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Catégorie 1 Caisses Populaires et de Crédit « Yètè Mali » de Guinée (CPEC-G)

2.2. Les visions hégémoniques de la microfinance

2.2.1. La microfinance enchantée

Contrairement aux résultats beaucoup plus nuancés constatés plus tard, cette vision met en avant la croyance aux vertus démesurées/supposées de la microfinance dans la lutte contre la pauvreté des personnes démunies et exclues des banques classiques. La vertu excessive de la microfinance a été beaucoup médiatisée au cours de la tenue du premier sommet du microcrédit en 1997 à Washington. La microfinance a été de ce fait qualifiée d‟outil efficace dans la lutte contre la pauvreté et son apparition a été assimilée à une révolution de la finance et voir même comme un tournant historique pour l‟humanité (Guérin, 2015).

Le discours médiatisé par la Campagne du sommet du microcrédit s‟est appuyé sur des images et des expériences exagérément optimistes autour du récit officiel qui situe l‟intervention de la microfinance au Bangladesh par Muhammad Yunus dans les années soixante-dix (Bédécarrats, 2013). À l‟époque, Muhammad Yunus18, jeune professeur d‟économie rurale à l‟université de Chittagong, rencontre 42 femmes en situation de précarité

76 obligées de s‟endetter auprès des usuriers, avec un taux d‟intérêt hebdomadaire de 10%, pour acheter des pailles de bambou destinées à la fabrication des chaises. Ne trouvant aucune banque pour leur prêter de quoi échapper à ces usuriers, il leur prête lui-même l‟équivalent de 17 dollar US aux 42 vanneurs. Non seulement Yunus est remboursé dans le temps, mais cette expérience positive lui permet d‟engager une réflexion sur les meilleures chances de pérennité économique du nouveau modèle.

En 1983 est créée la Grameen Bank19, une banque réservée aux pauvres et détenue par ses propres emprunteurs (composée à 90% de femmes) qui ne signent aucun contrat formel, ni n‟exigent aucune garantie en échange de leur emprunt. Seulement, chaque client doit appartenir à un groupe composé de cinq membres, pour assurer un contrôle moral qui l‟oblige à se soumettre au contrôle de ses pairs. La stratégie de crédit solidaire venait donc d‟être initiée et popularisée. Il s‟agit d‟un crédit octroyé à un groupe de personnes dont chaque membre est solidaire du remboursement de tous les autres. Avec cette stratégie, la Grameen Bank démontre que non seulement les pauvres peuvent efficacement gérer et rembourser des crédits (dès le début du fonctionnement de la banque, le taux de remboursement avoisinait les 99%), mais aussi qu‟ils peuvent payer des intérêts élevés, et que l‟institution peut donc couvrir ses propres coûts (Boyé et al, 2006).

Ce storytelling a rendu encore plus emblématiques les miracles du microcrédit pour les bénéficiaires, en général les femmes. Ainsi, la Campagne du sommet du microcrédit a participé à consolider davantage à la construction d‟une représentation homogène de la microfinance à travers la diffusion des récits de vie d‟emprunteuses pauvres parvenant à sortir de leur situation grâce à des microcrédits successifs. Ce type de narration a imposé l‟idée que le microcrédit représente une solution efficace et accessible permettant à elle seule de résoudre la misère.

« La Campagne du Sommet du Microcrédit a façonné le statut symbolique adopté par la microfinance sur la scène internationale. Forgeant une représentation à même de frapper les imaginaires et de mobiliser les décideurs politiques et les fonds d’appui à l’aide au développement, elle a impulsé un véritable ballet diplomatique au sein de ce secteur. La mise en

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Qui compte aujourd‟hui plus de mille agences, plus de vingt mille employés et qui dessert près de sept millions de clients.

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scène conçue dans ce cadre s’est largement diffusée, si bien que l’organisation des réunions internationales ou la communication médiatique fait aujourd’hui partie intégrante du domaine des IMF » (Bédécarrats, 2015 : 57).

L‟illusion que le microcrédit pouvait résoudre la lancinante question de la pauvreté était partagée aux plus hauts sommets de la coopération internationale. Elle s‟est matérialisée par la déclaration de l‟année 200520

« Année du microcrédit » (avec pour objectif d‟atteindre 175 millions de familles parmi les plus pauvres en 2015) suite à l‟adoption de la résolution (53/197) par l‟Assemblée Générale de l‟ONU (Servet, 2015).

L‟année suivante, c'est-à-dire en 2006, une nouvelle reconnaissance mondiale de la microfinance interviendra avec la remise du Prix Nobel de la paix à Muhammad Yunus, père fondateur de la Grameen Bank (Guérin et al, 2007 ; Sylvain, 2011).

Les croyances qui ont forgé la renommée de la microfinance ont été reprises par le jury lors de la remise du prix Nobel à Yunus (Guérin, 2015). Elles s‟articulent sur son rôle dans la lutte contre la pauvreté, l‟émancipation des femmes et de démocratisation des sociétés locales.

Diverses personnalités politico-médiatiques ont relayé les vertus de la microfinance en matière de lutte contre la pauvreté. C‟est le cas du Professeur Yunus qui affirmait que la microfinance permettrait de reléguer la pauvreté au musée. Et au-delà du microcrédit, il s‟engage dans la construction d‟un nouveau modèle de développement qu‟il nomme social busines où les profits des entreprises seraient réinvestis pour une cause sociale et environnementale. En plus du prix Nobel de la Paix, Yunus a reçu de Barak Obama la médaille d‟or du Congrès (2010) et la médaille présidentielle de la liberté (2012). En mars 2012, il a été retenu par le magazine Fortune parmi les douze entrepreneurs les plus innovants de l‟année (Guérin, 2015).

En dehors de Yunus, d‟autres hauts dirigeants du monde politique et d‟organisations internationales, femmes et hommes d‟affaires, intellectuels et chercheurs ont participé également à la diffusion de cette vision idyllique de la microfinance. Au rang desquels on peut citer James Wolfensohn et de Kofi Annan. Le premier, alors président de la Banque Mondiale précisait dans sa déclaration en 2003 l‟impact puissant et avéré de la microfinance

20 La campagne du microcrédit de 2005 s‟est achevée le 9 novembre 2005 avec un Forum réunissant plus de 700 représentants de gouvernements, d‟ONG, d‟établissements spécialisés, de banquiers, d‟experts, de bailleurs de fonds.

78 dans l‟amélioration des conditions de vie des pauvres ainsi que l‟atteinte des objectifs du millénaire pour le développement. Le second, ancien Secrétaire Général des Nations Unies, lors de la cérémonie célébrant « l‟année du microcrédit » par les Nations unies, a loué les mérites de la microfinance comme une opportunité illimitée de création des marchés permettant d‟insérer les exclus et de leur donner les outils de s‟aider eux-mêmes (Guérin, 2015).

Cette vision excessive et enchanteresse du microcrédit a beaucoup reposé sur le mythe de pauvre « entrepreneur » qui s‟est forgé grâce aux difficultés d‟évaluation des apports réels de la microfinance sur les emprunteurs concernés (Fouillet et al (2007). Elle s‟est estompée au tournant 2007 par la diffusion par la campagne du sommet du microcrédit des données moins crédibles en raison de la difficulté de vérifier l‟orientation du microcrédit à des fins productives. Ainsi, les anecdotes et les approximations statistiques avaient perdu toute crédibilité car d‟autres sources avançaient des résultats sensiblement différents (Servet, 2015). 2.2.2. La microfinance comme nouvelle niche de marché

À la différence de la première vision, celle-ci, incarnée par Jacques Attali, fondateur du groupe PlaNet Finance en 1998, soutient que le développement généralisé et professionnel de la microfinance peut non seulement vaincre la pauvreté à l‟échelle mondiale mais aussi constituer dans l‟avenir un formidable marché pour les banques commerciales. Ce postulat très largement soutenu par les acteurs dominants du secteur à l‟échelle mondiale du fait que la commercialisation et l‟inscription de la microfinance dans le marché soient considérées comme un principe de concurrence et de régulation par les prix. Le microcrédit apparait de ce fait comme une mesure d‟aide au développement beaucoup plus pérenne que le don puisque les prêts sont remboursés et, peuvent être réinvestis, mais aussi, offrent la perspective d‟importants profits en raison des potentialités du marché, notamment dans les pays du sud. Au moment où le taux d‟inclusion bancaire oscille entre 87 et 99 % dans les pays d‟Europe occidentale et d‟Amérique du Nord, il est inférieur à 10 % dans bien des pays d‟Afrique de l‟Ouest et centrale et se situe aux alentours de 30 ou 35 % dans la plupart des pays d‟Amérique latine et d‟Asie du Sud. Puisque l‟octroi du microcrédit implique des frais de fonctionnement bien supérieurs à ceux des banques commerciales, dans ces conditions, les IMF pour atteindre la couverture intégrale des coûts par des charges imputées aux clients doivent parvenir à s‟autofinancer en dégageant des profits (Guérin, 2015).

79 En d‟autres termes, les IMF doivent être de véritables institutions financières comme toutes autres entreprises capitalistes afin d‟être non seulement capables de générer des profits, de couvrir les frais opérationnels et financiers, mais également, parvenir à satisfaire les besoins financiers en termes de crédit et d‟épargne des clients, qu‟ils soient pauvres ou pas, grâce aux profits dégagés par leurs propres activités. Il existerait un écart entre les besoins de financement et les ressources financières mobilisables qui sont à la fois rares, limitées et instables. Dans le but donc d‟éviter la dépendance financière à l‟égard des pouvoirs publics et des donateurs privés d‟une part, et de participer à la lutte contre la pauvreté d‟autre part, plus que jamais, les IMF doivent être profitables et se rapprocher des standards de performance financière des banques commerciales.

« La rentabilité des institutions de microfinance détermine ainsi

leur autosuffisance, qui détermine elle-même leur pérennité et par suite leur contribution à la réduction de la pauvreté. La rentabilité financière d’une IMF est un indicateur de performance capable de lui lever de nouveaux fonds sur les marchés financiers afin d’accroître et d’intensifier son activité. Une absence de rentabilité financière risquerait à moyen ou à long terme de conduire à l’échec des programmes de microfinance et de sonner le glas d’un nouveau mode de lutte contre la pauvreté (De Briey, 2005 :7).

Contraintes par l‟exigence de rentabilité et trop souvent convaincues que le marché potentiel est illimité, de nombreuses IMF finissent par perdre le sens des réalités en se lançant dans une course effrénée à la croissance tout en ignorant que les populations locales sont parfois déjà très endettées. Ainsi, elles limitent considérablement les risques en se focalisant sur les clients, les territoires et les projets les plus rentables et se dotent de mécanismes sophistiqués garantissant les remboursements, y compris de la part de clients surendettés. Cette finalité assignée à la microfinance participe à renforcer davantage les dérives de la finance actuelle en fabricant des hommes et des femmes endettés et surendettés (Guérin, 2015).

À ce propos, Servet (2015) note que les crises des impayés dans le secteur de la microfinance sont tributaires à la fois du surendettement et de saturation des marchés du microcrédit. Elles ont également fait leur apparition dans les pays considérés comme fleurons du secteur de la microfinance : Andhra Pradesh en Inde (2006, 2009), Maroc et au Nicaragua (2008) et de Bosnie (2009). La médiatisation à outrance de ces crises, notamment celle d‟Andhra Pradesh avec les cas de suicides des clients surendettés et harcelés par leurs

80 créanciers a entamé irrémédiablement l‟image du microcrédit. Certaines de ces crises de remboursement ont débouché soit sur la rébellion collective des emprunteurs comme ce fut le cas dans le nord-ouest du Nicaragua, dans le Kanataka en Inde, près de Bangalore, ou à Andhra Pradesh, soit de façon sporadique, comme au Maroc à Ouarzazate. L‟éclatement de ces crises majeures a progressivement déconsidéré la vision quasi unanime des effets bénéfiques du microcrédit dans la lutte contre la pauvreté.

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