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La Cour internationale de Justice (ci-après CIJ), qui constitue l’organe judiciaire de l’ONU, ne peut être saisie d’une affaire que si les parties y consentent. Pour cette raison, comme le souligne le juge Gilbert Guillaume, « il est bien rare qu’un Etat accepte volontairement de voir contester son action dans le domaine des droits de l’homme »522. Or, comme il l’indique également, dans les motifs de ses

jugements, et notamment à travers la procédure des avis consultatifs, la Cour a été fréquemment conduite à se prononcer sur les droits de l’Homme.

Sur la base de l’article 38 de son Statut, la CIJ peut appliquer le droit fondé sur quatre sources : les conventions internationales, « la coutume internationale comme preuve d'une pratique générale, acceptée comme étant le droit », « les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées », et « comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit », « les décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations »523.

La CIJ a d’abord considéré que des dispositions relatives aux droits de l’Homme peuvent être obligatoires. Des juges ont considéré, à travers des opinions individuelles, que la Déclaration universelle constitue une source de droit. Enfin, dans son son arrêt sur le personnel diplomatique et consulaire prononcé le 24 mai 1980, la CIJ a affirmé que les « droits fondamentaux énoncés par la Déclaration universelle » sont obligatoires pour les Etats.

520

Ibidem.

521 CHANET Christine, Op. Cit., p. 270. Emmanuel Decaux considère, par ailleurs, que le Comité créé ainsi un « bloc

substantiel ». DECAUX Emmanuel, « La Charte internationale des droits de l’homme, cohérence et complé mentarité », Op.

Cit., p. 42.

522 GUILLAUME Gilbert, La Cour internationale de Justice à l’aube du XXIème siècle. Le regard d’un juge, Paris : A.

Pedone, 2003, 331 p., p. p. 265.

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La CIJ a d’abord établi que des dispositions en matière de droits de l’Homme pouvaient devenir contraignantes en étant incorporées au droit coutumier.

La CIJ reconnaît dans son avis consultatif concernant les réserves à la

Convention sur le génocide rendu le 28 mai 1951 que des dispositions relatives aux

droits de l’Homme peuvent être contraignantes524

.

Dans l’affaire de la Barcelona Traction, la CIJ définit les obligations des Etats vis-vis de l’ensemble de la communauté internationale qu’elle qualifie d’obligations

erga omnes : « Une distinction essentielle doit en particulier être établie entre les

obligations des Etats envers la communauté internationale dans son ensemble et celles qui naissent vis-à-vis d'un autre Etat dans le cadre de la protection diplomatique. Par leur nature même, les premières concernent tous les Etats. Vu l'importance des droits en cause, tous les Etats peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés; les obligations dont il s'agit sont des obligations erga omnes. (…) Ces obligations découlent par exemple, dans le droit international contemporain, de la mise hors la loi des actes d'agression et du génocide mais aussi des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine, y compris la protection contre la pratique de l'esclavage et la discrimination raciale »525.

Dans plusieurs affaires jugées ensuite, la CIJ n’a pas traité explicitement du statut de la Déclaration universelle ; des juges ont toutefois exprimé, dans leurs opinions dissidentes, l’avis que la Déclaration définit des principes du droit coutumier s’imposant aux Etats.

Exprimant une opinion dissidente à l’arrêt de la Cour sur l’Affaire Nottebohm du 6 avril 1955, le juge Guggenheim estime que le droit à la nationalité énoncé à l’article 15 (1) de la Déclaration universelle doit s’appliquer à tout individu : « La protection de l'individu, déjà organisée d'une manière si précaire dans le droit international actuel, se trouvera encore affaiblie et ce serait, à mon avis, contraire au principe fondamental inscrit dans l'article 15, litt. 1, de la déclaration universelle des

524 COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, Réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, 28 mai 1951, p. 23. Voir INTERNATIONAL LAW ASSOCIATION (Committee on the

Enforcement of Human Rights Law), Op. Cit., p. 543.

525 COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, Affaire de la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, arrêt, 5

Droits de l'homme, approuvée le 8 décembre 1948 par l'Assemblée générale des Nations Unies, selon lequel tout individu a droit à une nationalité »526.

Dans l’affaire sur le Sud-Ouest africain, l’Ethiopie et le Liberia avaient saisi la CIJ en raison d’infractions alléguées au mandat conféré par la Société des Nations à l’Afrique du Sud pour l’administration du Sud-Ouest africain (Namibie). Dans leurs conclusions soumises à la Cour, les deux Etats avaient estimé que l’Afrique du Sud violait dans ce Territoire les dispositions du droit international des droits de l’Homme, dont celles issues de la Déclaration de 1948527

. Toutefois, la Cour ne s’appuie, dans son arrêt rendu le 18 juillet 1966, que sur la Charte et ne fait pas référence à la Déclaration universelle528. Dans une opinion dissidente, le juge Tanaka estime toutefois que les dispositions de la Déclaration universelle peuvent constituer des obligations en matière de droits de l’Homme pour les Etats : « Des dispositions de la Charte qui rappellent les droits de l'homme et les libertés fondamentales, on peut donc déduire que l'obligation juridique de respecter ces droits et ces libertés s'impose aux Etats Membres. (…) Sans aucun doute, dans les conditions actuelles, la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales est très imparfaitement assurée sur le plan international. (…) Mais il ne fait guère de doute que les droits et les libertés de l'homme existent; sinon, il serait logiquement inconcevable qu'on les respecte; la Charte présuppose l'existence de droits et de libertés de l'homme qui doivent être respectés ; on ne saurait imaginer qu'il existe pareils droits et libertés sans qu'il y ait des obligations correspondantes pour les personnes visées et une norme juridique à la base de ces obligations. Il ne fait pas non plus de doute que lesdites obligations ne sont pas seulement d'ordre moral et qu'elles ont aussi un caractère juridique vu la nature même de leur objet. (…) [L]a Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par l'Assemblée générale en 1948 constitue, sans avoir

526

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, Affaire Nottebohm (Lichtenstein c. Guatemala) – Opinion dissidente de M.

Guggenheim, juge « ad hoc », 6 avril 1955, p. 63. Voir JAYAWICKRAMA Nihal, Op. Cit., p. 40.

527 « L'Union a adopté et appliqué une législation, des règlements administratifs et des mesures officielles qui suppriment les

droits et les libertés des habitants du Territoire, droits essentiels à l'évolution régulière vers l'autonomie, à laquelle leur donnent implicitement droit le Pacte de la Société des Nations, les dispositions du Mandat et les normes internationales couramment acceptées telles qu'elles sont inscrites dans la Charte des Nations Unies et la Déclaration des droits de l'homme ». COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, Affaire du Sud-Ouest africain. Deuxième phase, arrêt, 18 juillet 1966, §h.

528 « Des considérations humanitaires peuvent inspirer des règles de droit; ainsi le préambule de la Charte des Nations Unies

force obligatoire par elle-même, la preuve de l'interprétation et de l'application qu'il convient de donner aux dispositions pertinentes de la Charte »529.

La CIJ a été saisie une nouvelle fois sur la question namibienne par la résolution 284 du Conseil de sécurité adoptée le 29 juillet 1970530. Dans le préambule de la résolution 2145 (XXI) précédemment adoptée par l’Assemblée générale, celle-ci avait considéré que « l’administration du Territoire sous mandat par l’Afrique du Sud a été assurée d’une manière contraire au mandat, à la Charte des Nations Unies et à la Déclaration universelle des droits de l’homme »531. En outre, le Conseil de sécurité

avait reconnu dans sa résolution 282 « la légitimité du combat que mène le peuple opprimé de l'Afrique du Sud pour assurer les droits de l'homme et les droits politiques énoncés dans la Charte des Nations Unies et dans la Déclaration universelle des droits de l'homme »532. Cependant, dans son avis consultatif sur la Namibie (Sud-Ouest

africain) rendu le 21 juin 1971, la CIJ ne se réfère pas à la DUDH. Elle affirme dans

le paragraphe 131 qu’« en vertu de la Charte des Nations Unies, l'ancien mandataire s'était engagé à observer et à respecter, dans un territoire ayant un statut international, les droits de l'homme et les libertés fondamentales pour tous sans distinction de race. Le fait d'établir et d'imposer, au contraire, des distinctions, exclusions, restrictions et limitations qui sont uniquement fondées sur la race, la couleur, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique et qui constituent un déni des droits fondamentaux de la personne humaine, est une violation flagrante des buts et principes de la Charte »533. Dans une opinion individuelle, le juge Ammoun considère néanmoins que

la Cour aurait dû faire expressément mention du caractère contraignant de certains droits énoncés par la Déclaration et s’interroge sur son intégration dans la coutume internationale : « [L]'avis fait formellement état de la Déclaration universelle des droits de I'homme. Il aurait gagné à traiter expressément du caractère comminatoire de certains de ces droits mis en cause par les agissements de l'Afrique du Sud, et dont il a admis ce caractère en en retenant la violation aux paragraphes 130 et 131. (…) Quoique les énonciations de la Déclaration ne soient pas obligatoires en tant qu e

529 COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, Affaire du Sud-Ouest africain. Deuxième phase - Opinion dissidente du juge Tanaka, arrêt,18 juillet 1966, pp. 289-293. Voir INTERNATIONAL LAW ASSOCIATION (Committee on the Enforcement

of Human Rights Law), Op. Cit., pp. 543-544.

530 CONSEIL DE SECURITE, La situation en Namibie, résolution 276, 29 juillet 1970.

531 ASSEMBLEE GENERALE, Question du Sud-Ouest africain, résolution 2145 (XXI), 27 octobre 1966. 532

CONSEIL DE SECURITE, La situation en Namibie, résolution 284, 29 juillet 1970.

533 COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE, Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, 21 juin

convention internationale selon l'article 38, paragraphe 1 a), du Statut de la Cour, elles peuvent lier les Etats en vertu de la coutume »534.

Enfin, la CIJ, elle-même, s’appuie explicitement sur la Déclaration universelle dans le paragraphe 91 de son arrêt sur le personnel diplomatique et consulaire rendu le 24 mai 1980. Dans cette affaire, la Cour devait notamment juger si le gouvernement d’Iran avait pour obligation de libérer de membres du personnel diplomatique et consulaire américains, ainsi que d’autres ressortissants des Etats-Unis à Téhéran et de leur permettre de quitter l’Iran.

Cet arrêt montre que, pour la Cour, les « droits fondamentaux » énoncés par la Déclaration, qui ont été violés par l’Iran, ont une valeur contraignante et s’imposent aux Etats : « Le fait de priver abusivement de leur liberté des êtres humains et de les soumettre dans des conditions pénibles à une contrainte physique est manifestement incompatible avec les principes de la Charte des Nations Unies et avec les droits fondamentaux énoncés dans la déclaration universelle des droits de l'homme »535.

Dans son opinion dissidente, le juge Morozov considère que l’allégation selon laquelle l’Iran a violé la Charte et la Déclaration universelle est « infondée », mais il ne met pas en question la portée juridique de ces textes536.