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Deux catégories d’acteurs commerciaux : les grossistes 38 et les détaillantes

AGRICOLES DES FEMMES Introduction

5.1.3. Deux catégories d’acteurs commerciaux : les grossistes 38 et les détaillantes

En fonction du chiffre d‟affaires, du volume de produits écoulés sur le marché et du circuit qu‟elles animent, les femmes commerçantes en lien avec le microcrédit sont classées en deux grandes catégories : les grossistes et les détaillantes.

5.1.3.1. Les grossistes

Elles sont moins nombreuses et ont en commun un chiffre d‟affaires élevé. Elles résident dans les chefs-lieux des préfectures et sont propriétaires des boutiques et des magasins dans lesquels sont exposées les marchandises importées des pays limitrophes (Côte d‟ivoire, Mali) ou de la capitale Conakry et des marchés locaux.

Le commerce transfrontalier constitue pour elles une opportunité pour s‟approvisionner exclusivement en pagne bazin (Bamako, Banjul), en produits cosmétiques (Abidjan, Dakar) ou en poissons et poulets importés à Conakry. Ainsi, une ou deux fois par mois ou selon le rythme des affaires, les grossistes approvisionnent leurs boutiques d‟articles de nouvel arrivage. Le rythme s‟accélère pendant les périodes de fêtes (nouvel an, tabaski39

et ramadan40) où elles réalisent le maximum de leur chiffre d‟affaires. En général, les voyages pour l‟achat de marchandises dans les pays limitrophes durent une semaine et atteignent rarement deux semaines. En leur absence, les boutiques sont tenues soit par leurs enfants ou

38 Dans l‟univers de l‟étude, les commerçantes grossistes sont également des demi-grossistes. La différence entre ces deux figures de commerçantes n‟est pas facile à saisir car en fonction de la clientèle, une même commerçante peut procéder à la vente en gros ou en demi-gros. C‟est la raison pour laquelle, nous avons préféré classer les commerçantes en deux catégories : les grossistes et les détaillantes pour que nos écrits soient plus accessibles. 39 La tabaski est la plus grande fête musulmane. C‟est le plus grand moment de retrouvailles et de partages entre les membres de la famille.

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La fête de ramadan ou l'Aïd el-Fitr est la fête musulmane qui marque la fin de la rupture du jeûne observé chaque année pendant 29 ou 30 jours.

171 par un membre de la famille à qui l‟on fait énormément confiance pour la gestion des biens. À ce propos, une commerçante du marché Dibida de Kankan précise :

« Il faut éviter à tout prix la fermeture momentanée de la boutique/magasin pour ne pas perdre de nouveaux clients qui viennent acheter des articles ou des anciens qui viennent rembourser les crédits ou s’approvisionner à nouveau. Pour cela, le magasin reste ouvert même en mon absence. Les enfants prennent la relève d’ici mon retour de voyage. En général le voyage ne dépasse pas 10 jours ».

Pour écouler les marchandises, les grossistes s‟appuient davantage sur un réseau de détaillant(e)s qui, le plus souvent, s‟approvisionnent à crédit et remboursent une ou deux semaines plus tard ; elles font aussi appel à des clients particuliers à qui sont vendues au détail les marchandises.

Dans l‟espoir de réduire le coût et la fréquence des voyages, plusieurs grossistes s‟associent et mandatent l‟une des leurs auprès des fournisseurs pour effectuer, non seulement des achats groupés, mais aussi, de convoyer les marchandises jusqu‟à destination avec l‟appui des transporteurs. Précisons que cet achat groupé est généralement effectué par des commerçantes qui évoluent dans le même réseau marchand. C‟est le cas par exemple des femmes qui achètent le bazin à Bamako ou celles qui travaillent dans le commerce de cosmétiques.

Ce procédé vise deux objectifs : d‟une part, il augmente la marge bénéficiaire car les frais de transport et de dédouanement des marchandises sont partagés au prorata de nombre de femmes et de la quantité de marchandises commandées ; et d‟autre part, il dispense les femmes d‟effectuer beaucoup de déplacements qui exigent au préalable la permission des époux, qui le plus souvent sont hostiles aux nombreux voyages de leurs épouses. Pour autant, le déplacement des grossistes est surtout nécessaire lorsqu‟il s‟agit des commandes de bazin à Bamako. Leur présence permettrait l‟obtention des meilleures qualités de bazins auprès des teinturières compte tenu de la diversité des modèles (motifs).

Certaines grossistes s‟approvisionnent également en transférant directement le montant des commandes aux fournisseurs à travers le système de transfert d‟argent via la téléphonie mobile et les bureaux informels. En effet, le secteur de transfert de fond mobile est dominé depuis cinq ans par deux opérateurs, en l‟occurrence Orange Money et MTM Mobile Money. Outre ces opérateurs, il existe de nombreuses agences semi-formelles de transfert d‟argent (Sabadou, Matila, Main-à-main), des agences formelles (Money Gram, Western Union, Wari)

172 et les services de transfert des IMF. Toutes ces agences sont représentées dans les principales villes et sous-préfectures de la Guinée et capitales de certains pays de l‟Afrique et de l‟Europe.

Les transferts de fonds via ces agences ont contribué à améliorer les transactions commerciales entre les commerçantes et les fournisseurs. C‟est pourquoi dès notification du virement de fonds sur le compte du fournisseur, les marchandises sont aussitôt mises en route. Si cette approche semble louable par sa rapidité, cependant, elle ne répond pas efficacement aux attentes des commerçantes qui, se plaignent souvent de la cherté des marchandises convoyées et même de leur qualité inférieure. Dans les faits, elles ne sont pas en mesure de confronter les prix et se contentent essentiellement d‟accepter les prix fixés par les fournisseurs.

Les grossistes sont confrontées à un certain nombre de difficultés qui limitent leur marge bénéficiaire. Il s‟agit notamment des contraintes liées à l‟obtention des devises pour effectuer les transactions commerciales hors des frontières guinéennes. La monnaie guinéenne n‟étant pas convertible à l‟étranger, les commerçantes sont dans l‟obligation de trouver des devises en franc CFA (Communauté Financière d‟Afrique) ou en dollar sur le marché noir où le taux de change varie de jour le jour. Par exemple, en juillet 2017, en fonction de l‟évolution des cours, 1 euro équivalait en moyenne à 10 289 GNF selon la Banque Centrale de la République de Guinée contre 10 500 GNF au marché noir, soit une perte de 211 GNF sur chaque euro lorsque l‟opération de change est effectuée sur le marché noir.

Pour celles qui désir obtenir une importante quantité de devises, il leur faut attendre plusieurs jours pour pourvoir la rassembler au risque d‟échanger à des taux exorbitants. Cet état de fait à pour conséquence l‟augmentation des prix de vente des marchandises pour pouvoir faire face à tous cas d‟inflation de la monnaie. En plus, elles sont confrontées à la mévente lorsque les mines artisanales ne sont pas assez productives, ainsi qu‟à la concurrence qui ralentit, le plus souvent, l‟écoulement des marchandises.

173 Photo 1 : Articles exposés dans une boutique appartenant à une grossiste, bénéficiaire de microcrédit à Kankan

Source : enquete de terrain, 2016

5.1.3.2. Les détaillantes

Moins riches, les détaillantes sont spécialisées dans la collecte des produits locaux et la vente au détail de marchandises importées par les grossistes. Elles sont surtout présentes dans les marchés des centres villes où elles disposent des espaces de vente sous des hangars ou des magasins qu‟elles louent en commun. Certaines s‟approvisionnent en produits manufacturés et en denrées alimentaires auprès des fournisseurs grossistes du grand marché de Kankan, pour ensuite, les revendre en détail, dans les petits marchés des quartiers de Sinkéfara, de Bordo ou encore de Sogbè. D‟autres comme les mareyeuses s‟approvisionnent en poissons chez des Libanais ou les femmes grossistes pour ensuite les revendre au détail au marché de la commune urbaine de Mandiana. En revanche, celles qui ne disposent pas de place pour leur propre compte, commercialisent leurs marchandises dans des charrettes ou les portent sur leur tête pour sillonnent les coins des marchés et des habitations à la recherche de la clientèle.

De nombreuses détaillantes se sont aussi spécialisées dans le commerce sous-préfectoral où elles ciblent principalement les grands marchés hebdomadaires et les zones minières. Sur ces lieux, elles vendent des produits manufacturés souvent acquis par dette auprès des grossistes et demi-grossistes qui sont remboursés en fin de journée ou à partir d‟une échéance convenue entre les deux parties. Dans l‟optique de tirer plus de profit de leur activité, certaines détaillantes, après la vente, achètent en retour des produits agricoles (arachide, beurre de karité, riz, mil, fonio…) qu‟elles revendent (soit en tas, par mesure, par kilogramme, par litre) directement aux consommateurs dans les marchés locaux.

De ce fait, la vente au détail permet aux acheteurs moins riches de se procurer de certaines denrées en fonction de leur pouvoir d‟achat. Sans le micro-détail, l‟achat de certains produits leur serait inaccessible, car ne disposant pas suffisamment de budget pour un achat

174 global. Le petit commerce procure aux détaillantes un bénéfice qui est souvent faible dans l‟ensemble mais adapté au contexte des petites villes et assure une sécurité individuelle à tous les acteurs concernés (Diallo, 2010).

Les détaillantes fréquentent au moins dix-huit marchés hebdomadaires. Il est courant que que les femmes sillonnent, au cours de la même semaine, un ou plusieurs marchés hebdomadaires. Une vendeuse de pagne dans la commune urbaine de Mandiana, fréquente à la fois le marché de Niantanina et celui de Morodou. Une autre mareyeuse domiciliée à Kankan centre, écoule régulièrement ses poissons dans les marchés hebdomadaires de Djélibakoro et de Fodékaria. Les principaux marchés hebdomadaires répertoriés dans la zone d‟enquête sont présentés comme suit dans le tableau ci-dessous :

Tableau 24 : Principaux marchés hebdomadaires de la zone d’étude

Chefs-lieux des préfectures Marchés hebdomadaires Jours de marchés

Siguiri Kintinian Vendredi Tombobko Samedi Doko Lundi Norassoba Jeudi Franwalia Mercredi Lero Dimanche Mandiana Niantanina Mercredi Morodou Vendredi

Mandiana centre Lundi

Balandougouba Vendredi Dialokoro Lundi Kiniéran Samedi Kankan Djélibakoro Lundi Tokounou Vendredi SabadouBaranama Dimanche Soronkoni Lundi Fodékaria Samedi Koumban Mercredi

Source : Enquête de terrain, 2016

Par ailleurs, les commerçantes, qu‟elles soient grossistes ou détaillantes sont préoccupées par deux soucis majeurs : celui de générer des bénéfices pour faire face au remboursement des microcrédits mais aussi d‟assurer la reproduction de la famille. Pour y parvenir, beaucoup d‟entre elles commercialisent des objets économiques qui s‟écoulent rapidement sur les marchés locaux et hebdomadaires et qui génèrent également une marge bénéficiaire relativement considérable. Sur ce sujet, une commerçante nous a confié ses sentiments en ces termes :

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« Pour la réussite de ses affaires, la commerçante doit être très intelligente. Il faut beaucoup réfléchir avant de se lancer dans le commerce. La meilleure stratégie c’est ne pas faire comme les autres. Il faut non seulement commercialiser des marchandises qui peuvent s’acheter facilement sur le marché mais aussi qui génèrent des bénéfices. C’est à ce prix qu’une commerçante arrive à faire prospérer son commerce ».

Photo 2 : Détaillantes divers articles - Kankan et Mandiana

Source : enquete de terrain, 2016

5.1.4. Trajectoires de vie de quelques femmes commerçantes bénéficiaires de microcrédit

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