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2.2 1960-1980 : développement de la production de masse

Section 2 – Contrats de vente

2.1. Productions végétales

Dans la filière californienne de la tomate pour concentré, près de 98 % des ventes entre récoltants et transformateurs sont encadrées par des contrats écrits dont les provisions (prix de base à la tonne, incitations) sont négociées avec les industriels par la California Tomato Grower’s Association (CTGA). L’association regroupe les deux tiers des producteurs et impose aux industriels de ne pas offrir aux non-adhérents un prix inférieur à celui stipulé dans le contrat (Alexander, Goodhue et Rausser, 2000). Les incitations sont des ajustements sur le prix de base, bonus et pénalités en fonction de sept indicateurs de qualité : (1) pourcentage de tomates avec des dommages de vers, (2) score au colorimètre photoélectrique (3) pourcentage de tomates avec des dommages de pourriture, (4) pourcentage de tomates « vertes » (i.e. non mûres), (5) pourcentage de matières autres que la tomate, (6) pourcentage de tomates « à usage limité », enfin (7) le contenu en sucres ou solides solubles nets. Les lots comportant trop de dommages de vers et de pourriture, de tomates vertes ou à usage limité, subissent une déduction de masse et au-dessous d’un seuil de qualité, le transformateur peut rejeter le lot. Les pratiques du récoltant ont un impact sur chacune de ces variables, surtout la date et la méthode de récolte ainsi que le tri de la production. Par exemple, il peut choisir de récolter de nuit quand les températures ne sont pas trop chaudes afin de diminuer le pourcentage de tomates « à usage limité ». S’il récolte trop tôt et accroît la proportion de tomates « vertes », il peut corriger en triant.

35 Plus la durée spécifiée est longue, plus il est difficile lors de la rédaction du contrat d’envisager tous les

Cela induit toutefois des surcoûts, notamment de main d’œuvre. L’accroissement des solides solubles nets reste la qualité « la plus coûteuse à délivrer », car elle suppose une limitation du rendement agronomique (Alexander, Goodhue et Rausser, 2000). Les pratiques de l’exploitant ayant un impact sur les paramètres mesurés, en supposant les récoltants rationnels conformément au modèle principal-agent, on devrait observer une qualité plus élevée avec les contrats stipulant un prix incitatif (prix de base + bonus et malus) que sans, toutes choses égales par ailleurs.

Les auteurs se proposent de tester économétriquement l’efficacité des incitations sur une base de données des approvisionnements d’un gros transformateur de tomates (ventes de 15

récoltants sur 4 ans, soit 33001 lots)36. Seuls 5 des 7 indicateurs de qualité sont retenus

comme variables dépendantes dans les régressions car un trop petit nombre de lots comportent des dommages de vers (1) et il n’y a pas d’ajustement des prix pour la couleur (2), les transformateurs ne considérant pas cet attribut du végétal comme un attribut pertinent. La variable indépendante est la variable dichotomique hors-contrat (prix non modulé).

Les résultats mettent en évidence un effet négatif significatif sur la valeur de 4 des 5 attributs (résultats robustes pour le pourcentage de tomates avec des dommages de mold, le pourcentage de matières autres que la tomate et le pourcentage de tomates « à usage limité »). Si les résultats ne permettent pas de conclure sur l’impact au niveau des sucres – selon la spécification, il est tantôt significativement positif, tantôt significativement négatif – ils mettent en évidence l’intérêt d’un schéma de rémunération incitatif pour l’obtention de tomates de qualité. Alexander et ses coauteurs ne traitent pas des coûts de transaction liés à la mesure des attributs. On suppose implicitement que la redevance payée au service

d’inspection du gouvernement local37 reste faible par rapport au surplus généré par la mise

en oeuvre des incitations, que les techniques mises en œuvre par le service sont éprouvées et génèrent peu d’erreurs de mesure, enfin on estime que, par rapport à une inspection par l’acheteur, le contrôle par une tierce partie ne laisse aucune place à l’instrumentalisation des instruments de mesure à des fins opportunistes (ce qui parait censé tant que l’on écarte la possibilité de collusion entre l’inspecteur et la firme). La négociation par la CTGA et les transformateurs de contrats « vendeur-acheteur » types avec clauses incitatives, et la fréquence du recours à cette formule, suggère que cet arrangement est considéré comme organisationnellement performant.

réglementation, innovations techniques, etc.)

36 L’intérêt de l’étude est que l’on dispose de sous échantillons de lots sous contrat avec incitations, mais

également de lots hors-contrat (contrats standard à prix de base).

37 La valeur des attributs est mesurée lors des livraisons par le Service d’Inspection Agricole de l’Etat de Californie,

qui fait office de tierce partie indépendante. Notons que selon les auteurs, dans le cas de la tomate pour concentré, les indicateurs déterminés par le Gouvernement satisfont en général les industriels, ce qui n’est pas le cas dans toutes les filières.

Dans les filières des grains et des oléoprotéagineux, les transactions portent traditionnellement sur le prix et quelques catégories (grades) définis grossièrement (Sykuta et Parcell, 2002). Dans le cas des sojas aux Etats-Unis, la mesure de la qualité de l’huile est souvent réalisée en même temps que la pesée par les stockeurs (elevators), le récoltant ayant l’option de faire réaliser un test indépendant par le Federal Grain Inspection Service (idem). Pour le blé, le niveau de protéines est traditionnellement mesuré à la livraison et utilisé pour distinguer les qualités de produit. Différents schémas de rémunération sont utilisés. En Australie, les lots doivent respecter certains standards minimum (i.e. masse, couleur) et le prix est établi en fonction de la catégorie (grades) : Prime Hard, Hard, Premium White, Standard White, General Purpose, Feed. Ces grades sont définis selon le taux de protéines (par exemple entre 11,5 et 12,9 % pour entrer dans la catégorie Hard). Le basculement d’un grade à l’autre a une répercussion importante sur la rémunération du récoltant. Des schémas de prix incrémentaux ont toutefois récemment été développés par certains industriels, de façon à rémunérer la qualité marginale du produit : au prix de base du grade s’ajoute un premium fixe en fonction du taux de protéines additionnel (Patton et Brennan, 2003). Il s’agit toutefois d’indicateurs très imparfaits des attributs aujourd’hui recherchés par les meuniers et les boulangers industriels, (capacité d’absorption de la farine, volumes des pains, etc.) (Lambert et Wilson, 2003)

Les provisions contractuelles sont de fait variables, non seulement entre marchandises agricoles, mais également à l’intérieur d’une même filière. Hueth et Melkonyan documentent le cas de la betterave aux Etats-Unis et suggèrent que la structure contractuelle adoptée dépend de la nature de l’arbitrage entre quantité de sucre et qualité. Aux Etats-Unis et au Canada, tous les contrats prévoient un prix fonction de la quantité de sucres (masse totale de betteraves livrée multipliée par le taux de sucres mesuré dans un échantillon). Certains contrats ajustent toutefois également le prix en fonction de la pureté des sucres, un facteur permettant d’accroître le tonnage final (sucre raffiné). Ce schéma de rémunération délivre apparemment les plus fortes incitations mais n’est pourtant pas communément adopté. L’explication avancée par les auteurs est que rémunérer la pureté des sucres n’a une vertu incitative qu’à condition que le récoltant dispose d’un contrôle sur la qualité. On sait que la production de betterave avec un haut degré de pureté des sucres est réalisée essentiellement par la réduction de la quantité d’azote assimilé, avec pour conséquence une baisse du rendement agronomique. Il devrait donc y avoir un arbitrage quantité/qualité pour le récoltant. La relation précédente semble toutefois plus ou moins valide selon la région considérée : en conséquence, les actions non observables du récoltant (application des engrais azotés) peuvent dans certains cas n’avoir aucun effet sur la qualité.

Avec un modèle principal-agent, Hueth et Melkonyan démontrent que si la nature de l’arbitrage diffère d’une région à l’autre, alors on peut s’attendre à ce que mesurer et rémunérer la pureté en sucres présente de l’intérêt dans certaines régions et aucun dans d’autres : par exemple, des travaux suggèrent une faible réponse de la plante à l’application de nitrogène, en terme de pureté des sucres, dans les périmètres irrigués. En conclusion, mesurer la « qualité » étant coûteux – il existe des coûts de transaction additionnels (i.e. instrumentation, rédaction d’un contrat spécifiant une rémunération contingente) – le recours à une mesure de la pureté des sucres ne présente un intérêt que si cette clause a une vertue incitative.