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Le système productif néo-zélandais

Section 2 Historique de la Nouvelle-Zélande vitivinicole

2.1. Des origines coloniales aux années 1960

Les premiers plants de Vitis vinifera sont importés par les européens, peu après la colonisation de l’île du Nord. En 1819, le missionnaire Samuel Marsden plante quelques centaines de vignes à Keri Keri, dans le Northland, exploitées par des indigènes (Scott, 1964). Avant de s’installer en Nouvelle-Zélande en 1833, James Busby, un colon australien d’origine écossaise, entreprend un voyage dans les régions viticoles européennes et rapporte des plants espagnols et français, qu’il plante en Nouvelle-Galles-du Sud, avant de les propager dans l’archipel. Il y réalise la première vinification connue en 1936. Des paysans français amenés par la compagnie nanto-bordelaise s’installent à Akaroa en 1840, amenant leurs propres plants de chasselas, de folle blanche et de muscat ; ces agriculteurs des Charentes ou du Jura plantent un vignoble, dont le surplus est écoulé auprès des baleiniers qui croisent au large de Christchurch.

A Hawke’s Bay, les pères maristes fondent une mission dont le petit vignoble se développe à partir de 1871 ; des échantillons de vins produits sur le site sont envoyés à Paris, pour l’exposition de 1892 (idem). L’activité vinicole commerciale débute en 1863, avec les premiers winemakers néo-zélandais dépendant de la culture de la vigne pour leur subsistance ; la vente de vin n’est alors admise que dans les auberges. En 1881, un amendement parlementaire autorise la vente au détail, mais les vineries ne sont autorisées à vendre au caveau que des quantités de 2 gallons minimums – ce qui rend difficile l’accès au circuit des particuliers. Les produits sont typiquement des vins doux naturels : « Des porto, des sherry, des madeira et des constantia étaient produits, tous non fortifiés et élevés en fûts pendant cinq ans » (Scott, 1964)

Dans le dernier tiers du XIXè siècle, des immigrés espagnols, français, allemands et dalmatiens (natifs de l’actuelle côte croate) contribuent au développement de la vigne sur l'ensemble du territoire, de Hawke’s Bay à Nelson. Comme le rapporte en 1895 Romeo Bragato - un ampélographe italien employé par le gouvernement britannique - à la fin du siècle, la plante est cultivée à peu près partout en Nouvelle-Zélande, avec des vignes américaines comme l’isabelle mais également des variétés nobles de Vitis vinifera (Moran, 2000). Dans l’île du Nord, des amateurs éclairés expérimentent en effet pinot noir, pinot meunier ou encore syrah (Scott, 1964) ; « […] la vigne n’était pas seulement l’une de plantes pérennes les plus fréquemment rencontrées dans les exploitations agricoles de la prédominante population anglo-celtique. Elle apparaissait généralement dans l’une de ces deux formes - comme vignoble familial ou vinehouse (serre viticole) dans la tradition britannique, souvent pour le raisin de table ou sur des terres possédées ou utilisées par des gens issus de culture de tradition vineuse […] » (Moran, 2000).

Le phylloxéra, suspecté en Nouvelle-Zélande depuis 1885, est identifié en 1895 par Bragato ; de nombreux vignobles sont rapidement entièrement détruits. Une lutte coûteuse, avec des méthodes déjà délaissées en Europe - brûlage des vignes, destruction des nymphes au kérosène, injection dans le sol de bisulfure de carbone – est mise en place durant les cinq premières années par le gouvernement local. Puis, l’usage de plantes résistantes, vinifera greffées sur vignes américaines, se développe dans les années 1900 – de même que l’utilisation de producteurs directs américains V. lambrusca (isabelle) et d’hybrides (albany surprise, baco). Les vins adultérés sont alors monnaie courante et certains professionnels s’en inquiètent ; toutefois plusieurs tentatives pour faire passer des lois contraignantes échouent en 1904, 1908 et 1914 (idem).

Ce n’est toutefois pas l’aphide qui sonne le glas de l’industrie naissante : au tournant du siècle, le lobby prohibitionniste a progressé sur l’archipel.

Selon Scott (1964), « Le président de la première société de tempérance néo-zélandaise était un winemaker. Il s’agissait de James Busby et la société, fondée dans la Baie des Iles en 1836, ne voyait pas de contradiction à porter un tel homme à sa tête. En réalité, l’activité de vinification de Busby entrait dans son intérêt pour la tempérance » - la distinction entre le vin et les autres boissons alcoolisées sera du reste le fer de lance des associations professionnelles dans leur propre lobbying des parlementaires (Cooper, 1977).

En revanche, dans leur combat contre l’alcool, les mouvements des années 1900 n’établissent pas de distinction entre la « boisson de la modération » et le gin. Après avoir conquis des districts de l’île du Sud, ils gagnent un premier district dans le Nord en 1905, puis en 1908 un district de la banlieue d’Auckland, dans lequel des vineries commerciales sont installées. La vente d’alcool, vin compris, est alors interdite, mais pas la production ; les vineries contournent la législation en bâtissant des dépôts à proximité immédiate, dans les districts adjacents où la vente aux particuliers est autorisée (Scott, 1964). Après la première guerre mondiale, la position du Parlement sur la question des alcools se rigidifie encore : s’il n’est pas question de prohibition comme en Amérique du Nord, un amendement de 1920 interdit l’émission de nouvelles licences de débit de boisson ; en 1924 la première législation de contrôle de la vitiviniculture érige des barrières considérables pour les petits producteurs et conduit au procès plusieurs d’entre eux (idem).

En 1926, la Viticultural Association est fondée en réponse aux restrictions croissantes auxquelles fait face l’industrie, notamment l’interdiction de commercialiser autre chose que du semi-vrac (2 gallons minimums). A cet environnement institutionnel défavorable s’ajoute

un faible attrait de la population pour la boisson. Une centaine de vineries – BABICH,

CORBANS, MCDONALD, VIDAL – persistent toutefois et maintiennent l’activité durant ces années noires (ibid.). « L'impact social et législatif du mouvement de tempérance était à son apogée dans les deux premières décennies du vingtième siècle. Ceci, combiné avec le penchant pour la bière des classes laborieuses rurales et urbaines et l'attraction des élites sociales pour les vins importés, a donné peu d'opportunité à l'industrie naissante » (Moran, 2000) . La vigne régresse au niveau national, elle disparaît de certaines régions ; et le vignoble, autrefois dispersé au gré des petits foyers de consommation, se concentre dans deux régions: Auckland, la région de la capitale économique, et Hawkes Bay (idem).

Des perspectives plus favorables s’ouvrent en 1935 avec les premières mesures protectionnistes qui isolent la production domestique des importations européennes ; la seconde guerre mondiale contribue également à une reprise de l’activité, car il y a pénurie d’alcools de toutes sortes. L’industrie connaît ses premières tensions internes : en 1943, les producteurs de taille moyenne d’origine anglo-saxonne quittent la Viticultural Association, pour former le New Zealand Wine Council ; les divergences d’intérêt entre les deux catégories

d’opérateurs sont mises à jour lors de débats sur une révision à la hausse des standards de qualité par le Ministère de l’Agriculture : les petites vineries se sentent menacées car incapables d’atteindre ces standards (Cooper, 1977) Malgré les changements successifs de majorité parlementaire, l’attitude des politiques est toujours très conservatrice. D’importantes restrictions subsistent au sortir de la guerre – les auberges, contrôlées par les brasseurs, ont le monopole de la vente des vins et il est, dans les faits, très difficile pour une vinerie d’obtenir une licence de vente au détail ; plusieurs tentatives de libéralisation de la distribution des alcools échouent et le vin conserve un statut de boisson alcoolisée sans dérogation particulière. Par ailleurs, des imports massifs empêchent l’essor de l’industrie domestique. La production retombe à un niveau bas : en 1955, elle s’élève à moins de 20 000 hl (220 000 caisses).

La seconde moitié des années 1950 marque un tournant : la règle des 2 gallons est abrogée en 1955 ; en 1957, une commission parlementaire bipartisane propose de ne plus refuser systématiquement l’octroi d’une licence de détaillant à une vinerie ; en 1959, les restaurants sont autorisés à proposer du vin à leurs clients. L’année 1958 est en outre marquée des restrictions à l’import et une hausse des taxes sur les bières et les spiritueux (Workman, 1993). L’effet est immédiat : entre 1957 et 1964, le nombre de wine shops sur l’archipel passe de 136 à 250, la plupart adossés à une vinerie (Scott, 1964). La consommation par tête double également, atteignant 3,08 litres par habitant en 1965. L’ouverture de nouveaux circuits de commercialisation, combinée à un changement des modes de consommation offre des perspectives de croissance ; pourtant, les ressources sur lesquelles reconstruire une industrie sont minces. En 1960, il ne subsiste que 500 ha de vignes dans le pays ; en outre, la reconstruction du vignoble commercial s’est faite pour l'essentiel sur la base d’hybrides peu qualitatifs (albany surprise, baco 22A, seibel 5433, 5455, etc.), et de cépages productifs comme le chasselas et le palomino. Les vins produits sont généralement des vins fortifiés dans le style de la péninsule ibérique, des port et des sherry. En 1962, ils représentent 88 % de la production nationale. Une enquête de 1960 n’enregistre que 3 hectares de chardonnay et 6 de cabernet sauvignon (Moran, 2000).

L'industrie se compose d'une part de très petites entreprises artisanales à main d’œuvre

familiale d'origine majoritairement dalmatienne (BABITCH, MAZURAN, KUMEU RIVER, etc.),

installées dans la banlieue ouest d’Auckland, d'autre part d’entreprises moyennes avec du personnel salarié, d’origine souvent anglo-saxonne, installées à Hawkes Bay. Par ailleurs,

trois firmes à capitaux australiens (MCWILLIAMS, COOKS et PENFOLDS) sont entrées dans

l'industrie entre 1946 et 1969 et sont rapidement devenues les leaders en termes de parts de marché. Ces entreprises, petites et moyennes, sont verticalement intégrées dans la production de raisins ; ainsi, en 1960, les récoltants ne comptent que pour 4 % des approvisionnements des compagnies (Workman, 1993).