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enseignants  et  savoirs  de  référence

2 Professionnalisation,  compétences  et  alternance

2.1 Le  processus  de  professionnalisation  des  enseignants

La formation des enseignants à la HEP du canton de Vaud s’inscrit dans le contexte de la convention de Bologne et des réformes qui ont visé la professionnalisation de la formation des enseignants. Dès le début des années 2000, ce processus s’est concrétisé par le transfert de la formation professionnelle vers les Hautes Écoles Pédagogiques. Pour répondre à la complexité croissante du métier, aux exigences de plus grande efficacité de l'école et à la recherche d’une meilleure expertise dans les pratiques des enseignants, de nombreux chercheurs voient dans ce processus de professionnalisation un enjeu majeur du développement professionnel et de l’accroissement de l’efficacité des formés (Altet, 1994;

Perrenoud, 1993, 1994 ; Tardif et Lessard, 1999).

2.1.1 Professionnalisation  des  enseignants  

Dans son sens le plus ancien, une profession, par opposition à un métier, est « une activité dont les savoirs et les croyances constitutives ont été professées et donc apprises après déclaration publique, et non acquises mystérieusement par les voies non explicites de l’apprentissage imitatif » (Bourdoncle, 1991, p. 74). Ces savoirs et croyances impliquent ainsi un processus de "rationalisation discursive de l’action". Pour cet auteur, cette rationalisation s’opère par le passage à l’écrit, lequel permet à la fois une capitalisation des savoirs et leur plus large diffusion. Dans cet optique, les deux caractéristiques de base d’une profession sont "service et savoir". Une profession répond à des besoins essentiels de l’espèce humaine, besoins qui concernent presque tout le monde et pour lesquels quelques-uns deviennent experts. Afin d’y répondre, ils acquièrent un savoir professé, un savoir qui ne peut pas s’apprendre par la simple imitation. Ainsi le savoir propre à une profession, bien que résultant d’un processus de rationalisation de la pratique professionnelle, se développe en devenant de plus en plus autonome d’avec cette pratique.

Bourdoncle (1991) souligne également que le terme professionnalisation est polysémique, parfois sujet à controverse. Il distingue trois sens possibles et interdépendants :

1. le processus d’amélioration des capacités depuis la rationalisation des savoirs mis en œuvre dans une profession, avec toutes les exigences de plus grande efficacité que cela entraîne ;

2. la stratégie et la rhétorique utilisées par le groupe professionnel dans le but de valoriser socialement ses activités et par là-même le processus d’amélioration de son statut social ;

3. l’adhésion par l’individu à cette rhétorique et aux normes établies par le groupe professionnel.

Pour Lang (2001), dans le champ de l’enseignement, le processus de professionnalisation est porteur de trois sens et enjeux positifs suivant les acteurs qui s’en saisissent : l’idéal du praticien réflexif, l’amélioration de la position sociale des enseignants, ainsi que la modernisation du métier et la responsabilisation des enseignants.

Le but de la professionnalisation revêt différentes formes selon les acteurs concernés : pour les professionnels, il vise une amélioration de la reconnaissance sociale et une aspiration à une plus grande autonomie (Hofstetter, Schneuwly & Lussi, 2009) ; pour les décideurs, il vise l’accroissement de l’efficacité et de l’expertise des formés et peut ainsi revêtir une forte charge normative et prescriptive (Hofstetter, 2005 ; Bourdoncle, 1993) ; pour la formation, il est l’occasion d’articuler le monde du travail et celui de la formation (Bourdoncle, 2000).

Par homologie avec d’autres professions libérales, en particulier le médecin, l’enseignant professionnel est perçu comme un clinicien de l’apprentissage (Bourdoncle, 1991). Pour y parvenir, il devrait non plus manifester des conduites intuitives et artisanales propres aux métiers, mais adopter une approche systématique et rationnellement contrôlée.

Pour ce faire, le professionnel devrait disposer de modèles théoriques qui lui permettent non seulement de comprendre les situations pédagogiques, mais encore de maîtriser ces situations en s’appuyant sur des principes théoriques qui lui permettraient d’agir de manière appropriée.

Ce passage de l’artisan au scientifique exige que la formation soit prise en charge par l’université (Huberman, 1978, cité par Bourdoncle, 1991). Avec la réforme de Bologne, le processus de professionnalisation a effectivement eu pour conséquence une universitarisation (ou tertiarisation) de la formation professionnelle impliquant une augmentation des exigences en matière de formation (Tardif, Lessard & Gauthier 1998) et un renforcement significatif des savoirs théoriques issus des sciences de l’éducation (Hofstetter & Schneuwly, 2007). Parallèlement, le transfert des écoles normales vers les hautes écoles a entraîné une intensification de la formation pratique couplée à une recherche d’articulation entre institutions de formation et lieux de formation pratique. Ce processus a abouti à l’obtention d’un titre plus élevé à la fin de la formation.

Dans ce contexte, professionnalisation est synonyme d’universitarisation de la formation professionnelle. C’est un processus évolutif lié à la profession concernée et au contexte historique et culturel dans lequel il se déploie. Il vise la construction chez les formés d’une identité et d’une compétence professionnelles (Vanhulle, Motier Lopez &

Deum, 2007) et tente de s’adapter à la transformation des fonctions et activités propres à une profession par le développement de compétences spécialisées (Hofstetter, Schneuwly

& Lussi, 2009). Il implique des dispositifs qui incluent deux composantes : une conception de la pratique qui ne s’acquiert pas par simple immersion ou compagnonnage, et une formation théorique de haut niveau qui intègre des savoirs scientifiques (ibid.).

Ainsi, le processus de professionnalisation résulte de la conjugaison entre une transmission de savoirs issus de la recherche et une solide articulation à la pratique, sur

fond de conception applicationniste invitant les professionnels à s’emparer de savoirs produits par des chercheurs.

Dans le cas des futurs enseignants des premiers degrés de la scolarité, ce processus d’universitarisation, remis en cause par une partie de la classe politique, correspond à un changement majeur dans la culture enseignante. Bien qu’il ait précédé des changements intrinsèques au champ professionnel comme le fait que l’école enfantine est devenue obligatoire et qu’elle s’est vue dotée d’objectifs d’apprentissage disciplinaires et cognitifs, ce processus a concrétisé une réponse possible aux nouveaux enjeux des premiers degrés dans la réduction des inégalités scolaires.

2.1.2 Les  savoirs  de  l’enseignant    "professionnalisé"  

Au delà des enjeux idéologiques touchant la valorisation des professions, les enjeux liés aux savoirs d’une profession restent centraux. Pour Bourdoncle (1993), une profession est reconnue comme telle dès lors que les connaissances qu’elle met en œuvre lui permettent de résoudre des problèmes en faisant face à l’imprévu par le biais de procédures non routinières. Les discours sur la professionnalisation marquent le passage d’une logique prescriptive à une logique instrumentée : l’enseignant est responsable de ce qu’il construit, de son action, de la régulation de son action en regard de résultats attendus (Lang, 2009).

C’est dans cette perspective que la formation propose des savoirs théoriques aux étudiants, postulant que ces derniers pourront jouer un rôle dans le développement de l’action professionnelle des enseignants (Beckers, 2007) en sachant mieux utiliser en situation les savoirs prodigués en formation. C’est dans cette perspective de responsabilisation de l’enseignant que le modèle du praticien réflexif décrit par Schön (1994, 1996) s’est diffusé dans nos institutions de formation. Ce modèle définit le professionnel comme utilisant la réflexion sur et dans sa pratique pour résoudre les problèmes qui se posent dans l’exercice de ses fonctions. Cette "pensée réflexive" serait nourrie par les savoirs issus de sa propre expérience, des savoirs pratiques qui lui sont transmis par des pairs ou des formateurs et des savoirs académiques ou scientifiques propres à sa profession (Perrenoud, 2001 ; Altet, 1996). À ce sujet, Schneuwly (2012) déplore qu’en formation cette pratique réflexive soit essentiellement conduite à propos des dimensions relationnelles ou liées à la gestion de la classe au détriment d’une centration sur les savoirs en jeu et sur les apprentissages des élèves.

La rhétorique sur la professionnalisation des enseignants accorde une légitimité à différents types de savoirs proposés en formation : savoirs théoriques issus de la recherche ; savoirs de la pratique objectivés et formalisés (Lang, 1999) proposés comme des théories ou transmis par les praticiens. Il est aussi parfois question des connaissances construites par les apprenants dans l’expérience de la pratique. Nous observons que les discours sur la professionnalisation découpent souvent de manière dichotomique des théoriques, dispensés dans les institutions de formation et des savoirs pratiques ou expérientiels, construits dans les lieux de pratique. Cette évolution comporte un risque, celui de la substitution des savoirs savants issus de la recherche, défendus comme outils de développement de la pensée et de l’autonomie des enseignants, aux savoirs pratiques, définissant ces derniers et les praticiens comme des professionnels, "certes réflexifs, mais exécutants " (Mezzena & al., soumis).

De plus, la finalité de la professionnalisation tend à relier trois logiques, trois conceptions, trois cultures (Vanhulle, 2008) : une culture de l’enseignement et de la transmission des savoirs de référence, une culture de la formation et du développement des

compétences professionnelles et une culture de la professionnalisation et du transfert de ces connaissances et compétences dans la pratique. La nécessaire articulation entre ces différentes logiques pose la question du choix des savoirs et des compétences transmis en formation, tant du côté des cours dispensés en institution que du côté de la pratique en stage.

Enfin, la professionnalisation des métiers de l’éducation repose sur des fondements qui sont loin de faire l’unanimité auprès des acteurs concernés (politiques, gestionnaires, chercheurs, enseignants…). D’une part, l’expertise n’est pas une valeur dominante dans la plupart des groupes de professionnels et, d’autre part, la recherche en éducation n’est pas considérée comme une référence des pratiques éducatives (Lang, 2001). Dès lors, il convient de questionner la place, le rôle et les visées des savoirs théoriques issus de la recherche dans la formation des enseignants. Hofstetter, Schneuwly & Lussi (2009) ont relevé l’adjonction progressive aux savoirs à enseigner de savoirs pour enseigner qui mobilisent notamment des apports de la recherche. Les questions de la légitimité des savoirs proposés et celle des instances légitimées pour les définir, les produire et en contrôler l’utilisation, sont au cœur des enjeux de cette professionnalisation. S’il s’agit de rendre les enseignants plus efficaces, la standardisation des pratiques et des contenus à enseigner, par le biais notamment de la promotion des "bonnes pratiques" (best practices), couplée à une gestion plus contrôlante des systèmes scolaires et des qualifications, ne sont-elles pas antinomiques avec les enjeux d’autonomisation et de responsabilisation des enseignants ?

Hofstetter, Schneuwly et Lussi (2009) proposent une typologie des positions liées aux enjeux de savoirs et de pouvoirs et définissent trois pôles d’une professionnalisation par les sciences de l’éducation :

1. Les tenants d’une perspective critique questionnent les savoirs proposés en formation quand ils visent l’amélioration de la gestion de l’école et du niveau de formation des enseignants. Ces savoirs permettent-ils une plus grande autonomie des enseignants ou une soumission plus forte aux prescriptions ? Bien que le discours porte sur la responsabilité des acteurs, il reste à déterminer si la formation vise le développement des capacités à comprendre les prescriptions ou des capacités à les appliquer.

2. Les tenants d’une perspective évolutive de la profession, souvent les chercheurs impliqués dans les réformes de la formation, postulent qu’une véritable professionnalisation passe par la tertiarisation de la formation et par l’offre de savoirs mobilisables pour et dans l’action. En présupposant que les savoirs pratiques ne comprennent pas en eux-mêmes un niveau de "réflexion" de qualité suffisante, ils suggèrent une perspective utilitariste dans laquelle les savoirs à inscrire dans les cursus de formation se limitent à ceux mobilisables dans l’action et la professionnalité se mesurant à l’aune de l’efficacité pratique. De leur point de vue, l’universitarisation devrait viser une meilleure qualification des formés via une articulation améliorée entre savoirs théoriques et savoirs pratiques. Les savoirs théoriques et disciplinaires sont ici reconnus nécessaires pour autant qu’ils puissent constituer des ressources pour l’action et être traduits en savoirs procéduraux. Les tenants de ce point de vue défendent une vocation professionnalisante de l’université et hiérarchisent les savoirs en fonction de leurs dimensions praxéologiques, entre en dissonance avec certains attributs de la

science (objectivité, savoirs dits désintéressés, esprit critique). Cette perspective ouvre la voie à l’instrumentalisation et à la dévalorisation des savoirs scientifiques.

Reste à questionner si les savoirs procéduraux sont réellement ceux qui favorisent une plus grande intelligibilité de la complexité des situations éducatives.

3. Les tenants du point de vue institutionnel, en particulier les chercheurs en histoire et en sociologie de l’éducation, postulent une tension irréductible, mais productive entre les champs professionnels et disciplinaires. Les visées des lieux de production de savoirs et celles des lieux d’action pratique font l’objet d’une incompatibilité fondamentale et structurelle. Celle-ci se double presque inéluctablement d’un rapport hiérarchique renforcé par le fait que le champ disciplinaire assume aussi la fonction formatrice par rapport à la profession.

En conclusion, la question des savoirs dont doivent disposer les enseignants experts reste vive. Elle s’ajoute à celles liées aux dépositaires de ces savoirs, aux modalités de leur élaboration, ainsi qu’à de l’efficacité de leur transmission, questions déjà soulevées par Van der Maren (1993). De plus, si ces savoirs doivent être évalués à l’aune de leur "utilité"

pour la pratique, de leur potentielle traduction en savoirs procéduraux, le choix des savoirs théoriques issus de la recherche pourrait se voir passablement restreint. Leurs rôles et enjeux dans la formation seraient bien éloignés de ceux traditionnellement dévolus à la théorie, c’est-à-dire d’élargir son regard sur le monde, comme « hissée sur les épaules d’un géant » (Astolfi, 2008).