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Perception du taux d’intérêt

Catégorie 1 Caisses Populaires et de Crédit « Yètè Mali » de Guinée (CPEC-G)

4.2. Des femmes et de leurs relations avec les IMF

4.2.6. Perception du taux d’intérêt

Les données de terrain ont révélé une divergence dans l‟appréciation du taux d‟intérêt selon qu‟il s‟agisse des responsables des IMF, des clientes ou des démissionnaires. Pour les

142 démissionnaires et la majorité des bénéficiaires, le taux débiteur sur le microcrédit est élevé et ne permettrait pas de lutter efficacement contre la pauvreté. « Si c’est pour réellement aider

les femmes pauvres comme moi, alors pourquoi ne pas nous accorder un crédit avec un taux d’intérêt plus bas ou nul ? », s‟interroge une vendeuse de friperie du quartier Sogbè de

Kankan, âgée de 39 ans. Fortes de leur conviction, certaines adhérentes démissionnent en retirant leur épargne de garantie. D‟autres, en revanche, continuent à recourir aux services des IMF soit pour solliciter toujours du crédit, soit pour domicilier leur salaire, épargner ou transférer et/ou recevoir de l‟argent.

Toutefois, une minorité, notamment les commerçantes grossistes trouvent avantageux les différentes fourchettes des taux d‟intérêt pratiquées par les IMF. La perception favorable à l‟égard du taux d‟intérêt s‟expliquerait à la fois par la rentabilité économique des activités financées avec le microcrédit et la comparaison avec le taux d‟intérêt pratiqué par des usuriers locaux (en moyenne 10% par mois). Mais, de plus en plus, il devient rare de rencontrer ces usuriers en raison de la forte islamisation de la région. L‟idée selon laquelle l‟usure est proscrite (du point de vue de la religion musulmane) est fortement ancrée chez les personnes interrogées. Ainsi, c‟est dans la discrétion qu‟une minorité se livre à sa pratique. À ce propos, une grossiste de bazins de 49 ans dans le marché de Kankan affirme :

« Personnellement, ce taux me convient. Je n’ai aucun souci pour le moment car mon commerce marche et me permet de rembourser mon prêt. Comme mes activités me permettent de rembourser et que j’arrive à engranger des bénéfices, donc pour moi, je n’ai aucune objection contre le taux d’intérêt. Même nous commerçantes, nous vendons nos articles aux clients avec intérêt. Notre attitude est assimilable à celle des IMF. […] si je compare les taux d’intérêt pratiqués par les IMF avec ceux des usuriers, entre 10 et 20% par mois, je ne peux que les apprécier parce qu’ils sont nettement inférieurs. En plus, on a une longue période pour rembourser le microcrédit, ce qui n’est pas le cas avec les usuriers ».

Pour les gestionnaires des IMF, la structure du taux d‟intérêt du microcrédit est fixée en fonction de plusieurs paramètres dont les principaux sont :

- Le coût de l‟argent : il est constitué des frais de mobilisation de la ressource et la perte de sa valeur par l‟inflation ;

143 - Le coût commercial ou de proximité : il comprend tous les frais (carburant, entretien et réparation des motos et voitures) pour toucher l‟emprunteur dans son lieu de résidence et/ou de travail ;

- Le surcoût de gestion généré par des petits crédits adaptés à la capacité d‟endettement des clients (les IMF emploient des employés à temps plein et des contractuels avec une masse salariale annuelle très importante) ;

- Le coût du risque pour couvrir les assurances, les impayés, les sinistres liés à l‟environnement social ou naturel (rébellions, calamités naturelles, etc.) et les détournements imprévisibles malgré l‟efficacité de l‟approche méthodologique et du contrôle interne

Le taux d‟intérêt appliqué par les IMF est l‟un des aspects le plus controversé depuis le début du microcrédit moderne. Dans certains contextes, ces taux sont plus élevés que des taux bancaires ordinaires du fait qu‟il est plus couteux de prêter et de collecter des petits montants à des milliers de personnes plutôt que de prêter et de collecter ce même montant en de grands prêts à quelques personnes. Les taux d‟intérêts des IMF doivent être alors supérieurs pour couvrir les frais généraux (Rosenberg et al, 2013). De même, le risque élevé que constituent la clientèle des IMF et les coûts associés pour prêter et collecter des faibles montants de crédit doivent être compensés par l‟application des taux d‟intérêt élevé. « Si effectivement cette

frange compte parmi les plus risquées du marché, le taux d’intérêt calculé sur leur risque moyen deviendrait plus élevé que celui des banques classiques » (Acclassato, 2008 : 93).

De telles réalités ont effectivement amené plusieurs pays en développement à imposer des plafonnements des taux d‟intérêt. C‟est le cas des Etats de l‟Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). L‟UEMOA a plafonné le taux d‟intérêt à 27% aux IMF exerçant sur son territoire, même si ce principe est moins suivi.

Par contre en Guinée, le taux d‟intérêt pratiqué pas les IMF n‟est pour le moment pas plafonné. Il est fixé en fonction des institutions et de la nature des fonds mis à leur disposition pour faire du crédit. Les taux d‟intérêt nominaux appliqués varient entre 1, 25% et 4% par mois (soit entre 15 et 48% l‟an) hormis d‟autres frais supplémentaires (part sociale, assurance parfois obligatoire, épargne obligatoire etc.).

Le taux le plus faible (1,25%) est pratiqué par les 3AE. Ces derniers bénéficient des fonds ANAMIF, un crédit de 130 milliards GNF programmé par la Présidence de la

144 République en vue de financer l‟exécution des projets générateurs de revenus en faveur des jeunes et des femmes. 36 milliards ont déjà été mis à la disposition des IMF. Ensuite viennent les fonds octroyés par RAFOC en partenariat avec le PNUD pour financer les différents projets des femmes avec un taux d‟intérêt de 2% mensuel. Il s‟agit des fonds (Mossodjigui et Guiguimafa36) avec pour principal objectif la réduction du chômage des femmes et de leurs charges domestiques. Les taux d‟intérêt les plus élevés sont pratiqués par CAFODEC (3%), FINADEV (3,5%) et le CRG (4%).

En règle générale, le taux d‟intérêt est faible lorsque les IMF bénéficient d‟un apport financier extérieur soit de l‟État ou des bailleurs de fonds. En revanche, il est plus élevé lorsque les IMF sont dans l‟obligation d‟emprunter de l‟argent aux banques classiques de la place (Société générale de Banque en Guinée, Eco Bank etc.) pour ensuite faire du microcrédit avec des taux d‟intérêt supérieur.

En sus des taux d‟intérêt officiels, doivent être rajoutés divers coûts non négligeables et obligatoires en termes de garanties nécessaires pour obtenir le prêt, augmentant ainsi le coût réel du crédit. Au CRG par exemple, on exige des bénéficiaires une garantie de 11% du montant total octroyé repartis entre l‟épargne de garantie (5%), le fonds de solidarité représentant l‟assurance fixé au taux de 1% et les frais de gestion de l‟ordre de 5%. Ainsi, le coût réel d‟un microcrédit de 5 millions GNF est de 550 000 GNF. Des exigences de garanties financière similaires ont été observées au niveau de toutes les autres IMF.

Par ailleurs, outre les garanties financières, les IMF exigent l‟engagement d‟une personne caution au cas où la débitrice ne serait pas en mesure de rembourser le prêt. En général, ce rôle est dévolu aux époux. L‟emprunt d‟une femme est très mal perçu sans l‟aval préalable du conjoint. La quasi-totalité des femmes ont déclaré avoir informé leur mari avant d‟entreprendre toute démarche d‟obtention de crédit. En informant le mari, la femme ne fait que se conformer aux principes coutumiers qui lui enjoignent d‟informer l‟époux de tous ses faits et gestes. La demande de microcrédit ne fait guère exception à cette norme. Les agents de crédit estiment que le conjoint est la personne la mieux indiquée pour rembourser le microcrédit lorsque la femme est insolvable. Les propos d‟un responsable d‟une IMF traduisent bien ce sentiment lorsqu‟il affirme :

36Moosodjigui et Guiguimafa sont synonymes. Ils signifient en langue malinké fonds d‟espoir pour les femmes. Ce sont des portefeuilles de crédit destinés aux femmes qui évoluent dans les domaines de la saponification, la couture, le petit commerce, l‟agriculture et toutes autres activités génératrices de revenus.

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« Le processus d’octroi de microcrédit obéit à un caractère pédagogique. Le mari est le représentant juridique de la femme et par conséquent, il peut contre-attaquer l’institution pour avoir donné du crédit à sa femme sans son consentement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il nous faut, le plus souvent, l’aval du mari lorsqu’il s’agit d’une femme mariée. En adoptant cette méthode pédagogique qui est en adéquation avec les normes culturelles, nous parvenons à éviter les velléités judiciaires et communautaires au cas où une femme n’est pas en mesure de rembourser le microcrédit ».

À contrario, un homme peut bénéficier d‟une ligne de crédit avec ou sans le consentement de son épouse. Il doit seulement disposer de garanties matérielles/financières nécessaires qui, le plus souvent ne sont pas à la portée de la quasi-totalité des femmes. Celles- ci se consolent néanmoins à solliciter plutôt des prêts collectifs.

En effet, l‟approche crédit collectif repose sur la constitution de groupes de caution solidaire. Cette formule inspirée de la Grameen Bank, privilégie l‟activité de crédit en s‟appuyant sur des groupes de crédit solidaire lorsque les clients n‟ont pas de garanties à proposer. Elle a été expérimentée par CRG et Crédit Mutuel depuis leur création et est de nos jours appliquée par toutes les autres IMF en Guinée.

Dépourvues pour la plupart des moyens matériels et financiers pouvant faire office de gages, les femmes se constituent en des groupes de caution solidaire (généralement de 3 à 5) pour être éligibles aux différentes agences des IMF. Le bémol à ce niveau, c‟est la difficulté qu‟elles éprouvent pour constituer ces groupes dont les critères sont : la confiance, l‟entraide et le partage mutuel des risques C‟est pourquoi il s‟écoule en moyenne deux mois pour réunir le quota suffisant de femmes crédibles pour constituer un tel groupe. Les femmes très pauvres et celles ne jouissant pas de bonne probité morale y sont moins représentées en raison des risques d‟insolvabilité qu‟elles encourent, limitant de facto leur accès au microcrédit.

Les différentes perceptions liées taux d‟intérêt du microcrédit que nous venons de présentées montrent à suffisance qu‟elles varient d‟une cliente à une autre et d‟une IMF à une autre. La durée du microcrédit ne fait guère exception à cette règle.

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