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Chapitre 3 : Communication entre le gouvernement du Québec, Hydro-Québec et les Innus en avant-

3.2 Participation des Innus aux études d’impact

Pour obtenir l‟autorisation de démarrage du projet de la Romaine, Hydro-Québec a dû faire une série d‟études d‟impacts qui couvraient des éléments tels que l‟utilisation du territoire et le profil socio-économique des communautés. Ces études ont nécessité la collaboration des communautés innues, qui ont été invitées à participer aux relevés techniques sur le terrain, de même qu‟aux enquêtes socio-économiques. En entretien, certains informateurs d‟Hydro-Québec déplorent le délai mis par les communautés pour s‟impliquer dans les études d‟impact, ajoutant même qu‟elles « se sont fait prier » :

– Informateur no 8 : Mais, il faut dire que, c’est ça, on, ces rencontres-là où on leur a offert de participer, pis de s’impliquer, mais dans le cas de Mamit Innuat, c’est-à-dire les communautés de l’est, je te dirais qu’au début, ils se sont fait prier pour embarquer dans les études.

– Intervieweure : Par Hydro-Québec?

– Informateur no 8 : Par les gouvernements. Je veux dire ils se sont fait prier dans le sens que nous un moment donné on a dit garde, on va commencer à faire des relevés au terrain en 2004, on souhaite là avoir des rencontres d’information avec vous autres pis comment tsé là vous vous présentez pis tout ça. Pis là, ce qui est arrivé c’est que dans un premier temps, y’étaient réticents à ce que de telles rencontres comme ça aient lieu pis y’avaient des réticences un peu à s’impliquer. […]

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– Informateur no 8 : [Y]’a certaines communautés que ça a pris du temps avant, je te dirais que qu’on établisse ensemble des mécanismes fonctionnels pis que ça roule comme il faut. Ce qui fait que, comme disait Pierre*, un moment donné, on a offert de dialoguer, on va s’asseoir ensemble pis on va faire une entente, on va s’entendre sur la façon de faire nos études. Ils ne se sont pas tout de suite manifestés. Ça a pris du temps avant, ce qui fait qu’un moment donné, on avait, on a dit nous « écoutez, on a quand même un délai à respecter », donc ça a pris un certain temps avant qu’ils s’impliquent […] – Informateur no 8, Conseiller, Hydro-Québec

*Pseudonyme

3.2.1 Occupation du territoire

Pour évaluer les impacts du projet de la Romaine, Hydro-Québec doit analyser l‟occupation du territoire par les différentes communautés innues de la région. Cette façon de faire cause certaines frustrations chez les communautés qui ne réussissent pas à prouver cette occupation. C‟est le cas des Innus d‟Unamen Shipu et de Pakua Shipi, qui prétendent avoir été écartés du processus de suivi environnemental sous prétexte qu‟ils ne fréquentaient pas la zone sur laquelle le complexe hydroélectrique sera construit.

Hydro-Québec nous répond, laconiquement, qu’il n’est pas possible de faire la démonstration de cette occupation et utilisation le tout en argumentant que « On peut simplement dire qu’aucune donnée historique ou issue de la tradition orale ne mentionne une utilisation de la zone d’étude à partir des communautés de Unamen Shipu et de Pakua Shipi ». Il s’agit d’une affirmation gratuite reposant sur seulement quelques données d’entrevues recueillies dans les deux communautés par les chercheurs mandatés par Hydro-Québec. Il appert évident qu’Hydro- Québec a considéré avec légèreté cette importante problématique en se basant sur quelques données ponctuelles. Hydro-Québec ne considère pas, non plus, le fait qu’une route d’accès sera construite, laquelle permettra aux Innus de Unamen Shipu et de Pakua Shipi d’accentuer leur présence sur cette portion du Nitassinan5 Mamit. Le déni de ces faits par Hydro-Québec lui permet d’écarter et d’ignorer nos deux communautés des mesures de suivi environnemental concernant ce projet (Mémoire des conseils des Innus d’Unamen-Shipu et de Pakua Shipi, audiences publiques du BAPE, décembre 2008 : 8).

Les Innus d‟Unamen Shipu et de Pakua Shipi dénoncent également la façon dont la société d‟État définit la zone d‟impact environnementale du projet, lui reprochant de se limiter aux frontières territoriales provinciales :

L’étude d’impact environnementale d’Hydro-Québec démontre par la carte du projet hydroélectrique de la rivière Romaine que le bassin versant de la rivière Romaine s’étend sur le territoire du Labrador. Lorsque nous faisons remarquer à Hydro-Québec que les Innus de

37 Unamen Shipu et de Pakua Shipi fréquentent cette zone, on se fait répondre d’une manière simpliste qu’« il n’est pas nécessaire de décrire les composantes des milieux naturel et humain à l’extérieur de la zone d’étude ». Pour Hydro-Québec, rien n’existe en dehors de sa zone d’étude. Hydro-Québec ne tient pas compte des impacts biophysiques pouvant être engendrés par le projet au-delà de la « frontière » Québec-Labrador-Terre-Neuve (Mémoire des conseils des Innus d’Unamen-Shipu et de Pakua Shipi, audiences publiques du BAPE, décembre 2008 : 14).

Enfin, les Innus d‟Unamen Shipu et de Pakua Shipi déplorent la méthode utilisée pour faire la cueillette d‟information dans leur communauté. En effet, ils auraient souhaité que les consultants embauchés par la société d‟État fassent davantage d‟entretiens individuels :

Nous avons questionné Hydro-Québec sur le fait qu’il n’y ait pas eu d’entretiens individuels et sur le fait que les Innus de Pakua Shipi et de Unamen Shipu, vivant à l’extérieur des communautés, ont totalement été ignorés dans le processus de consultation. Hydro-Québec répond qu’il a préféré fonctionner par des entrevues collectives et par sondage en s’appuyant sur « le souci d’homogénéité des participants ». L’homogénéité d’un groupe de participants à des entrevues collectives enlève, parfois, aux personnes présentes l’opportunité de s’exprimer sur leur véritable conviction. En ce sens, les chercheurs mandatés par Hydro-Québec auraient dû, aussi, tenir des entrevues individuelles car celles-ci se déroulent à un rythme différent tout en offrant la possibilité de recueillir des informations plus valides que lors d’entretiens collectifs (Mémoire conseils des Innus d’Unamen-Shipu et de Pakua Shipi, audiences publiques du BAPE, décembre 2008 : 8).

3.2.2 Évaluation continue des outils d’enquête

Selon nos informateurs d‟Hydro-Québec, chaque devis d‟études, outil d‟enquête et questionnaires est au préalable approuvé par les communautés, qui le révisent et en discutent avec les représentants d‟Hydro-Québec. Une fois ces dispositifs revus et corrigés, des consultants externes vont dans les communautés pour faire les études. Lorsque les études sont terminées, les consultants en présentent les résultats aux membres de la communauté concernée et en discutent en comités. À la lumière des commentaires, une version améliorée de l‟étude est produite, laquelle est également soumise aux membres des comités.

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3.2.3 Utilisation du savoir-faire traditionnel

Certains Innus ont participé aux relevés techniques sur le terrain lors des études d‟impact. Notre informateur de Nutashkuan nuance toutefois son implication dans les études :

– Dans les rapports d’Hydro-Québec on lit que le savoir-faire autochtone a été pris en compte. Est-ce que vous considérez qu’effectivement y’a eu des efforts qui ont été faits dans ce sens-là? – Rires. À mon avis, à mon humble avis, non. Exemple, je veux dire parce que moi j’ai participé aux études d’impact. Et pis quand tu regardes les thèmes, les thèmes et références… Si moi je suis le promoteur, si je fais des thèmes et références pis j’ai mon consultant. Bin je pense que mon consultant y’a intérêt à suivre les thèmes et références… C’est normal aussi. Tsé, c’est eux autres qui paient. Alors je pense qu’il y a eu un manque là-dessus là.

– Vous auriez pu vous impliquer…

– Oui, on a essayé aussi, je m’en souviens on a essayé de faire nous-mêmes, nous-mêmes nos thèmes de référence, nous-mêmes les études d’impact, mais ça n’a pas été possible parce que Hydro-Québec voulait pas. – Informateur no 3, Innu de Nutashkuan

Les Innus d‟Unamen Shipu et de Pakua Shipi estiment eux aussi qu‟Hydro-Québec aurait pu utiliser davantage les connaissances traditionnelles au moment des études d‟impact, notamment celles sur le caribou forestier :

Nous avons questionné Hydro-Québec sur le recensement de onze caribous forestiers effectué par leur équipe de recherche. Nous sommes des plus sceptiques lorsqu’Hydro-Québec se réfère à des données datant de 1997 concernant le caribou forestier6. Ces données reflètent un inventaire aérien datant de 1993 jusqu’en 2006, selon une nouvelle étude de seulement 13 pages7. En ce domaine, il est inacceptable qu’Hydro-Québec n’ait pas eu la volonté d’accorder autant de place aux connaissances Innues de Mamit Innuat, qu’aux scientifiques de culture, disons occidentale, en ce qui concerne le caribou forestier (Mémoire des conseils des Innus d’Unamen-Shipu et de Pakua Shipi, audiences publiques du BAPE, décembre 2008 : 13).

3.2.4 Coût des études d’impact

Hydro-Québec débourse pour les frais engendrés par les études d‟impact, que ce soit la location des bureaux et des équipements ou l‟embauche d‟une personne-ressource au sein

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Bourbonnais, N., A. Gingras et B. Rochette. 1997. Inventaire aérien du caribou dans une portion de la zone de chasse 19 sud (partie est) en mars 1993. Sept-Îles, Ministère de l‟Environnement et de la faune du Québec, Direction régionale de la Côte-Nord, 24 p.

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Rochette, B., et A. Gingras. 2006. Inventaire du caribou forestier dans les secteurs Natashquan, Rivière-St- Jean et Moisie, en mars 2005. Sept-Îles, Ministère des Ressources naturelles, de la faune et des Parcs du Québec. Direction de l‟aménagement de la faune de la Côte-Nord, 13 p.

39 de la communauté qui assure la liaison entre la population et la société d‟État. Hydro- Québec défraye également les salaires des consultants et des experts qui aident les communautés dans leurs négociations d‟une Entente sur les répercussions et avantages (ERA), sous certaines conditions :

Dans le cadre de la négociation de l’ERA, les Innus d’Ekuanitshit ont ainsi pu engager des experts sur les sujets du saumon, le caribou et l’archéologie afin de valider l’EIE8 préparé par le promoteur et faire des contre-propositions. Par contre, cette possibilité de contre-expertise demeure limitée à l’approbation préalable du promoteur sur certaines préoccupations mais pas pour l’ensemble des préoccupations des Innus (Conseil des Innus d’Ekuanitshit, audiences publiques du BAPE, décembre 2008 : 16).

3.2.5 Études d’impacts séparées et effets cumulatifs

Certains Innus déplorent que les études d‟impacts ne tiennent pas compte des effets cumulatifs du barrage de la Romaine, dont les impacts s‟ajoutent à ceux du barrage de Churchill Falls au Labrador et de Sainte-Marguerite, près de Sept-Îles. La majorité des communautés innues (Unamen Shipu, Pakua Shipi, Uashat, Maliotenam, et Ekuanitshit) dénoncent également le fait que le barrage de la Romaine et ses lignes de transmission électriques font l‟objet de deux études d‟impact séparées. Ainsi, le projet a reçu l‟aval du BAPE, sans que celui-ci n‟ait eu à tenir compte de la présence des pylônes hydroélectriques dans la région de Sept-Îles pour faire son analyse des impacts environnementaux du projet. Cette situation crée des frustrations chez les Innus, qui ont l‟impression qu‟Hydro-Québec leur dissimule de l‟information :

Hydro-Québec nous renvoie aussi à Hydro-Québec TransÉnergie, comme si Hydro-Québec Production n’était pas en contact avec cette autre créature d’Hydro-Québec pour nous priver d’avoir accès à certaines informations. Dans ses réponses, Hydro-Québec nous fait part que Hydro-Québec TransÉnergie fait l’objet d’un processus distinct d’évaluation environnementale concernant les lignes de transport d’énergie. C’est une situation tout à fait incohérente dans le cadre d’un processus d’évaluation environnementale. Sans mettre en doute l’intégrité et l’intégralité de la Commission conjointe, nous ne pouvons nous empêcher de nous poser certaines questions et de les poser aux autorités concernées (Mémoire conseils des Innus d’Unamen-Shipu et de Pakua Shipi, audiences publiques du BAPE, 10 décembre 2008 : 13).

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3.3 Communication institutionnelle : activités de communication