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2.1. De l’antiquité à l’âge d’or des années 1860

Si elle fut probablement cultivée dès le IIè siècle avant J.-C. dans le Roussillon, alors territoire romain, la vigne est inconnue de la Gaule septentrionale – au-delà des Cévennes (Lachiver, 1998). Les premières mentions d’un vignoble bourguignon datent du IVè siècle après J.-C. Il est attesté que les notables d’Autun exploitaient des propriétés viticoles sur les Côtes de Beaune et de Nuits en l’an 312 (Dion, 1977). Ce vignoble avait semble-t-il déjà acquis une certaine notoriété, et l’on peut situer son développement au début du IIIè siècle (Lachiver, 1988) Comme le souligne Roger Dion, de nos jours, « C’est dans les limites du diocèse médiéval dont [Autun] fut le chef-lieu que se concentrent, sur cette côte, les crus les plus fameux de Bourgogne » (Dion, 1977).

Durant le Moyen-Âge, la vigne est exploitée en Bourgogne par la famille ducale, la noblesse, les évêques d’Autun et de Langres et les abbayes bénédictines et cisterciennes (Garrier, 1998).

Les vins sont alors très différents des produits que nous connaissons « […] rares devaient être les vins qui dépassaient 10 degrés, bien plus fréquemment les vins de 6 ou 7 degrés qui ne se conservaient pas et qui n’auraient pas pu supporter des transports longs et cahoteux » (Lachiver, 1988). Les vignobles septentrionaux se développent à partir des Xè et XIè siècles, à proximité des villes naissantes, pour la consommation urbaine et l’export vers les Flandres et l’Angleterre ; la vigne gagne partout du terrain, pour satisfaire une population française qui triple entre 1086 et 1300 (idem.). Le vin est loin d’être une boisson de consommation courante mais un débouché existe, notamment à Paris : les parisiens boivent surtout des vins « de France » - produits dans la région parisienne - mais également des vins d’Auxerre, de Chablis ou de Tonnerre, ces vins de l’Yonne qui étaient les seuls appelés alors vins « de Bourgogne ». Les vins de Côte d’Or sont qualifiés, de façon générique, de vins « de Beaune » ; ils connaissent un essor à la période ducale : « Au XIIè siècle, l’abbaye de Cîteaux, qui ne pouvait trouver dans la région où elle était établie le vin dont elle avait besoin, avait [comme les ducs] pris pied dans le vignoble de la Côte et possédait déjà trois celliers, à Meursault, à Aloxe et à Vougeot […] » (Lachiver, 1988). A partir du XIIIè siècle, se développe une petite propriété paysanne en faire-valoir direct, l’usage du métayage dans la Mâconnais, ainsi que des propriétés de la bourgeoisie de Beaune, Dijon et Chalon ; les artisans et manœuvres urbains exploitent également des parcelles de vignes pour l’autoconsommation (Garrier, 1998).

Au cours de la seconde moitié du XIVè siècle, la vigne connaît à nouveau un développement en Bourgogne avec l’appui des ducs et les perspectives offertes par le marché offert des Pays-Bas, alors territoire bourguignon (Verdon, 2002). Le duché de Bourgogne est alors à son apogée (Bazin, 2002).

L’extension du vignoble ne doit pas se faire, selon les gouvernants, au détriment de la qualité : en 1395, le duc Philippe le Hardi dénonce l’introduction « d’un très mauvais et déloyal plant nommé gamay », il en prescrit l’arrachage ; en 1441, le duc Philippe le Bon se désole de voir la vigne quitter la Côte pour le « Bas-Pays » et propose, en 1471, d’arracher les vignes de la plaine de Dijon (idem).

Les vins blancs de Chablis et de Beaune jouissent alors d’une bonne réputation ; ce sont surtout des vins nouveaux qui sont commercialisés car les conditions d’élevage sont mal maîtrisées et les vins vieux supportent alors difficilement les conditions du transport sur longue distance. Malgré, l’institution féodale du « ban des vendanges », les raisins sont souvent récoltés verts, car l’acidité permet une meilleure conservation des vins et la paysannerie récoltante préfère un mauvais vin au risque de perdre la récolte avec les pluies d’automne. La vinification traditionnelle est sommaire, plus compliquée et plus longue en rouge qu’en blanc ; les raisins vinifiés en rouge ne sont pas cuvés très longtemps, aussi il s’agit plus de rosés (les vins « clairets » de Bordeaux) et de rouges légers (les vins « vermeils » de Bourgogne), que de vins rouges corsés de longue garde.

Contrairement aux nobles et aux ecclésiastiques, le peuple n’a pas les moyens de consommer régulièrement du vin et c’est la «piquette » - obtenue par fermentation du marc, après adjonction d’eau et foulage - qui fait office de substitut. « […] le peuple des campagnes, même la classe aisée des laboureurs, des possesseurs d’attelage, ne boit pas ou guère de vin, même dans les pays de production, ou alors du petit vin, du verdillon, du râpé, toutes les piquettes qui n’ont aucune valeur marchande. Le vigneron ne peut absorber qu’une très faible part de sa production car il doit vendre pour acheter les grains qu’il ne produit pas » (Lachiver, 1988)

La situation change de façon radicale au XVIè siècle. Selon les estimations de Garrier, la consommation par tête des français atteint vers 1700 les 72 litres annuels (Garrier, 1998) ; le vin n’est plus réservé à l’élite, la boisson se popularise en ville, les cabarets se multiplient. Par ailleurs, la population française est passée, entre le début du XVIè siècle et la Révolution, de 16 à 27 millions d’habitants. Les plantations se développent partout en France entre 1720 et 1780, accompagnant l’essor de la population, et ce malgré des interdictions de planter – les gouvernants provinciaux et nationaux s’inquiétant des risques entraînés par la monoculture de la vigne (surproduction, pression inflationniste sur le prix du blé) (Lachiver, 1989).

Selon Garrier, c’est une véritable « fureur de planter » dès le premier tiers du XVIIIè siècle. La vigne couvre 1,6 millions d’ha à la fin du siècle, pour 27,2 millions d’hectolitres produits en en 1788.

Dans les vignobles sub-urbains la priorité est donnée à la quantité : les « plants grossiers » (cépages ordinaires) gagnent du terrain au détriment des variétés fines. Le rendement moyen reste toutefois bas (moins de 20 hl par ha) avec de larges fluctuations interannuelles. Le goût change : « En un siècle, de 1650 à 1750 environ, se forme un nouveau goût populaire qui délaisse les vins blancs acides et les vins clairets et réclame des vins rouges, de plus en plus colorés et de plus en plus épais » (Garrier, 1998). Les premières fraudes connues apparaissant avec des vins coupés, mouillés et foncés au jus de sureau et à la baie de mûre : « Le « gros rouge qui tache » ne naît pas au début du XXè siècle de l’océan de vignes du Languedoc post phylloxérique ; il inonde Paris dès 1650 […] » (idem). Les vins bourguignons se répartissent à cette période entre les vins primeurs de la Côte de Beaune et les vins de garde de la Côte de Nuits (Bazin, 2002). On assiste aux prémisses de l’œnologie avec les premiers traités sur les vinifications, ainsi que les premiers conditionnements en bouteille. C’est durant cette période de forte croissance de la consommation populaire, entre les XVIè et XVIIIè siècles, que les parlementaires dijonnais rachètent les grands domaines monastiques et, comme la noblesse bordelaise, investissent dans le vignoble pour produire des vins raffinés – se distinguant d’une production croissante de vins courants. L’ancien vignoble ducale et ecclésiastique a déjà commencé à se morceler, au gré des successions familiales. Ce processus de morcellement s’accélère brutalement avec la vente des biens de l’Eglise et des émigrés ; seuls quels grands domaines (Clos de Vougeot, Romanée Conti) demeurent intacts (Lachiver, 1989). Les acquéreurs sont pour l’essentiel des bourgeois résidents ou forains. C’est également à cette période que les plus anciennes maisons de négoce beaunoise voient le jour, entre 1720 et 1750 : Champy, Chanson, Bouchard, etc. (Garrier, 1998). Ils remplacent les courtiers-gourmets, qui jouaient un simple rôle d’intermédiaire entre les récoltants vinificateurs et les acheteurs des places de consommation ; les maisons ont, elles, une double fonction manufacturière et commerciale « […] ils achètent le vin à la propriété, l’élèvent et le vendent » (Bazin, 2002).

Par ailleurs si les clos monastiques (clos de Vougeot, clos de Tart, clos de Bèze) jouissent d’une réputation distinctive dès le Moyen Age, ce n’est que durant les deux derniers siècles de l’Ancien régime, que l’usage de dénominations plus spécifiques que le « vin de Beaune » se met en place pour désigner les vins issus d’un village en particulier (Pommard, Volnay, Santenay). Le prix de ces vins se différencie nettement de celui des vins courants, dont les quantités produites sont en train de s’accroître avec la popularisation de la boisson (voir section suivante).

En Bourgogne, une sphère des vins d’élite est en train de s’isoler du commun, sur des bases techniques distinctes (cépage pinot noir versus gamay), avec une hiérarchie territoriale marquée (la « Côte » versus la plaine ou « Bas Pays »).

Au début du XIXè siècle, la France possède à elle seule près de la moitié du vignoble mondial; le vignoble bourguignon couvre quant à lui 84 700 ha en 1808. Le vin est déjà une boisson populaire mais il faudra attendre les années 1850 pour que les conditions propices à la constitution d’un vaste marché national de vins courants se mettent en place, augmentation des salaires ouvriers, urbanisation – entre 1851 et 1881, la population urbaine passe de 9 à 12 millions – liaisons ferroviaires établies entre les régions de production et Paris (1858). En outre, les traités de libre-échange favorisent l’export. Le vignoble national s’étend mais surtout les rendements s’accroissent de façon vertigineuse (cépages grossiers productifs, taille longue, usage d’engrais chimiques désormais disponibles) ; dans le Midi, les rendements atteignent les 100 hl par ha. La Bourgogne n’est pas épargnée par cette extension au détriment de la « qualité » : le gamay s’étend dans le Mâconnais et en Côte d’Or, dans le Bas-Pays et l’Arrière Côte (idem) – cette évolution est néanmoins sans commune mesure avec la massification du vignoble méridional.

Le record national inégalé de 1875 (84,5 millions d’hectolitres) signe la fin de cet « âge d’or » marqué par des prix élevés pour toutes les catégories de produits, des vins courants du Midi aux vins fins de pinot noir de la Côte, en passant par les Grands Ordinaires du Mâconnais (Goujon, 1989). Pour les Côtes de Beaune et de Nuits, le XIXè siècle est également celui des prémisses d’une institutionnalisation véritable de la qualité particulière de ses « climats » et villages. Si les vins de la Côte se sont depuis longtemps différenciés en prix des vins communs, au fil des classements réalisés au cours du XIXè siècle (Jullien entre 1816 et 1822, Cavoleau en 1827, Morelot en 1931, Lavalle en 1855) les dénominations spécifiques se précisent (Lachiver, 1988 ; Bazin, 2002). Entre 1850 et 1860, les communes de la Côte accolent par ailleurs à leur nom ceux de leur vins les plus réputés, et le classement de Lavalle est repris par le Comité d’agriculture de Beaune pour l’exposition universelle de 1862. La différenciation des vins bourguignons par leur origine spécifique, initiée dans les deux derniers siècles de l’Ancien régime, et la hiérarchie fiduciaire des qualités, se concrétisent; il faudra toutefois attendre le début du XXè siècle pour qu’elle soit inscrite dans la Loi.

2.2. La consolidation d’une viticulture de qualité

Dans la période allant de la crise sanitaire phylloxérique à l’entre-deux-guerres, la

surface du vignoble bourguignon est divisée par trois, régressant de 118 000 ha (1870-

1879) à 41000 ha (1930-1939). Une série de crises de méventes se succèdent et la

viticulture septentrionale à vin ordinaire cède le pas devant la concurrence méridionale.

On ne reviendra pas sur cette importante période d’ajustement pour la viticulture

française, d’où sont progressivement nés le code du vin et le régime des appellations

d’origine contrôlées (voir chapitre 7 dans le corps de texte).

Table II.7. Le vignoble bourguignon : contraste avec le vignoble national et la production de masse méridionale. (Superficie en milliers d’hectares)

1808 1829 Variation % 1852 Variation % 1870 1879 Variation % 1890 1899 Variation % Côte d’Or 24,7 20,5 - 17 29,8 + 45 33,4 +12 25,2 - 25 Saône-et- Loire 27,8 38,9 + 40 35,7 - 8 43,5 + 22 28,9 - 34 Yonne 32,2 37,2 + 16 37,7 + 1 40,7 + 8 34,2 - 16 Bourgogne * 84,7 96,6 + 38 103,2 + 7 117,6 + 14 88,3 -25 France 1 624 2 024 + 25 2 190 + 8 2 439 + 11 1 780 - 27 Languedoc- Roussillon 206 285 + 38 295 + 4 407 + 38 401 - 1 Algérie ** - - - 1 - 16 + 1500 114 + 613 1910 1919 Variation % 1930 1939 Variation % 1950 1959 Variation % 1970 1979 Variation % 2000 Côte d’Or 21,4 - 15 11,5 - 46 8,9 - 23 8,0 - 10 9,4 Saône-et- Loire 37,2 + 29 21,4 - 42 14,6 - 32 10,5 - 28 13,1 Yonne 15,1 - 56 8,0 - 47 4,1 - 49 2,8 - 32 6,1 Bourgogne * 73,7 - 17 40,9 - 45 27,6 - 33 21,3 - 23 28,5 France 1 533 - 14 1 556 + 2 1 399 - 10 1 201 - 14 876 Languedoc- Roussillon 489 + 22 470 - 4 452 - 4 430 - 5 - Algérie ** 151 + 32 388 + 157 368 - 5 - - -

* Bourgogne administrative ** territoire français Sources : Lachiver (1989), Agreste (2002)

Dans l’après-guerre et jusqu’aux années 1970, la superficie du vignoble bourguignon continue de diminuer. Dans l’Yonne, le vignoble du Chablisien ne compte plus que 550 ha en production en 1959 (Cannard, 1999). Cette régression est cependant compensée par l’accroissement des rendements parcellaires, autorisé par l’emploi des engrais et des produits phytosanitaires, puis par le développement de clones productifs (Laporte, 2000). Durant la période, le vignoble est rationalisé et se mécanise avec la généralisation des tracteurs à chenille et des enjambeurs (Bazin, 2002).

Les dernières vignes classées en vin de table sont arrachées et la spécialisation de la Bourgogne dans la viticulture AOC est quasiment achevée au milieu des années 1970.

Le vignoble d’appellation connaît alors une croissance significative, en particulier dans l’Yonne où les auteurs parlent de « renaissance » : Chablis passe de 1100 ha en production en 1975 à 4200 en 1998 (pour 4400 ha plantés et 6800 ha délimités) ; dans le Tonnerrois, où la vigne avait quasiment disparu à la fin des années 1950, un vignoble est réimplanté avec le soutien des politiques locaux et de leurs relais nationaux (Pécheux, 2001). En Côte d’Or, ce sont les vignobles de l’Arrière Côte qui connaissent une croissance remarquable. Les efforts des producteurs avaient conduit dès 1961 à l’octroi d’appellations spécifiques (Hautes-Côtes de Beaune, Hautes-Côtes de Nuits) (Legouy, 2000).