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Chapitre 5 : Projet en cours : communication entre Hydro-Québec et les Innus au sein des sociétés

5.4 Contraintes et défis en lien avec l’application des ententes

5.4.1 Cadre strict des ententes

Nous tenons à spécifier qu‟aucune question ne portait sur la façon d‟appliquer le contenu des ententes, par exemple de façon souple ou plutôt stricte, ou orientait les informateurs dans cette direction. Or, plusieurs informateurs, tant chez Hydro-Québec que chez les Innus, ont évoqué cet aspect spontanément, ce qui en fait un point digne de mention pour l‟analyse des résultats.

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Selon l‟informatrice no 6 d‟Hydro-Québec, les critères de financement des projets

constituent parfois une source de frustration pour les promoteurs innus, qui ne comprennent pas toujours pourquoi le financement de leur projet est refusé.

[Y]’a des gens qui sont pas nécessairement satisfaits, pour toutes sortes de raisons, mais ça… y’a des gens qui seront pas satisfaits parce que y’ont pas d’argent directement dans leurs poches, mais c’est pas des gens non plus qui ont des projets à monter, y’a des gens qui seront pas contents non plus parce que y’ont organisé des projets pis ces projets-là ne correspondent pas aux critères parce que, les argents qu’on a à gérer la société, y’a des critères de gestion des fonds, donc on peut pas dépenser ces argents-là de n’importe quelle façon. Y’a de l’argent qui doit être utilisé spécifiquement à telle fin et de l’argent à d’autres fins. Par exemple à des fins de pratique d’Innu Aitun19 Pis l’Innu Aitun, bin c’est telles choses. Donc, ces gens-là qui ont déposé des projets, mais qui cadrent pas nécessairement avec les modalités de gestion, bin sont pas contents parce que eux croyaient et veulent toujours croire que l’argent qui a été signé là devrait bénéficier aux gens de la communauté, tsé, par exemple, un versement annuel divisé par le nombre de têtes de pipe, y’en a qui peuvent voir ça comme ça, mais la communauté a pas décidé de faire ça. – Informatrice no 6, Cadre chez Hydro-Québec

Par ailleurs, lors des entretiens, les informateurs ont mentionné le cadre strict des ententes, en soulignant que cela s‟avérait tantôt un frein au financement des projets, tantôt des balises permettant de limiter les abus et d‟assurer l‟équité dans le choix des projets financés. Plusieurs déclarations des informateurs innus révèlent le caractère structuré et balisé du financement : « à chaque fois qu‟il y a une sortie d‟argent, ça prend des résolutions très précises, très, très, très limpides, très claires » (Informateur no 3, Innu de Nutashkuan). Le caractère rigoureux des représentants d‟Hydro-Québec est aussi mis de l‟avant :

Pis eux autres ils suivent ça à la lettre hein l’entente. Pas moyen de déroger. Tsé si c’est pas inscrit dans l’entente, on le fait pas. Chez Hydro là, c’est à la lettre. Je me souviens même lors des négociations, même avant les négociations, lors de l’écriture de l’entente, juste un mot ça fittait pas? Hum, ça a bardé, pouf, les négociations… – Informatrice no 4, Innue de Nutashkuan

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« Innu Aitun désigne toutes les activités, dans leur manifestation traditionnelle ou contemporaine, rattachées à la culture nationale, aux valeurs fondamentales et au mode de vie traditionnel des Innus associé à l‟occupation et l‟utilisation de Nitassinan et au lien spécial qu‟ils possèdent avec la Terre. Sont incluses notamment toutes les pratiques, coutumes et traditions dont les activités de chasse, de pêche, de piégeage et de cueillette à des fins de subsistance, rituelles ou sociales. Tous les aspects spirituels, culturels, sociaux et communautaires en font partie intégrante. » (Entente de principe d‟ordre général entre les premières nations de Mamuitun et de Nutashkuan et les gouvernements du Québec et du Canada, 2004 : 4)

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En revanche, l‟absence de critères précis peut aussi causer problème. Ainsi, une informatrice de Nutashkuan nous a donné l‟exemple du fonds Innu Aitun, destiné au financement de projets pour encourager la pratique d‟activités traditionnelles, dont la définition lui paraît trop floue. Elle déplore aussi le fait que, selon elle, le fonds sert davantage à financer des projets environnementaux que des projets à vocation traditionnelle :

Je trouve que dans l’entente, l’Innu Aitun, c’est basé sur ceux qui ont négocié pis Hydro- Québec. Bin ce que je trouve moi dans l’entente, c’est beaucoup sur la préservation de l’animaux (sic) et non de l’Innu Aitun en tant que tel. Dans les critères d’admissibilité, dans les projets que tu demandes, c’est beaucoup pour la protection de la faune pis l’Innu Aitun, c’est écrit juste « Innu Aitun ». Dans le sens comme, ils vont parler du saumon, comment faire pour le préserver ou de la migration, pis des critères de l’Innu Aitun, y’a juste « Innu Aitun » qui est écrit. C’est pas défini, ça peut porter à confusion. Dans le sens que, le gars chez Hydro-Québec, tsé on va lui proposer une demande de financement sur le Innu Aitun, y’aura pas la même perception que l’Innu. […] Pis le refuser des fois c’est… c’est facile pour lui de refuser parce qu’il sait même pas c’est quoi. – Informatrice no 4, Innue de Nutashkuan

Cette informatrice admet toutefois que les critères précis peuvent aider à limiter les abus de promoteurs innus qui soumettent des projets dans un but d‟enrichissement personnel :

[O]n reçoit beaucoup de demandes de la part des gens, mais j’ai l’impression que des fois, y’a des gens qui demandent des projets pour, juste pour le financement. J’ai l’impression des fois y’en a qui vont à la pêche, mais d’habitude c’est vraiment très, je veux dire, par exemple, ces projets-là, ils passent pas toutes hein, on n’est pas fous pareils, on les voit venir. […] Eux autres sont là pour, hum, pour exagérer. Mais en même temps c’est, comment je te dirais ça, c’est une médaille à deux côtés. Ça peut être bien comme ça peut être mal. Je te dirais que c’est un mal nécessaire, ça peut faire du bien, dans le sens que des fois ils sont là pour nous [les critères], pas pour nous, mais pour arrêter ceux qui veulent en profiter. – Informatrice no 4, Innue de Nutashkuan

Questionné à savoir s‟il avait participé à la définition des critères avec Hydro-Québec, un informateur d‟Ekuanitshit nous donne la réponse suivante : « je vous mentirais si je dirais que oui moi pis, nous autres pis Hydro on a défini des critères. Non c‟est, non c‟est dans le cadre de la démarche d‟Hydro à l‟intérieur de nos communautés ».

Une informatrice d‟Hydro-Québec nous donne son point de vue sur l‟importance d‟avoir des critères stricts pour déterminer si un projet peut ou non être financé :

77 Et l’objectif nous, d’Hydro, c’était de les aider à identifier les critères, parce que tsé en se disant si ça arrive, qu’on soit capable de justifier les demandes et c’est beaucoup ça dans le fond. L’objectif, c’est pas de refuser des choses, c’est de les aider à prendre des décisions avec lesquelles ils seront capables de se gouverner par la suite. – Informatrice no 6, Cadre chez Hydro-Québec

Ces balises permettent aussi aux membres des sociétés qui doivent gérer les fonds de justifier leurs actions auprès des membres de leur communauté, de rendre des comptes. Les informateurs d‟Hydro-Québec mentionnent le souci d‟équité chez les administrateurs innus, qui veulent traiter chaque promoteur20 sur un pied d‟égalité :

Pour l’ensemble des administrateurs, l’équité, c’est souvent un sujet qui les préoccupe, l’équité, que tout le monde soit traité de façon égale, pis pour tout demandeur, y’est important que, […] particulièrement pour les administrateurs innus, qu'il n’y ait pas d’iniquité (sic) entre un

demandeur et un autre demandeur, que l’on traite ces cas-là de la même façon. – Informatrice no 5, Conseillère, Hydro-Québec