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La crainte d’adopter un instrument juridique contraignant

ne serve de base juridique pour condamner les violations des droits de l’Homm e dans leur pays, témoignant ainsi d’une vision selon laquelle la DUDH pourrait acquérir une valeur juridique obligatoire. Les représentants de l’Union sud-africaine ont explicitement indiqué que la Déclaration universelle pourrait après son adoption être considérée comme un document à valeur juridique obligatoire, d’autres délégations (Arabie Saoudite, Egypte) ont critiqué certains droits qu’elle énonce.

La délégation de l’Union sud-africaine, qui s’est abstenue lors de l’adoption de la Déclaration universelle, a estimé devant la Troisième Commission puis devant l’Assemblée générale que la Déclaration universelle serait considérée comme la « définition autorisée » de la Charte de l’ONU et aurait à ce titre une force obligatoire. La Déclaration universelle pourrait ainsi servir de base aux critiques formulées à l’encontre du régime d’Apartheid qui est en train d’être mis en place dans ce pays328.

Le représentant de l’Union sud-africaine (M. Louw) a exprimé sa crainte devant la Troisième Commission que « de manière tendancieuse » la Déclaration universelle puisse être considérée comme un texte contenant des obligations juridiques qui s’imposeraient également aux Etats qui s’abstiendraient de voter :

« Une déclaration n'est pas une convention, et n'a donc pas force juridique. Cependant, d'aucuns pourraient tenir à interpréter ses dispositions à la lueur de certains passages de la Charte, et pourraient également insister pour que l'on admette l'existence d'obligations d'ordre juridique. En outre, une convention n'engage que les parties contractantes, tandis que, dans le cas de la déclaration, les Membres qui s'abstiendraient de voter seraient tout de même liés par ses dispositions. Le Gouvernement de l'Union Sud-Africaine a de bonnes raisons pour s'entourer de précautions avant de se prononcer sur la question.

328 L’Union sud-africaine avait déjà fait l’objet de critiques de la part de l’Assemblée générale en 1946 concernant la

En effet, on a vu que bien souvent, pour des raisons politiques, un langage

clair avait été interprété de manière tendancieuse »329.

La même opinion est réitérée par un autre représentant sud-africain (M. Andrews) le 10 décembre 1948 devant l’Assemblée générale qui explique de la manière suivante la raison de son abstention :

« [L]a déclaration, tout en n’ayant pas le caractère d’une convention internationale, n’en imposerait pas moins certaines obligations aux Etats Membres si elle était acceptée par l’Assemblée, car on y verrait probablement une définition autorisée des droits et libertés essentiels dont parle la Charte sans les définir. Si une telle interprétation était acceptée, les Etats Membres qui auraient voté le projet de déclaration seraient liés de la même manière que s’ils avaient signé une convention contenant ces principes, avec cette différence toutefois, qu’une convention établirait des obligations clairement exprimées, alors que la déclaration consacre un certain nombre de droits qui non seulement sont énoncés de façon vague, mais d’une telle nature que d’Etats accepteraient de prendre des engagements juridiques à leur égard (..)

Si la déclaration ne doit avoir aucun caractère d’obligation, elle sera dénuée de toute valeur pratique. Mais selon la thèse soutenue par plusieurs délégations devant la Troisième Commission et tendant à représenter la déclaration comme définissant les droits et libertés mentionnées par la Charte, l’adoption de la déclaration entraînerait certaines obligations juridiques pour les Gouvernements qui y auraient

souscrits»330.

Parmi les droits énoncés par la Déclaration universelle, la délégation sud - africaine rejette le droit « d’habiter une région donnée » (référence est ici faite à l’article 13 relatif au droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat), le droit de prendre part aux affaires publiques (actuel article 21), ai nsi que plusieurs droits économiques et sociaux : « par exemple le droit, non seulement au travail, mais à un travail utile, et rémunéré selon les capacités et la compétence ; le

329 TROISIEME COMMISSION, Quatre-vingt dixième séance [1er octobre 1948], A/C.3/SR.90, non daté, p. 39.

330 ASSEMBLEE GENERALE, Cent-quatre-vingt-deuxième séance plénière [10 décembre 1948], A/ PV. 182, 10 décembre

devoir pour l’Etat d’assurer un emploi à chacun ; le droit, pour les femmes, à un salaire égal à celui des hommes pour un travail égal »331.

D’autres délégations n’ont pas exprimé aussi explicitement que la délégation sud-africaine leur crainte que la Déclaration universelle ait une valeur juridique obligatoire, mais ils ont formulé des critiques qui montrent qu’elles considéraient que la Déclaration universelle pouvait avoir ou acquérir une certaine valeur juridique contraignante.

La délégation d’Arabie Saoudite, qui s’est abstenue lors du vote sur l’adoption de la Déclaration universelle par l’Assemblée générale, est intervenue à de nombreuses reprises durant les débats de la Troisième Commission pour critiquer le projet de Déclaration332. Elle s’est, d’une part, opposée en vain à la référence aux « droits égaux au regard du mariage » (actuel article 16). Elle a proposé, avec l’appui du représentant du Pakistan333, de remplacer cette formulation par un amendement dans lequel il est seulement précisé que l’homme et la femme « jouissent de tous les droits prévus par les lois sur le mariage de leur pays »334. Elle a, d’autre part, tenté, avec l’appui d’autres délégations arabes (Irak et Syrie335

) et latino-américaines (Bolivie, Venezuela et Cuba336) de supprimer les termes de « liberté de pensée, de conscience et de religion » (actuel article 18)337.

La délégation d’Egypte, qui a voté en faveur de l’adoption de la Déclaration universelle, a également émis des critiques sur l’article relatif aux droits égaux devant le mariage, soulignant qu’« [e]n Egypte, comme dans presque tous les pays musulmans, certaines restrictions et limitations existent en ce qui concerne le mariage des femmes musulmanes avec des personnes d’une autre religion »338. Elle a critiqué également l’actuel article 18 relatif à la liberté de changer de religion339

.

331 TROISIEME COMMISSION, Quatre-vingt dixième séance [1er octobre 1948], A/C.3/SR.90, non daté, p. 39.

332 Voir à ce sujet l’analyse des raisons de l’abstention par John Humphrey in HUMPHREY John P., Human Rights and the United Nations: a Great Adventure, New York, Transnational Publishers Inc., 1984, 68-73.

333

TROISIEME COMMISSION, Cent vingt-cinquième séance [8 novembre 1948], A/C.3/SR. 125, non daté, p. 374.

334 TROISIEME COMMISSION, Arabie Saoudite : Proposition d'amendement à l'article 14 du projet de Déclaration (E/800), A/C.3/240. Cet amendement est défendu durant la réunion suivante de la Troisième Commission : TROISIEME

COMMISSION, Cent vingt-cinquième séance [8 novembre 1948], A/C.3/SR. 125, non daté, pp. 369 et s.

335 TROISIEME COMMISSION, Cent vingt-septième séance [9 novembre 1948], A/C.3/SR. 127, non daté, pp 402-403. 336 Idem, pp. 400 et 404.

337

Idem, p. 392.

338 ASSEMBLEE GENERALE, Cent-quatre-vingtème-troisième séance plénière [10 décembre 1948], A/ PV. 183, 10

décembre 1948, p. 912.

339

Section 3 - L’espoir d’adopter la définition autorisée des droits de