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Le projet de cour internationale des droits de l’Homme abandonné

Les délégations australienne et indienne, représentées par William Hodgson et Hansa Metha, ont proposé la mise en place d’un tribunal international des droits de l’Homme. La Commission consultative du droit international rattachée au ministère français des affaires étrangères avait également envisagé d’établir une juridiction internationale chargée des droits de l’Homme, mais a retiré son projet avant de le soumettre à l’ONU.

Constituciones de la postguerra y en la opinión pública mundial. (...) La Declaración Universal, como hemos dicho, no tiene valor obligatorio; es decir, al ser aprobada por medio de una Resolución de la Asamblea General, no posee valor vinculante para los Estados, aunque sí tiene un valor moral innegable ”.

229 GURADZE Heinz, Der Stand der Menschenrechte im Völkerrecht, Goettingen, 1956.

230 ARONEANU Eugène, « L’intervention d’humanité et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme », Revue de Droit International, Genève, avril-juin 1955. Cité in ibidem.

William Hodgson soumet, dès la première session de la Commission un pr ojet de création d’un tribunal international des droits de l’Homme chargé de juger les violations des dispositions de la Déclaration internationale.

La délégation australienne avait déjà essayé, lors de la création des Nations Unies, de doter la partie relative aux droits de l’Homme de la Charte de l’ONU d’un mécanisme ; ce projet avait été rejeté par un comité juridique spécial, comme le rappelle W. Hodgson231. Durant l’élaboration de la Déclaration, la délégation australienne évoque de nouveau à partir du 1er février 1947 l’idée « d’un mécanisme d’application pratique » chargé de « l’application des droits dont on discute en ce moment ». Le représentant australien argumente qu’il n’existe, par exemple, aucun mécanisme chargé de veiller au respect des dispositions territoriales qui sont intégrées dans les traités de paix232.

La délégation australienne présente, le 5 février, un projet détaillé de résolution « en vue de la création d’un tribunal international des droits de l’homme »233

, et propose de soumettre ce projet au comité de rédaction. Ce projet de tribunal aurait conféré une force obligatoire à la Déclaration puisqu’il prévoit à son article 2 : « Le Tribunal est compétent pour connaître et décider de tous les différends relatifs aux droits des citoyens, à l’exercice, des droits de l'homme et aux libertés fondamentales établies par la déclaration des droits de l'homme »234. Ce projet aurait également consacré un caractère supra-constitutionnel à la Déclaration ; l’article 7 affirme, en effet, que : « Chacun de ces (sic) Etats [adhérents], s'engage à ce que les dispositions figurant dans la déclaration soient tenues comme lois fondamentales et à ce que nuls loi, règlement et disposition officielle ne soit incompatible avec ces dispositions, n'en empêche l'effet, ou ne prévale sur elles »235

Toutefois, d’après le projet de la délégation australienne, la Déclaration n’est pas obligatoire pour tous les Etats, mais uniquement pour ceux qui ont accepté sa force obligatoire. En effet, selon l’article 5, « tout Etat qui aura adhéré à la déclaration doit se conformer aux jugements du Tribunal dans toute affaire à laquelle cet Etat est partie et à toute injonction que le Tribunal peut prononcer à son

231

COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Compte-rendu de la deuxième séance [27 janvier 1947], E/CN.4/SR.2, 29 janvier 1947, p. 5.

232 COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Compte-rendu de la neuvième séance [1er février 1947], E/CN.4/SR.9, 1er

février 1947, p. 4.

233 COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Projet de résolution présenté par le délégué de l'Au stralie en vue de la création d'un tribunal international des droits de l'homme , E/CN.4/15, 5 février 1947.

234

endroit »236. Comme le représentant australien l’a précisé avant de soumettre le projet, le caractère contraignant la Déclaration repose sur l’adhésion à une « convention multilatérale » qui établit la « Cour internationale des Droits de l'homme »237. Cependant, la proposition australienne prévoit un régime spécifique pour les Etats vaincus : l’article 6 prévoit que ce tribunal a compétence pour juger les violations des droits de l’Homme prévues dans les traités de paix « avec la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie, la Finlande, l'Autriche, l'Allemagne ou le Japon »238.

Le projet est notamment soutenu par Hansa Mehta, qui souligne que « la question de l’application de la déclaration internationale des droits de l’homme a été portée à l’ordre du jour (…) et la Commission est chargée de prendre les mesures voulues »239. Sur proposition de René Cassin, le projet australien est soumis au Comité de rédaction qui est chargé d’étudier « la proposition australienne et tous autres documents qui pourront lui être présentés pour qu'à sa deuxième session, la Commission puisse élaborer des propositions à ce sujet »240. Cette proposition, adoptée par sept voix contre trois, obtient l’appui des représentants de la Belgique et du Liban. Le représentant de la Belgique affirme notamment que le mandat qu’il leur est conféré par l’ECOSOC les autorise à étudier « les dispositions pour faire respecter les droits de l’homme »241

. Le représentant du Liban argumente que le Comité de rédaction doit pouvoir non seulement étudier le projet australien, mais également « tout projet relatif à l’application de la Déclaration internationale »242.

Le projet australien est toutefois critiqué et rejeté par plusieurs représentants, dont notamment ceux de l’URSS, du Royaume-Uni et des Etats-Unis. Pour la délégation soviétique, le Comité de rédaction n’a pas de mandat pour travailler sur des documents relatifs à la mise en application de la Déclaration243. Le représentant du Royaume-Uni est opposé au projet australien, argumentant qu’il est prématuré de

235 Idem, p. 2. 236 Idem, p. 1.

237 COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Compte-rendu de la quinzième séance [5 février 1947], E/CN.4/SR.15, 5

février 1947, pp. 2-3.

238 COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Projet de résolution présenté par le délégué de l'Australie en vue de la création d'un tribunal international des droits de l'homme , E/CN.4/15, 5 février 1947, p. 2.

239

COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Compte-rendu de la seizième séance [5 février 1947] , E/CN.4/SR.16, 5 février 1947, p. 3.

240 Idem, p. 6. 241

Idem, p. 3.

242 Idem, p. 4.

243 COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Compte-rendu de la quinzième séance [5 février 1947], E/CN.4/SR.15, 5

discuter des mécanismes de mise en œuvre, alors que la Commission n’a pas encore défini les droits qui seront protégés244. Pour la représentante des Etats-Unis, son gouvernement « estime qu’il ne convient pas d’aller plus loin pour le moment » ; ce débat sur la création d’un mécanisme de contrôle « nécessiterait des études longues et approfondies » et ne pourrait avoir lieu que lorsque la Commission aura préparé des conventions. Elle souligne, par ailleurs, que sa délégation est favorable à ce que la résolution qui comprendra la déclaration recommande d’incorporer la Déclaration dans les Constitutions des Etats membres245.

Le groupe de travail chargé d’étudier la question de la mise en œuvre de la Déclaration internationale, s’est réuni dès son établissement le 5 décembre 1947 jusqu’au 9 décembre. Présidé (sur proposition du représentant de l’Australie), par Hansa Metha (délégation indienne), il comprend les représentants de l’Australie, de la Belgique, de l’Iran, de l’Ukraine et de l’Uruguay 246.

A l’exception du représentant de l’Ukraine, qui quitte le groupe après la première réunion, considérant qu’il n’est pas possible de discuter de la mise en œuvre avant de connaître le contenu de la Déclaration247, tous les représentants acceptent l’idée d’une cour internationale (terme préféré à tribunal), mais ont des avis partagés concernant les modalités de mise en œuvre de cette cour : si les représentants de l’Australie, de la Belgique et de l’Iran sont en faveur de la création d’une cour nouvelle, la représentante de l’Inde souhaite que les questions relatives aux droits de l’Homme soient traitées par une chambre spéciale de la Cour internationale de Justice248. Le groupe a ensuite proposé que l’exécution des arrêts prononcés par la cour, établie par une convention, soit confiée à l’Assemblée générale, en raison de sa compétence en matière de coopération économique et sociale, et ce bien qu’elle ne détienne que des pouvoirs de recommandation249.

Le projet indo-australien d’établir une cour internationale est abandonné durant la seconde session de la Commission suite au rejet exprimé par le représentant de l’URSS, soutenu par les représentants de la Yougoslavie et de l’Iran, qui affirme

244

Idem, pp. 3-4.

245 Idem, p. 5.

246 COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Projet de rapport sur la mise en œuvre, E/CN.4/53, 10 décembre 1947, p.

1.

247 Idem, pp. 3-4 248 Idem, p. 37. 249

que ce projet est contraire aux principes de « souveraineté et d’indépendance nationale ». Alexander E. Bogomolov juge, en effet, le rapport « inacceptable », considérant notamment que la proposition de cour internationale constitue « une tentative d'enfreindre grossièrement l'article 2, paragraphe 7, de la Charte des Nations Unies qui dénie le droit d'intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat »250

. Pour le représentant de Yougoslavie, le rapport a pour objectif « de faire des Nations Unies une sorte de gouvernement mondial qui se trouverait au-dessus de la souveraineté nationale »251. Pour le délégué de l’Iran, « toute tentative de création d'une Cour d’Appel qui jugerait les infractions contre les droits de l'homme constituerait une violation de la souveraineté des Etats »252.

Comme l’ont indiqué Georges-Henri Soutou et Emmanuel Decaux, la Commission consultative de droit international rattachée au min istère français des affaires étrangères avait également envisagé un article 33 portant création d’une juridiction internationale des droits de l’Homme, avant de retirer ce projet.

Cette commission établie en mars 1947 et présidée par René Cassin253 avait rédigé le 10 avril 1948, sous la direction de ses membres Suzanne Bastid et Charles Chaumont et avec l’appui du jurisconsulte du ministère André Gros254

, un projet en deux phases. Dans la première phase non-juridictionnelle, une commission composée de onze membres élus par l’Assemblée générale aurait été chargée de conduire des enquêtes, de tenter de concilier les parties et de faire des recommandations. Dans la seconde phase, un Parquet international aurait été chargé de poursuivre l’Etat incriminé devant une Cour internationale. Cette Cour internationale aurait pu être la Cour internationale de Justice, auquel il aurait été ajouté une chambre pénale après modification de la Charte des Nations Unies, ou une nouvelle « Cour des droits de l’Homme, comprenant deux chambres, une civile pour les droits de l’Homme, une pénale pour les génocides »255.

250 COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Compte-rendu de la trente-huitième séance [15 décembre 1947],

E/CN.4/SR.38, 15 décembre 1947, pp. 9 -10.

251 Idem. p. 11.

252 COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME, Compte-rendu de la huitième séance [31 janvier 1947], E/CN.4/SR.8, 31

janvier 1947, p. 3.

253 SOUTOU Georges-Henri, Op. Cit., p. 35. 254 Idem, p. 42.

255

René Cassin avait fortement soutenu ce projet d’article 33 « étant donné l’attitude de la majorité de la commission consultative et la position traditionnelle de la France »256. Cependant, le ministre des affaires étrangères, Georges Bidault, a décidé le 25 mai 1948 de retirer l’article 33 du projet français. Ainsi, comme le souligne Emmanuel Decaux257, le projet d’article 33 a été effacé de l’un des documents transmis par le gouvernement français au secrétariat des Nations Unies258.