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1.2 – Les régions de production

Section 4 – Réglementation de la filière vitivinicole aux Etats Unis d’Amérique

4.1. Une commercialisation densément régulée

Aux Etats-Unis, le vin est avant tout réglementé comme une boisson alcoolisée, sous les

auspices du BATF31, un organisme également en charge des armes à feux et du tabac. La

production vitivinicole est toutefois considérée comme une production « agricole », à l’inverse de la brasserie, et dépend en partie de la Food and Drug Administration (FDA) et du

Ministère californien de l’agriculture, pour les produits originaires de l’état32. Tandis que le

vin est pleinement associé, pour des raisons sacramentales, aux cultures juive et catholique, il est traditionnellement considéré avec suspicion par les fondamentalistes protestants. Parce qu’il donne du plaisir, il entre dans la catégorie des produits « de pêché » (« sinfull ») et est en conséquence taxé pour contribuer au bien commun ; il est ainsi placé par le gouvernement

31 Bureau of Alcohol, Tobacco and Firearms. En 2003, les attributions du BATF en matières d’alcools et de tabacs

fédéral, avec les autres alcools, dans la même catégorie que le tabac et les armes à feux (Friedland, 1994) : « Dans un certain sens, le vin est considéré comme étant quelque part entre une classe de produits agricoles, blé, coton, maïs, lait, etc., et une seconde catégorie de produits illégaux, marijuana, opium, etc. » (Friedland, 2001a, trad. libre). C’est par conséquent le produit agricole le plus densément régulé des EUA.

§ 4.1.1. L’héritage de la prohibition

Le système politique américain est décentralisée, avec une autonomie importante accordée aux Etats, Comtés et municipalités : ceci permet une expression diverse de la loi, en prise avec les valeurs exprimées localement. La fédération a une histoire assez ancienne de contrôle des alcools, en matière de consommation comme de distribution : entre 1846 et 1855, 13 Etats ont adopté une forme ou l’autre de prohibition, mais à la fin des années 1870, seul un Etat l’avait maintenue ; dans la décennie suivante, 8 Etats adoptèrent une telle mesure radicale, en 1903, seuls 3 l’appliquaient toujours. En 40 ans, Rhodes Island est passé de la prohibition à la licence en trois occasions et en un siècle, le Massachusetts a expérimenté neuf formes de contrôle. Avant l’entrée des EUA dans la première guerre mondiale, 25 Etats avaient institué des politiques favorisant la prohibition et en 1919, un an

avant l’édiction du 18è amendement instaurant la prohibition au niveau fédéral, 33 Etats

utilisaient cette forme de contrôle des liqueurs.

Multiplication de la fraude, développement du crime organisé, corruption, usage de produits frelatés, l’expérience de la prohibition fut si désastreuse que 14 ans plus tard, en

décembre 1933, le 21è amendement abrogeait le Volstead Act (Munshi, 1997). Quand la

prohibition s’est terminée, le Kansas a choisi de rester « dry » jusqu’en 1948, l’Oklahoma, 1959 et le Mississippi, 1966 ; en outre, il existe toujours des formes locales de prohibition dans 39 Etats, notamment dans les comtés à forte présence de fondamentalisme religieux. (Eyseberg, 1990). Dans les états « wet », deux systèmes de contrôle se sont mis en place pour se substituer à la prohibition : (1) un monopole public dans lequel l’Etat exerce le monopole complet sur la filière des boissons alcoolisées, excepté au stade de la production ; (2) une méthode de licences payantes accordées par l’Etat. Les consommations par tête les plus faibles de vin, et d’alcool en général, se retrouvent ainsi dans le Sud des Etats-Unis, de la Virginie au delta du Mississippi, puis l’Arkansas, l’Oklahoma jusqu’au Dakota du Nord et l’Utah.

« Comme les règles sur la façon de contrôler la consommation d’alcool ont été assignées aux états, certains états ont délégué la responsabilité aux communautés locales, aux comtés et aux villes. Il est alors possible de trouver des endroits où il est complètement interdit d’acheter de l’alcool mais, en roulant quelques kilomètres, de pouvoir acheter librement de l’alcool. De façon similaire, dans certaines places, l’alcool ne peut être consommé que dans les endroits qui servent des repas tandis que quelques miles plus loin, l’alcool peut être consommé dans des lieux qui ne servent que de l’alcool » (Friedland, 1994, trad. libre).

Comme le souligne Eyseberg (1990), la prohibition ne doit pas être vue comme une aberration temporaire mais bien comme la manifestation d’un courant sous-jacent à la culture américaine. Ainsi au niveau national, des tendances néo-prohibitionnistes se développent depuis les années 1980 : « Les tendances néo-prohibitionnistes ont récemment généré une grande pression sur les autorités fédérales et des Etats pour légiférer sur l’obligation de mentionner des avertissements sur les récipients de boissons alcooliques » (Baxevanis, 1992, trad. libre). L’argument selon lequel le vin, à l’inverse de la bière et des alcools de distillation, est la boisson de modération consommée aux repas et non la boisson alcoolique usuelle associée à l’absorption solitaire, semble différemment perçu selon les états, comme en témoigne une législation dans laquelle le vin est tantôt classé avec les bières, tantôt avec les spiritueux. La vente des liqueurs intoxicantes est un sujet de politique publique et de débat légal récurrent aux EUA. Ce débat a toujours oscillé entre les extrêmes, avec la prohibition d’un côté et l’absence de tout contrôle de l’autre.

Entre ces deux extrêmes, les Etats ont choisi une variété de moyens de réguler la vente d’alcools, parmi lesquels le système des trois tiers, en vigueur dans 37 états américains et celui des monopoles publics. Dans le système dit des « trois tiers », les vineries doivent vendre à un grossiste distributeur, qui vend les vins à un détaillant. Les distributeurs doivent avoir une licence dans chaque état où ils souhaitent commercer. Seuls les producteurs opérant à grande échelle peuvent contrôler leur distributeur de façon efficiente ; les petits producteurs ont en revanche plutôt intérêt à travailler directement avec les détaillants ou les consommateurs (mail-order), mais l’interdiction des ventes directes, redirigeant les ventes des petites vineries vers le système des trois tiers, établit des barrières à leur accès aux marchés extra-calforniens (Knox, 2000).

§ 4.1.2. Les Etats à monopole de la distribution

Les opposants au système de licences soutiennent que la recherche du profit par des entreprises privées est incompatible avec un contrôle efficace, puisque les sociétés vont chercher à accroître leurs ventes, à vendre aux mineurs, etc., tandis qu’un monopole public n’a pas d’incitations à encourager la consommation de substances intoxicantes. De plus des entreprises privées de distribution ou de vente au détail d’alcool vont chercher à défendre leurs intérêts et donc tenter de peser dans la sphère politique, ce que redoutent les partisans d’une lutte contre la consommation d’alcool. Le monopole public des ventes d’alcool, confié à un organisme central des liqueurs (Liquor Control Board), est un système commun dans les provinces canadiennes et les pays scandinaves. L’organisme est l’unique importateur et distributeur de substances intoxicantes, bières, vins, spiritueux.

Les produits ne peuvent être achetés que dans les magasins d’Etat gérés par l’organisme central, qui de plus exerce un contrôle sur la publicité relative aux boissons (Munshi, 1997). La Pennsylvanie est un cas limite car cet Etat a la politique la plus restrictive de la nation : en effet, tous les achats pour la consommation à domicile doivent se faire dans des boutiques de vente d’alcool au détail détenues par l’Etat. Sur les 12 Etats qui possèdent des magasins de détail, aucun n’exerce un monopole aussi complet que la Pennsylvanie. 18 Etats exercent un monopole public de la distribution ; parmi ceux-ci, 6 n’ont pas de magasins affiliés (Iowa, Michigan, Mississippi, Oregon, Virginia, Wyoming) et la vente au détail s’effectue donc par le biais de sociétés privées licenciées. La réglementation, on le voit, est donc très disparate.