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Projet en cours : communication entre Hydro-Québec et les Innus au sein des sociétés conjointes

Chapitre 8 : Interprétation des résultats

8.3 Projet en cours : communication entre Hydro-Québec et les Innus au sein des sociétés conjointes

Alors que l‟étape des consultations en avant-projet et celle des négociations pour la signature d‟une entente conféraient aux Innus un niveau de participation plus limité, celui- ci est beaucoup plus important à l‟intérieur des sociétés conjointes. Ainsi, il s‟agit de l‟étape pour laquelle la marge de manœuvre des Innus est la plus importante. Même si la relation avec Hydro-Québec diffère d‟une communauté à l‟autre, il reste que les Innus sont majoritaires au sein des sociétés conjointes (ressource statutaire), ce qui leur permet d‟avoir le dernier mot quant au financement des projets. À cela s‟ajoute le fait que les représentants d‟Hydro-Québec s‟abstiennent de voter lorsqu‟un projet ne correspond pas aux critères de financement, mais que la communauté a à cœur sa réalisation. Nous interprétons cela comme de la flexibilité et de l‟ouverture, qui seraient des facteurs en faveur des Innus. À noter que les sociétés fournissent parfois un encadrement technique et des conseils aux promoteurs innus pour les aider dans la réalisation de leur projet. De plus, les Innus qui siègent aux sociétés ont la possibilité de former des caucus et de discuter du financement des projets dans leur langue, ce que les administrateurs d‟Hydro-Québec ne peuvent pas faire. D‟autres ressources humaines sont en faveur des Innus. En effet, les représentants innus, particulièrement pour la communauté d‟Ekuanitshit, sont stables, et possèdent l‟expertise et les compétences techniques nécessaires à l‟exercice de leurs fonctions. De plus, les échanges se déroulent dans une ambiance de politesse, de respect et d‟ouverture, les gens se sentant libres d‟exprimer leur point de vue de façon franche et directe. Les membres des sociétés, tant chez les Innus que chez Hydro-Québec, ont mentionné l‟importance de créer des liens, d‟avoir une relation amicale. Le recours à l‟humour et à l‟autodérision contribue à régler les conflits rapidement.

En revanche, certains éléments freinent les échanges entre les représentants innus et ceux d‟Hydro-Québec à l‟intérieur des sociétés conjointes. En effet, la méfiance vis-à-vis de la société d‟État et la lourdeur des démarches administratives sont des facteurs qui nuisent au bon déroulement des échanges selon certains informateurs. De façon générale, les informateurs s‟entendent pour affirmer que la confiance entre les membres des sociétés requiert du temps et des gestes concrets.

113 En dehors de la communication entre ses membres, les sociétés conjointes sont aux prises avec certains défis concernant l‟application des ententes et la distribution du financement dans la communauté. En effet, certains informateurs innus ont dénoncé le cadre strict des ententes. De plus, l‟omniprésence des liens familiaux dans les communautés innues complique la tâche des administrateurs innus dans les sociétés, qui doivent parfois refuser d‟allouer du financement à des membres de leur famille, lorsque ceux-ci soumettent des projets qui ne correspondent pas aux critères établis. Les membres innus des sociétés conjointes doivent également supporter un certain jugement de la part du reste de leur communauté, qui les considère comme les « amis d‟Hydro ». La gestion des fonds par les Innus est limitée par les périodes précises de versements des fonds imposées par Hydro- Québec, qui constituent une ressource normative en faveur de la société d‟État. La gestion des fonds est également limitée par le rôle prépondérant exercé par le conseil de bande dans l‟attribution du financement (ressource statutaire), les sociétés se voulant au départ, indépendantes des conseils de bande. Finalement, la diffusion de l‟information au sujet des activités des sociétés au reste de la communauté représente un défi constant, même si certaines initiatives ont été prises en ce sens (ressources informationnelles).

En somme, les Innus sont désavantagés au plan structurel : ils doivent défendre leur position à l‟intérieur des cadres et des balises imposés par Hydro-Québec et par l‟État, que ce soit à travers les mécanismes de consultation, ou la création de sociétés conjointes, qui permettent à Hydro-Québec de rester impliqué dans la gestion du financement. Ce pouvoir de « définition de la réalité » (Foucault 1980), des problèmes, des solutions et des structures qui régissent la prise de décisions est beaucoup plus important pour Hydro-Québec et pour l‟État que pour les Innus. Ceux-ci possèdent toutefois un pouvoir de résistance (Rodon 2003), qui se manifeste lors de barrages routiers, mais aussi au moment des négociations, où les communautés les mieux organisées « savent tirer profit de leur position géographique avantageuse – proximité, territoire ancestral directement touché – pour influencer et intégrer la planification et la réalisation de la plupart des projets hydroélectriques » (Savard, 2009 : 55).

Une fois le projet démarré, bien que les mécanismes de gestion des fonds dépendent de la volonté d‟Hydro-Québec, il appert que les individus appelés à interagir au sein des sociétés,

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tant chez les Innus que chez Hydro-Québec, possèdent certaines qualités personnelles, notamment une ouverture à l‟autre, qui semblent bénéficier aux communautés innues. En effet, les représentants d‟Hydro-Québec à qui nous avons parlé sont souvent en marge de la position officielle de leur organisation. Ils font preuve de flexibilité et de sensibilité aux questions autochtones. C‟est donc pour cette raison que nous situons le niveau de participation des Innus au sein des sociétés conjointes à celui du partenariat sur l‟échelle de participation de Sherry Arnstein. En effet, à ce niveau, la responsabilité du pouvoir et de la prise de décision est partagée à travers « des structures comme des conseils politiques conjoints, des comités de planification et des mécanismes permettant de sortir des impasses » (Arnstein, 2006 : 13). Dans ce contexte, les Innus ne peuvent « se voir imposer un changement unilatéral » en ce qui concerne la gestion de leur financement (Arnstein, 2006 : 13).

La communication participative s‟inscrit dans la durée, dans le long terme (Tufte et Mefalopulos, 2009; Chin Saik Yoon, dans Bessette 1996). En ce sens, la constitution et la mise en œuvre des sociétés conjointes dans le cadre du projet de la Romaine se rapportent davantage à ce type de communication que les phases de l‟avant-projet et des négociations. En effet, ces étapes du projet étaient caractérisées par l‟obligation de respecter des échéanciers serrés, condition souvent indissociable d‟un mode de gestion axé sur les résultats. Le projet de la Romaine, issu d‟une forte volonté politique et à l‟origine d‟enjeux économiques importants, ne pouvait se soumettre aux exigences de flexibilité des Innus. Les sociétés, elles, sont des structures qui sont là pour rester, et qui permettent aux administrateurs, tant Innus que d‟Hydro-Québec, de nouer des liens. Dans cette optique, les sociétés peuvent aider les communautés à définir et à opérationnaliser leurs besoins, à identifier leurs ressources, à développer leurs habilités communicationnelles et à renforcer leur capacité d‟organisation et de leadership (Melkote, dans Wilkins, 1999 : 49). L‟idéal serait qu‟elles atteignent leur objectif et que la présence de représentants d‟Hydro-Québec ne soit plus nécessaire.

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8.4 Création d’emplois, accès à de la formation et impacts de la