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Chapitre 5 : Projet en cours : communication entre Hydro-Québec et les Innus au sein des sociétés

5.2 Ce qui facilite les échanges – Aspects positifs

Les sociétés conjointes sont composées de quatre administrateurs innus et de trois administrateurs d‟Hydro-Québec. Cette majorité confère aux Innus un certain pouvoir décisif quant au financement des projets. Un informateur innu confirme cette situation :

Nous autres, à l’intérieur du CA, du conseil d’administration, y’a trois représentants d’Hydro- Québec et au niveau autochtone on est quatre. Nécessairement, c’est pas eux qui contrôlent et c’est la partie innue, la partie montagnaise qui a le plus gros, au niveau de la Société. Également, on se rencontre, hum, trois à quatre fois par année, selon la rentrée des financements, au niveau des sommes. – Informateur no 2, Innu d’Ekuanitshit

Il ajoute que les administrateurs d‟Hydro-Québec agissent plutôt à titre de conseillers : Quand on a un projet à prendre une décision, c’est sûr que nous du parti innu, on se réunit, on se parle, pis on voit que si le projet correspond aux objectifs du programme, y’a pas de problème, mais même si la partie Hydro-Québec, eux autres ils sont là pour, pour comme au niveau technique, parce qu’ils ont quand même une certaine expérience eux-autres, ils sont là seulement pour nous aider, pour avoir une forme d’aide. – Informateur no 2, Innu d’Ekuanitshit

5.2.2 Ressources humaines et informationnelles: stabilité, expertise et compétences techniques

Pour l‟informatrice no 1 d‟Ekuanitshit, le fait que les membres de la Société Ishpitenitamun

soient stables et qu‟ils connaissent le fonctionnement de la société représente un gros avantage :

Je te dirais qu’il y a un autre avantage à notre Société c’est que les membres sont assez stables. […] Tsé, pis ils connaissent le fonctionnement aussi fac ça fait des réunions qui s’éternisent pas en discussions incompréhensibles ou des discussions qui s’éternisent sur des détails niaiseux là. [P]is moi je me suis développé des outils de travail, qui font que, quand les administrateurs arrivent, y’ont déjà l’information pertinente concernant chaque dossier, chaque projet, bin y’ont le projet en main, y’ont déjà l’information pertinente aussi pour l’analyse du projet. – Informatrice no 1, Innue d’Ekuanitshit

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Une informatrice d‟Hydro-Québec évoque elle aussi l‟importance de la stabilité, tant sur le plan politique, que sur le plan de l‟administration des sociétés :

L’autre chose que j’ajouterais avec Mingan, particulièrement, c’est que le chef est là depuis fort longtemps, les gens autour de lui aussi, c’est une communauté qui est relativement stable. Depuis qu’on a l’entente Ishpitenitamun, le président est le même de la société. […] On a réussi à avoir des coordonnateurs qui sont, au départ, c’était une jeune avocate, donc des gens formés, maintenant je pense que c’est une dame qui est quand même tout à fait capable. Donc à Mingan, y’a une bonne structure pis on parle avec les même gens depuis longtemps et, y’ont mis aussi en place des critères pour recevoir des demandes, pour quand on analyse des projets et tout ça. Et l’objectif nous, d’Hydro, c’était de les aider à identifier les critères, parce que tsé en se disant si ça arrive, qu’on soit capable de justifier les demandes et c’est beaucoup ça dans le fond. L’objectif c’est pas de refuser des choses, c’est de les aider à prendre des décisions avec lesquelles ils seront capables de se gouverner par la suite. Pis je pense qu’avec Mingan, ça fonctionne bien. – Informatrice no 6, Cadre chez Hydro-Québec

Nous avons constaté que certains aspects facilitent les échanges entre les administrateurs innus et ceux d‟Hydro-Québec. Ainsi, la politesse, l‟ouverture, l‟humour et l‟importance de créer des liens amicaux sont des points qui ressortent des entretiens. En revanche, la méfiance, le côté plus clérical des démarches administratives et la barrière de la langue constituent des éléments qui peuvent nuire au bon déroulement des échanges.

5.2.3 Communication en face à face : politesse, respect et ouverture

Une informatrice d‟Ekuanitshit souligne l‟ouverture des administrateurs d‟Hydro-Québec et les mesures que ceux-ci peuvent prendre pour autoriser le financement de projets qui ne cadrent pas nécessairement avec les termes de l‟entente, notamment en s‟abstenant de voter. Cette affirmation vient nuancer les perceptions voulant que les ententes soient strictes et peu flexibles et confirme l‟importance des relations humaines lors des échanges en face à face.

Ils sont assez ouverts. Les gens sont assez… Oui pis, même tu vois garde, ça peut arriver certains projets qui sont présentés ne sont pas nécessairement attribuables aux fonds pour lequel ils sont demandés. Ok, ça irait à un autre fonds, logiquement là, ça irait… ok. Mais par contre, ok, bon les administrateurs d’Hydro vont donner leur point de vue, pis là ils vont dire ok, vous êtes tsé la majorité, vous êtes les membres innus, bon y’ont le droit de faire un caucus innu qu’ils appellent, ça veut dire que les membres Hydro vont sortir, les Innus vont discuter entre eux autres en innu, tout ça pour discuter de certains projets. Bon, après ça on va revenir, ils vont revenir, bin là mettons que si eux autres, mettons les administrateurs innus ont dit non,

69 nous autres on maintient la décision, ce projet-là est important pour la communauté compte tenu de tels, tels, tels points, les administrateurs non innus vont dire, bin nous autres, compte tenu des termes de l’entente, on ne peut pas être pour, par contre, personnellement, on comprend votre point de vue, donc, on s’abstient de voter et c’est pas un refus, mais c’est un… De cette façon-là, bin si y’a une majorité innue, y’a une majorité pareil, tsé le quorum est là … Comprends-tu? Bon, fac y’a quand même, y’ont quand même tsé je veux dire une ouverture d’esprit, qui fait en sorte que, oui c’est vrai les termes de l’entente ne le permettent pas, mais par contre, on comprend votre point de vue donc, on peut… On va s’arranger autrement pis si vous autres vous êtes tous d’accord... Tsé fac c’est quand même, non moi je trouve que c’est quand même, j’ai pas encore rencontré là mettons tsé quelqu’un de borné, ni d’un côté, ni de l’autre. Pis, y’a quand même un respect dans l’émission des points de vue de chacun. Tsé, je sens que les gens respectent les points de vue, sont prêts à accepter, mais tsé de toute façon, quand quelqu’un donne son point de vue, c’est pas une critique ça fait que. Fac c’est ça, tsé les gens sont assez ouverts. – Informatrice no 1, Innue d’Ekuanitshit

Un autre informateur d‟Ekuanitshit mentionne qu‟il se sent à l‟aise d‟émettre son point de vue lors des réunions :

[J]e pense que tsé la génération dont je fais partie moi, on a été dans les écoles, on a été, on a vu plein d’affaires dans notre vie qu’un moment donné, la politesse, ce système de communication, ça a rentré chez nous, y’en a qui vous diraient on est nés avec ça, mais non, l’ambiance c’est parfait. Eux autres y’ont quelque chose à dire, qu’ils le disent, c’est leur opinion. Nous, quand on a quelque chose à dire, on le dit, c’est notre opinion. […] On est très à l’aise, on est très à l’aise… – Informateur no 2, Innu d’Ekuanitshit

Une informatrice d‟Ekuanitshit mentionne qu‟Hydro-Québec n‟a pas vraiment le choix d‟être politically correct avec les autochtones :

Mais, je te dirais que de toute façon tsé, tu parles des relations, c’est parce que, il doit avoir un principe, pas un principe mais comment qu’on dit ça tsé quelque chose qui est non-vu, non-écrit, bon faut rester politically correct tsé dans les relations fac Hydro va toujours être politically correct avec les autochtones là. – Informatrice no 1, Innue d’Ekuanitshit

5.2.4 Importance de créer des liens, d’avoir une relation amicale

Des informateurs d‟Hydro-Québec évoquent le contexte particulier dans lequel s‟effectuent les échanges au sein des sociétés conjointes. Ainsi, l‟ambiance est beaucoup plus amicale et détendue que lors des négociations en avant-projet.

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[O]n va avoir des fois des rencontres, tsé quand on arrivait en avant-projet, y’avait des périodes où c’était plus tendu, tsé là tu voyais, nous autres on arrivait, on était dans la salle pis avec notre avocat pis eux autres ils débarquaient avec l’avocat, là c’était le chef qui s’assoyait en avant du grand boss, là c’était… Fac oui, oui, on n’est plus dans l’interculturel, c’est un contexte de meeting là. Pis là après ça, on a une entente, les fonds sont là, faut que ça soit géré, faut que ça soit pour le bénéfice de la communauté, faut que tout le monde s’entende pis c’est tout le temps les mêmes personnes qui sont là dans les sociétés, fac c’est beaucoup plus tsé, c’est bin amical là comme rencontre. Pis tsé c’est un autre contexte.

[…] Ce qui est intéressant pis ce que j’aime aussi, y’a une relation personnelle, mais tsé c’est pas, je vais pas souper avec, mais y’a une relation que je sens plus personnelle qui s’installe que si on était juste des partenaires d’affaires. Ça je trouve ça intéressant.

[…] Tsé moi des gens, je sais pas moi, on travaillait avec des gens de Uashat, ou même dans les communautés, tu vas arriver dans un meeting pis tu le sais qu’il a un garçon qui est au cégep, pis tu le sais que… […] Parce que c’est important je crois, pis moi je trouve ça intéressant aussi, pis je sais pas… Tsé c’est important de connaître l’autre un peu, qu’il y aille une relation qui s’installe, plus que tsé avec mon banquier, mettons. Rires. C’est une relation d’affaires, mais qui, que je trouve bin amicale. – Informateur no 7, cadre chez Hydro-Québec

5.2.5 Résolution rapide des conflits

Nos informateurs d‟Hydro-Québec mentionnent qu‟il y a parfois des divergences d‟opinion, mais soulignent que les conflits se résolvent rapidement.

[Ç]a reste toujours que y’a quand même toujours une certaine distance, mais de façon générale, je pense qu’on réussit quand même à s’entendre pis même à s’entendre qu’on s’entend pas quand c’est le cas. Parce que c’est ça, y’a rien qu’on, nous on arrive là, des fois avec une position qu’on a à exposer pis à défendre, une position d’entreprise pis eux autres y’ont une position de la communauté pis une position du conseil de bande qui doivent défendre. Et puis je te dirais que des fois, ça fait des, il peut y avoir des flammèches un peu, mais habituellement quand c’est fini, c’est fini. Pis ça empêche pas de, comme disait Pierre*, de dire : « Bin finalement ton gars tu disais qu’il avait eu des problèmes au cégep, ça s’est tu replacé? » Tsé ça repart de même, y’a pas de… – Informateur no 8, Conseiller, Hydro-Québec

[…]

Non mais tsé, des fois t’as un meeting pis là le ton lève un peu pis après ça, il dit : « Bon bin je vais aller te montrer la communauté. Je vais te faire faire le tour tsé. » Rires. Y’aime ça recevoir le monde aussi tsé pis c’est ça sont fiers de leur communauté pis de ce qu’ils font, non ça c’est… – Informateur no 7, cadre chez Hydro-Québec

71 5.2.6 Climat particulier des rencontres avec les Innus : franchise et humour

Nos informateurs d‟Hydro-Québec mentionnent la place prépondérante qu‟occupe l‟humour lors de leurs échanges avec les Innus. Ils soulignent également l‟importance de l‟autodérision et évoquent l‟influence positive que les Innus ont sur eux par le recours à ces deux procédés.

Pour avoir connu un peu les deux dans le sens que, avant de travailler pour Hydro-Québec, j’ai fait des contrats pis j’ai travaillé pour des organismes pis des communautés autochtones pis quand je suis arrivé à Hydro, mon doux j’ai trouvé ça pénible, les réunions! Rires. J’ai toujours été plus à l’aise, de façon générale là, beaucoup plus à l’aise quand je vais dans les communautés. Fac quand, mettons tsé nos équipes d’avant-projet ou encore ça je trouve ça un peu difficile pour moi. Je me suis toujours senti plus à l’aise dans les rencontres, les réunions avec les Innus. Parce que y’a quand même, en tout cas, moi j’ai toujours trouvé que c’est assez, y’a une franchise, c’est assez direct. Oui… Rires. Oui c’est ça, c’est cru, mais tu le sais, tsé […] Et je veux dire, ils traitent beaucoup, puisqu’on est dans l’interculturel là, eux autres, ils utilisent beaucoup l’humour hein pour n’importe quoi, donc ça désamorce tout de suite les affaires … À la limite je te dirais, tu peux leur dire la pire vacherie ou inversément (rires), mais ça dépend sur quel ton t’as fait. Rires. – Informateur, no 8, Conseiller, Hydro-Québec

[…]

Mais faut être capable de rire de soi-même aussi. […] Oui, ils font planter Hydro en farces, mais y’a du vrai! Rires. Faut que tu prennes le côté farce pis faut que tu ries aussi pis faut que t’ailles un sens de l’autodérision assez… Pis eux autres c’est pareil là, oui oui, quand ils parlent de comment ça marche dans les communautés (rires) ils le prennent avec humour aussi. Rires. Ils s’autocritiquent beaucoup, non c’est vrai. Y’a ce volet-là pis nous autres aussi on fait beaucoup d’autocritiques! Rires. Parce que c’est un peu ce qu’ils nous ont, un peu ce qu’ils nous ont appris ou en tout cas l’influence qu’ils ont sur nous. Rires. Des fois tu lâches ça justement dans une réunion à Hydro-Québec, tu vois que la réaction n’est pas la même! Rires. – Informateur no 7, cadre chez Hydro-Québec

5.3 Ce qui freine les échanges – Aspects négatifs