestement sortir de leur « domaine réservé » et l'article 2, paragraphe 7, devient inapplicable »277.

Section 2 - Les projets de déclaration « obligatoire » ou de portée