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La production du beurre de karité, un savoir faire traditionnel féminin

AGRICOLES DES FEMMES Introduction

5.2. Microcrédit et agriculture

6.1.1. La production du beurre de karité, un savoir faire traditionnel féminin

Les femmes occupent une place de choix dans la filière karité43 en Haute Guinée. Elles vivent dans des communautés rurales où les revenus de la majorité des chefs de ménage ne suffisent pas à assurer une prise en charge effective du groupe domestique. Dans ces conditions, les femmes exploitent les ressources naturelles du terroir dont le karité pour subvenir aux besoins de subsistance. Elles sont présentes au niveau de tous les maillons de la filière : de la collecte des noix à la commercialisation du beurre de karité en passant par la production et la transformation. L‟omniprésence des femmes rurales à grande échelle dans la production de beurre de karité constitue la caractéristique fondamentale de la filière.

« L’implication coutumière des femmes dans la collecte et le traitement du karité est la caractéristique la plus marquante du produit. Le karité est un des rares biens détenant une valeur économique qui demeure sous le contrôle des femmes soudano-sahéliennes » (Elias et

Carney (2004 : 78).

La production du karité est un travail contraignant et pénible. Le processus débute par le repérage des arbres à karité en production. Ce travail est l‟œuvre des chefs de familles, propriétaires des espaces écologiques où poussent les arbres. Viennent ensuite le ramassage des fruits par les femmes le plus souvent assistées par leurs filles. La période de ramassage des noix coïncidant au défrichement des champs, les hommes s‟adonnent davantage aux travaux champêtres qu'à la collecte des noix de karité. Le ramassage commence très tôt au petit matin (5h) et se poursuit jusque dans la journée aux environs de 12 h.

43L‟arbre à karité fait partie de la famille des Sapotaceae. Il est généralement étudié sous le nom scientifique

(Vitellariaparadoxa) depuis 1905. L‟arbre est surtout présent dans la zone soudano-sahélienne et soudanaise. Il pousse sur les sols argileux ou argilo siliceux et les zones caractérisées par des précipitations de 600 à 1500 mm. Les amendes et le beurre sont les principaux produits du karité. Le rendement moyen d‟un arbre à karité est d‟environ 15 kilogrammes de fruits par an (Samaké, 2007 ; Myriam, 2008 ; Zacharie et al, 2011). Le parc de karité en République de Guinée se répartit pour l‟essentiel dans un espace agro-écologique estimé à 104 000 km². La Haute Guinée est par excellence la zone de grande production de karité avec des forêts de karités sur un espace de 86 000 km² contre 18 500 km² pour la Moyenne-Guinée (PEGRN (2005). La production annuelle de beurre de karité en Guinée est de l‟ordre de 5 000 tonnes estimée à 17 milliards GNF soit 4 millions de dollars américains. Environ 80% de cette production provient de la région de la Haute Guinée avec une production annuelle de 4 000 tonnes. Au niveau de cette région, chaque ménage ramasse en moyenne 500 kg de noix de karité par an. La part la plus importante (2/3) de beurre de karité est produite par la méthode traditionnelle (utilisation de mortiers et pilons par les femmes). L‟extraction semi-mécanisée est généralement réalisée dans les centres urbains et quelques villages grâce à l‟assistance technique et financière des institutions de microfinance, des ONG, des structures d‟encadrement publiques et privées et des partenaires au développement (ECOWAS TEN, 2012).

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« Il faut se lever le matin de bonne heure, au premier chant du coq pour ne pas que d’autres femmes te précèdent sous les pieds des arbres à karité pour ramasser les noix tombées la veille. Les champs sont très éloignés du village, il faut donc se lever très tôt pour arriver avant les autres, ce qui permet de ramasser une quantité suffisante de fruits ». (Transformatrice du groupement Konkondandan de Kantoumanina, préfecture de Mandiana, 48 ans).

Le ramassage a généralement lieu entre juin et août de chaque année. Les femmes se rendent dans les champs, en groupe ou avec leurs filles. Elles circulent d'un arbre à l'autre sans aucun équipement de protection (bottes, gangs) pour collecter les fruits tombés et les mettent dans des bassines métalliques ou en plastiques. Au cours de cette opération, les risques à éviter sont les morsures de serpents et de scorpions. Des témoignages recueillis laissent entendre que, dans certains cas, les femmes meurent après avoir été mordues par des serpents venimeux. Les récipients une fois remplis, sont transportés vers les villages sur la tête, des motos, des vélos ou dans des charrettes.

De retour à la maison, les femmes entassent les fruits dans des fosses creusées à même le sol, non loin des habitations, pour favoriser sa décomposition en vue de faciliter le dépulpage. Quelques jours plus tard, les résidus de pulpe sont enlevés à la main avant de faire bouillir les noix dans des marmites et de les faire sécher au soleil. Les coques des noix sont ensuite concassées à l'aide d'un pilon dans un mortier pour extraire les amandes. Cette opération étant pénible, le plus souvent, les femmes s‟organisent en groupe d‟entraide (lâma) pour l‟exécuter. Les amandes exposées au soleil sont ensuite pilées avant d‟être broyées dans des mortiers ou par des machines pileuses récemment installées dans certains villages et centres urbains. La pâte résultant de ce traitement est bouillie et remuée de temps en temps pour permettre au beurre de remonter à la surface. Il est recueilli et transvasé dans des récipients. Une fois refroidie, la pâte est agitée de manière continue jusqu‟à ce qu‟elle prenne une coloration blanchâtre avant d‟être mise dans des récipients de forme spécifique contenant un peu d‟eau pour la solidification complète.

Finalement, des boules pesant 5 à 10 kg voire plus, sont obtenues et emballées dans des feuilles végétales attachées par des lianes d‟écorce. La production ainsi obtenue est destinée à l‟autoconsommation, à la vente mais aussi aux dons. Cependant, pour des femmes ayant contracté un microcrédit, plus des 2/3 de la production sont commercialisés dans le but de pouvoir le rembourser dans le délai contractuel convenu avec l‟IMF.

198 Figure 1: Etapes de transformation du Karité

Source : Béavogui et Bayo, 2014

Photo 3 : Quelques étapes de la production du beurre de karité à Alyamoudoula (Kankan) Ramassage des noix de karité Barattage manuel de la pâte moulue

Boules de beurre de karité emballées Beurre de karité conditionné

199 6.1.2. Genre et accès à la ressource karité

La filière guinéenne de karité n‟est pas encore bien connue des acheteurs internationaux contrairement à certains pays de la sous-région ouest africaine. Le faible appui technique, financier et commercial au sein de la filière fait que le potentiel guinéen reste peu exploité. Le karité est marginalisé, son rôle économique sous-estimé et sa contribution au PIB n‟apparaît pas dans les recettes de l‟État, probablement par manque de données régulièrement saisies sur la filière. Tout de même, on retient que le karité contribue à améliorer la santé puisque ses vertus thérapeutiques sont importantes et permet de réduire la vulnérabilité des femmes rurales dont les revenus sont tirés de son exploitation (CECI, 2006 ; USAID, 2006).

Aussi, faut-il préciser que pour les hommes de la Haute Guinée, la cueillette est une activité dégradante pour les hommes : « Ramasser n’importe quel fruit en brousse relève du

domaine des femmes et des jeunes ». Tout comme le karité, le néré est associé à cette logique

minimaliste. L'artisanat, notamment la transformation du karité est réservée aux femmes car dévalorisée par les hommes qui considèrent le processus de transformation des fruits comme un travail du feu, donc de ménage. Chaque fois que le travail de feu est lié à une activité, les hommes s‟abstiennent de l‟exercer car, il est assimilé à du ménage. C‟est d‟ailleurs ce qui explique en partie le désintéressement des hommes à la filière du karité.

Par conséquent, il n‟y a donc pas de concurrence entre les hommes et les femmes pour l‟accès et le contrôle des ressources karité en Haute Guinée. Même si les hommes sont propriétaires des espaces agroécologiques sur lesquels poussent les arbres de karité, la transformation des fruits en beurre, est une activité exclusivement féminine. Les femmes ont le droit d‟usage du karité et non de propriété de la parcelle qui l‟abrite. Les revenus qu‟elles tirent de la transformation de karité leur reviennent entièrement. La part qui revient aux chefs de familles, est bien celle réservée à l‟autoconsommation, destinée à l‟alimentation des membres de la famille qui sont sous leur autorité.

Contrairement à la Haute Guinée où la ressource karité ne fait pas objet d‟appropriation masculine, au Burkina Faso, le développement des produits à base de karité sur le marché international et les campagnes de sensibilisation sur leur valeur marchande, ont emmené beaucoup de chefs de famille à s‟approprier d‟une partie importante des noix ramassées dans leurs champs. Certains reçoivent la moitié ou une partie des bénéfices de la vente des amandes. Par exemple, dans les communautés rurales Moose et Gulmanceba du Burkina Faso, les hommes s‟occupent de la vente des amandes pour en tirer un revenu immédiat, alors que

200 les femmes transforment le karité pour l‟autoconsommation et la petite commercialisation d‟une partie du karité (Saussey, 2009 ; 2011).

En Côte d‟ivoire aussi et plus précisément à Thiougou, les collectrices sont obligées de partager la valeur de leur noix avec le chef de famille. Sur ce territoire rural, dans près de 66% de foyers paysans, ce sont les femmes qui contrôlent la totalité des profits issus de la vente de karité ; dans 27% des ménages, les gains sont partagés entre les femmes le chef de famille ; dans 7% des cas, c‟est le chef de famille qui réclame entièrement la valeur des ventes féminines des noix (Marlène et Judith, 2004). Le revenu des femmes est encore plus vulnérable lorsque les noix sont ramassées dans des terres appartenant à d‟autres ménages. Dans ces conditions, les femmes ont l‟obligation de reverser une partie de la valeur du produit en nature ou en argent aux propriétaires des champs. Pour contourner ces revendications, certaines femmes ramassent les noix sur les terres libres d‟accès très éloignées des villages où, elles maintiennent leur droit sur toute la quantité de noix collectées. Pour ce faire, elles doivent arriver les premières sur ces lieux pour ramasser les noix de karité selon la règle de « première

arrivée, première servie ». La valeur marchande du karité créée donc dans certains pays au sud

du Sahara, des compétitions et des conflits d‟intérêts entre les hommes et les femmes, ce qui affecte considérablement leurs rapports.

« La commercialisation internationale du karité pose donc de nouvelles difficultés aux collectrices de noix ainsi qu’aux productrices de beurre et affecte les rapports entre hommes et femmes au Burkina Faso. Lorsque la valeur des produits agricoles bruts ou transformés s’accroît, les droits d’accès et de contrôle de ces biens sont fréquemment renégociés entre le doyen gérant la ressource et ses utilisateurs. Ce processus a fréquemment provoqué des conflits entre les maris et leurs épouses dans différentes zones d’Afrique subsaharienne lorsque les projets de développement ciblent des femmes » (Elias et Carney, 2004 : 80).

Contrairement au Burkina Faso et la Côte d‟ivoire, le karité n‟est pas un objet de concurrence entre les hommes et les femmes en Haute Guinée en raison de l‟abondance de la ressource et de sa faible rentabilité économique. D‟ailleurs, les hommes tirent beaucoup plus de profits d‟autres ressources qui ont plus de valeur marchande que le karité comme l‟anacarde et l‟or.

En effet, la culture de l‟anacardier fut introduite en Guinée vers les années 1940 par les autorités coloniales. Son introduction obéissait beaucoup plus à des raisons

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