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Communication entre le gouvernement du Québec, Hydro-Québec et les Innus en avant-projet

Chapitre 8 : Interprétation des résultats

8.1 Communication entre le gouvernement du Québec, Hydro-Québec et les Innus en avant-projet

L‟obligation légale de consulter les communautés autochtones a été une ressource normative en faveur des Innus durant la phase d‟avant-projet. Cette ressource est toutefois limitée, car même si l‟État doit trouver des mesures d‟accommodement avec les Autochtones, ceux-ci n‟ont pas le droit de veto. Ainsi, pour obtenir l‟autorisation de démarrage du projet de la Romaine, Hydro-Québec a dû faire une série d‟études d‟impacts, pour lesquelles les Innus étaient réticents à collaborer. Cela montre que la participation des Innus semblait, jusqu‟à un certain point, bénéficier davantage aux décideurs, qui en avaient besoin pour légitimer le projet de la Romaine. L‟hésitation des Innus à s‟impliquer dans les études d‟impact peut aussi être attribuable à la façon de réaliser les projets dans le passé. En effet, dans l‟histoire du Québec, les Autochtones ont longtemps été mis à l‟écart des projets de développement et ont, plus souvent qu‟autrement, subi les projets plutôt que d‟en bénéficier.

Le processus de rétroaction avec les communautés innues utilisé durant les études d‟impact s‟inscrit dans une démarche de communication participative pour le développement, en ce sens qu‟il permet aux Innus d‟influencer le résultat des études. Toutefois, les études d‟impact ont aussi fait l‟objet de certaines critiques de la part des communautés innues. D‟abord, certaines communautés se sont senties exclues du processus de suivi environnemental du projet parce qu‟elles n‟ont pas réussi à prouver leur occupation du territoire là où le barrage serait construit. Elles ont reproché aux consultants d‟Hydro- Québec d‟avoir préféré les entrevues collectives et les sondages aux entrevues individuelles pour faire la cueillette d‟information dans les communautés. Les Innus ont également reproché aux études d‟impact de ne pas tenir compte des effets cumulatifs du barrage, qui s‟ajoutent à ceux du barrage de Churchill Falls au Labrador et de Sainte-Marguerite, près de Sept-Îles. Finalement, la majorité des communautés innues dénoncent le fait que le barrage de la Romaine et ses lignes de transmission électriques font l‟objet de deux études d‟impact séparées.

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Certains informateurs innus ont aussi mentionné le fait que les représentants d‟Hydro- Québec définissaient les thèmes et références sur lesquels étaient basées les études d‟impacts. Il s‟agit là d‟une ressource en faveur d‟Hydro-Québec, qui, selon la définition foucaldienne, avait alors le pouvoir de « définir la réalité », les solutions et les problèmes, en fonction de données scientifiques, qui prévalent souvent sur les connaissances traditionnelles. Ainsi, « [d]ans ce cadre, le pouvoir se traduit par la capacité d‟imposer sa définition de la société et de la nature aux autres acteurs » (Rodon, 2003 : 41). En plus des connaissances scientifiques provenant de différents experts, Hydro-Québec bénéficie également de budgets et de ressources pharamineuses à investir dans ses activités de communication, que ce soit la production de rapports, de bilans, de documents promotionnels et informatifs, lui permettant d‟imposer son discours de façon cohérente et structurée, ce qui n‟est pas le cas des Innus. Ainsi, pour favoriser l‟acceptabilité sociale du projet, « Hydro-Québec a mis en œuvre un programme de communication axé sur la participation des publics concernés par le projet du complexe de la Romaine » (Hydro- Québec, 2007a : 67). La société d‟État a organisé plusieurs assemblées publiques dans les communautés pour donner de l‟information et échanger sur différents aspects du projet. La traduction de certains termes techniques en langue innue et la vulgarisation de l‟information sont considérées comme les principales difficultés rencontrées lors de ces activités. Toutefois, pour pallier ces problèmes, Hydro-Québec a fait appel à des coordonnateurs innus qui l‟ont conseillée sur le choix des moyens de communication et leur contenu. Cette façon de faire rejoint les préceptes de la communication participative pour le développement et constitue une ressource de pouvoir en faveur des Innus.

Lors des audiences publiques du BAPE et de la Commission d‟examen conjointe fédérale et provinciale, plusieurs mémoires déposés par les Innus mentionnent le caractère définitif et inébranlable du projet de la Romaine. De plus, le trop grand nombre de consultations, à la fois par Hydro-Québec et par les deux paliers de gouvernement, sur une courte période de temps, a causé un désintérêt chez les Innus. En effet, la participation a un coût pour les individus d‟une communauté, qui doivent parfois renoncer « à une activité qui aurait été plus productive, dans l‟éventualité où le mécanisme de participation ne donne pas lieu à des retombées positives, à court ou à long terme » (Chin Saik Yoon, 1996: 44-45). Les

107 échéanciers serrés, la documentation complexe et non traduite en langue innue sont d‟autres facteurs ayant rendu le processus de consultations publiques peu satisfaisant pour les communautés innues. Un sommaire du rapport du BAPE a bien été traduit en langue innue, mais lorsqu‟il a été rendu disponible, seule Ekuanitshit n‟avait pas encore signé d‟entente finale avec Hydro-Québec.

Le projet de la Romaine s‟inscrit dans la stratégie énergétique du Québec et en cela, les groupes d‟intérêt, les Innus y compris, avaient un pouvoir d‟influence très limité sur son déroulement. Les études d‟impacts et le processus de consultation ont permis aux Innus de s‟exprimer sur certains aspects du projet et d‟obtenir des compensations par l‟intermédiaire des ententes sur les répercussions et avantages. À cet effet, il semble qu‟Hydro-Québec ait fait davantage d‟efforts que les deux paliers de gouvernements pour mettre en place des stratégies et des outils de communication adaptés aux communautés innues. La présence de conseillers en affaires autochtones chez Hydro-Québec et de coordonnateurs innus au sein des communautés a facilité le processus. Selon nous, le projet de la Romaine est le résultat d‟une approche diffusionniste et asymétrique, au sens où le projet allait se réaliser, quelle que soit la volonté locale. À notre avis, la phase de l‟avant-projet est celle où les Innus avaient le moins de ressources de pouvoir. Nous comparons leur niveau de participation à celui de la consultation sur l‟échelle de participation citoyenne de Sherry Arnstein :

Solliciter l’avis des citoyens, tout comme les informer, peut constituer un grand pas vers une participation pleine et entière. Mais si la consultation n’est pas associée à d’autres modes de participation, elle reste factice, car elle n’assure pas les citoyens que leurs préoccupations et leurs idées seront prises en compte. […] Lorsque les détenteurs du pouvoir restreignent l’apport des idées des citoyens à ce seul niveau, la participation reste un rituel de façade. Les gens sont considérés au niveau zéro, comme des abstractions statistiques, et la participation se mesure au nombre de personnes participant aux réunions, qui emportent des brochures chez eux, ou répondent à un questionnaire. Ce que les citoyens accomplissent dans ce type d’activité, se résume à « une participation à la participation ». Et ceux qui détiennent le pouvoir n’accomplissent qu’une chose : ils prouvent qu’ils ont validé les étapes incontournables qui consistent à impliquer « ces gens » (Arnstein, 2006 : 8-9).

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8.2 Contexte de la signature des ententes sur les répercussions et