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La portée juridique d’un texte adopté par consensus

Comme cela a été vu dans l’introduction, la Déclaration universelle n’a pas fait l’objet d’opposition formelle lors de son adoption. Cette adoption par consensus peut permettre de constituer, selon la doctrine, des normes obligatoires pour tous les Etats.

La Déclaration universelle a été adoptée par consensus, à la fois par la Troisième Commission et par l’Assemblée générale elle-même.

Après avoir discuté de chacun des articles de la Déclaration internationale des droits de l’Homme, dont plusieurs sont adoptés à l’unanimité443

, ainsi que des 168

442 Selon les termes de l’article 38(d) du Statut de la Cour internationale de Justice . 443

projets de résolutions proposant des amendements à ces articles444, la Troisième Commission porte son attention sur le document global lors de sa séance du 6 décembre 1948. Elle l’adopte par 29 voix en faveur445

sept abstentions446 et aucune opposition447.

La Déclaration universelle est ensuite adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale, par 48 voix en faveur448

et huit abstentions449.

Plusieurs auteurs montrent que l’adoption d’un texte par consensus ou par un grand nombre d’Etats témoigne de l’adhésion de l’ensemble des Etats.

Appuyant sa réflexion sur l’adoption du premier protocole facultatif portant sur les Conventions de Genève, Antonio Cassese montre que le consensus lors de l’adoption d’un document international rend certaines dispositions du traité juridiquement contraignantes pour les Etats non-parties. Il souligne ainsi que l’adoption par consensus reflète la « conviction générale » que « les dispositions ont un statut juridiquement contraignant »450.

De manière similaire, Louis B. Sohn argumente que l’adoption par consensus ou par une « majorité écrasante » d’un texte traduit l’expression d’une opinio juris selon laquelle les dispositions sont acceptables :

« La signature d’une convention par un grand nombre d’Etats confirme que les dispositions (…) ont été généralement acceptées (…) et qu’elles constituent (…) une opinio juris que ces dispositions sont généralement

acceptables (…) ; [les résolutions déclaratoires] qui, si elles ont été

444 NATIONS UNIES, The Universal Declaration of Human Rights – An historical record of the drafting process “General

Assembly, 3rd session, Paris Third Committee 30 September to 7 December” : (accès au site Internet le 3 mars 2013) : http://www.un.org/Depts/dhl/udhr/meetings_1948_3rd_3c_ga.shtml.

445 Philippines, Suède, Syrie, Turquie, Royaume-Uni, Etats-Unis, Venezuela, Afghanistan, Argentine, Australie, Belgique,

Bolivie, Brésil, Chili, Chine, Cuba, Danemark, République Dominicaine, France, Grèce, Haïti, Honduras, Inde, Iran, Liban, Mexique, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Pérou.

446 Pologne, République socialiste soviétique d'Ukraine, Union des Républiques socialistes soviétiques, Yougoslavie,

République socialiste soviétique de Biélorussie, Canada et Tchécoslovaquie.

447 TROISIEME COMMISSION, Cent-soixante-dix-huitième séance [6 décembre 1948], A/C.3/SR.178, 7 décembre 1948, pp.

879-880.

448 Afghanistan, Argentine, Australie, Belgique, Bolivie, Brésil, Birmanie, Canada, Chili, Chine, Colombie, Costa Rica,

Cuba, Danemark, République Dominicaine, Equateur, Egypte, Salvador, Ethiopie, France, Grèce, Guatemala, Haïti, Islande, Inde, Iran, Irak, Liban, Libéria, Luxembourg, Mexique, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Nicaragua, Norvège, Pakistan, Panama, Paraguay, Pérou, Philippines, Siam, Suède, Syrie, Turquie, Royaume-Uni, Etats-Unis, Uruguay, Venezuela.

449 République socialiste soviétique de Biélorussie, Tchécoslovaquie, Pologne, Arabie saoudite, République socialiste

soviétique d’Ukraine, Union Sud-Africaine, Union des Républiques socialistes soviétiques, Yougoslavie.

ASSEMBLEE GENERALE, Centre-quatre-vingt-troisième séance plénière [10 décembre 1948], A/PV. 183, 10 décembre 1948, p. 912. Voir également : DECAUX Emmanuel, Les grands textes internationaux des droits de l’Homme , Op. Cit., p. 21.

450 CASSESE Antonio, The Geneva Protocols of 1977 on the Humanitarian Law of Armed Conflict and Customar y International Law, 3 UCLA Pac. Basin LJ 55, 113, 1984, cité in MERON Theodor , Human Rights and Humanitarian Norms as Customary Law, Oxford : Clarendon press, 1989, 263 p., pp. 85-86.

acceptées par une majorité écrasante de l’Assemblée générale, généralement par consensus ou par un vote quasi unanime, peuvent aussi

constituer des principes « généralement reconnus » du droit

international » 451.

Les juristes, à l’instar de l’actuel président du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Theodor Meron, soulignent, par ailleurs, qu’il convient pour analyser un consensus de prendre en considération notamment les motifs qui ont conduit les représentants des Etats à adopter un document.

En effet, Theodor Meron énumère quatre limites de la portée d’un consensus lors de l’adoption d’un texte : (1) l’Etat peut, en soutenant un consensus, avoir des intentions qui n’ont rien à voir avec l’acceptation du caractère contraignant de la norme ; (2) l’expression de réserves ou d’interprétations peut dissimuler des désaccords de plus grandes envergures que le représentant préfère ne pas énoncer ; (3) l’autorité du représentant de l’Etat lors de l’adoption du texte doit être pris en considération pour évaluer la pertinence de son appui ; (4) enfin, sur la base de l’article 31.3.b de la Convention de Vienne sur le droit des traités, les circonstances dans lesquelles le document a été approuvé doivent être prises en considération452.

Theodor Meron n’étudie pas lui-même dans quelle mesure ces quatre points peuvent limiter la portée du consensus dans le cas de la Déclaration universelle. En extrapolant sa doctrine au cas de la Déclaration universelle, les conclusions suivantes peuvent être établies:

(1) Des Etats ont pu avoir des motivations autres que l’acceptation du caractère contraignant de la Déclaration universelle. Si certaines délégations ont considéré qu’elle pourrait devenir un texte juridiquement contraignant (France, Union Sud-Africaine…), d’autres ont souligné qu’elle ne constituait qu’un texte à portée symbolique (Etats-Unis, Canada, URSS…). En outre, certaines délégations avaient des raisons d’ordre politique de l’adopter. Les Etats-Unis voulaient, par exemple,

451

Traduction personnelle. Texte original : “The convention[’s] signatur e by a large number of states confirms that the provisions (…) have been generally accepted (…) and constitutes (…) an opinio juris that these provisions are generally acceptable (…) ; [declaratory resolutions] which, if accepted by an overwhelming majority of the General Assembly, usually by consensus or by an almost unanimous vote, can also constitute “generally accepted” principles of international law”. SOHN Louis B., ““Generally Accepted” International Rules”, 61 Wash. L. Rev. 107 3, 1077-8, 1986, cité in MERON Theodor, Op. Cit., p. 86.

452

montrer que les droits de l’Homme constituaient un sujet important de leur politique étrangère453.

(2) Certaines délégations ont exprimé leurs désaccords, sans pour autant voter contre, ni même s’abstenir. Par exemple, les délégations de la Syrie et de l’Irak ont souhaité retirer les termes de « liberté de pensée, de conscience et de religion », et le représentant de l’Egypte a exprimé son désaccord avec la notion d’égalité de droit en matière de mariage. Toutefois, ces délégations qui partageaient le point de vue de la délégation d’Arabie Saoudite ne se sont pas, contrairement à l’Arabie Saoudite, abstenues.

(3) Il n’apparaît pas que l’autorité des représentants des Etats puisse être mise en cause. Les décisions prises par les représentants des Etats n’ont pas été ensuite contestées par les autorités des pays en question.

(4) Enfin, s’agissant des circonstances et des réactions extérieures, la Déclaration universelle a fait l’objet d’une publicité considérable qui n’a pu que renforcer son statut juridique.