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Partant du principe que la mise en discours favorise la (re)construction, par les étudiantes, des savoirs proposés en formation, c’est au travers de l’analyse de productions écrites que sont recherchés ces indices de l’appropriation de ces savoirs théoriques et de l’évolution de leurs conceptions et des dimensions sur lesquelles elles portent leur attention.

La recherche s’articule à un dispositif de formation tel qu’il est pensé et organisé par l’équipe de formateurs en charge des modules concernés. C’est-à-dire qu’il y a bien intervention (au sens où la formation est pensée, organisée, en fonction de visées développementales identifiées), mais cette intervention n’est pas construite en vue de provoquer des données de recherche. Le but de la recherche est bien de documenter les processus de formation tels qu’ils peuvent être favorisés ou pas par le dispositif de formation existant. Ainsi, la recherche est effectuée en situation, elle se situe dans le milieu naturel des formés, le recueil de données a lieu sur le terrain et les données émanent de la formation elle-même (Bronfenbrenner, 1979).

Les données ont été produites par les étudiantes dans le cadre des modules sur l’enseignement-apprentissage et constituent des traces des effets de démarches d’intervention délibérée visant l’apprentissage et le développement des personnes en formation (Bronckart, 2004). Il s’agit de textes produits par les étudiantes dans des situations de formation. Est considéré comme texte, « toute unité de production verbale véhiculant un message linguistique organisé et tendant à produire sur son destinataire un effet de cohérence » Bronckart (1996, p. 137). Ces textes sont adressés et construits dans le contexte de formation concerné et les consignes sont élaborées par l’équipe de formateurs en charge de ces modules. Pour les besoins liés à cette recherche, la seule adaptation qui a eu lieu est l’homogénéisation des consignes entre les différentes années. À l’exception des extraits tirés de l’examen de fin de première année, ces écrits n’ont pas fait l’objet d’une évaluation, ce sont des travaux qui sont proposés dans le but de favoriser des processus de formation précis : l’appropriation théorique dans le cas des fiches de lecture et la prise de conscience de son parcours de formation dans le cas des bilans. C’est donc volontairement qu’ont été privilégiées les productions ne faisant pas l’objet d’une évaluation certificative, afin de limiter, tant que faire se peut, les biais liés à l’adressage de l’écrit ou au souci de répondre aux exigences de la formation plutôt que de mettre en œuvre des processus de formation.

Ces textes articulent des types de discours, « des configurations particulières d'unités et de structure linguistiques » qui peuvent entrer dans la composition de tout texte. Ils traduisent de mondes discursifs, « c'est-à-dire des formations sémiotiques organisant les relations entre les coordonnées du monde vécu d'un agent, celles de sa situation d'action et celles des mondes collectivement construits ». (Bronckart, 2001, p. 150). Le contenu sémiotisé peut s'organiser de quatre manières différentes selon que le monde discursif est de l’ordre du raconter (sémiotisation de l'agir fondée sur un ancrage temporel dans la situation d’action) ou de l'exposer (quand il y a distance temporelle) d’une part; selon que l’auteur du texte est impliqué dans le discours ou au contraire construire un discours autonome, d’autre part. Ceci conduit Bronckart (2001) à identifier quatre types de discours : le récit interactif (raconter impliqué) ; la narration (raconter autonome) ; le discours interactif (exposer impliqué) et ; le discours théorique (exposer autonome).

A priori, l’appropriation des savoirs de référence, et plus particulièrement des savoirs scientifiques, devrait engager les étudiantes dans des démarches intellectuelles et

discursives qui président à la manipulation de concepts ou de systèmes théoriques. Ceci devrait, du moins dans le cas des fiches de lecture, donner lieu à des discours théoriques. Si l’étudiante intègre une démarche critique, le type de discours relèvera alors de l’exposé, si elle argumente celui-ci, il devient plus interactif. Quand les savoirs sont construits à partir de l'expérience propre, ils conduisent alors à des récits interactifs. Si l'évocation de l'expérience conduit l’étudiante à raconter, le recours à des savoirs de référence implique l'exposé. Quand l’étudiante évoque ses propres expériences ou fait référence à sa trajectoire de formation, le récit devient souvent interactif, et la narration autonome. Quand elle expose ses propres conceptions, le discours est alors interactif. Quand elle tente des généralisations, le discours redevient théorique (Vanhulle, 2009a).

Ces données sont produites en lien avec des savoirs théoriques proposés dans les modules de formation. Elles permettent d’analyser ce que les étudiantes font de ces savoirs : tout d’abord, du point de vue des contenus de formation (ce qu’elles retiennent, ce qu’elles ont appris) ; ensuite des opérations cognitives qu’elles mettent en œuvre (restitution, synthèse, reformulation, analyse…) ; et enfin de l’usage qu’elles font des savoirs théoriques (les liens qu’elles établissent entre ce savoir et les phénomènes de l’enseignement-apprentissage, et plus largement avec leur profession, des conceptions qu’elles laissent voir).

Les trois types de données et leur contexte de production sont présentés ci-dessous.

9.1 Les  fiches  de  lecture  

Dans la perspective historico-culturelle, nous postulons que le mode de construction des concepts scientifiques nécessite une élaboration systématique et structurée par un système de concepts, sans référence à l’expérience concrète (Schneuwly, 2008 ; Vygotski, 1934/1996). La production d’une fiche de lecture s’inscrit dans cette forme d’apprentissage systématique. Ainsi, il est demandé à l’étudiante de s’approprier le contenu d’un ouvrage rendant compte de résultats de recherche. L’écriture devrait permettre à l’étudiante de sélectionner des éléments, de construire des significations et potentiellement se dégager des cadres de références préconstruits et de transformer les savoirs extérieurs en outils de pensée (Vygotski, 1934/1997). Si l’écriture est investie de cette façon, elle peut favoriser l’appropriation des savoirs, la construction de sens et la compréhension.

La fiche de lecture est un genre de texte18 particulièrement utilisé dans le monde scolaire. Elle correspond généralement à un résumé des concepts clés ou des thèses développées par un auteur. Elle devrait permettre à un lecteur potentiel de saisir l’essentiel de l’ouvrage sans qu’il lui soit nécessaire de le lire, et à l’auteur de la fiche de produire un aide mémoire.

Du point de vue de la chercheuse, le choix des fiches de lecture comme premières données de la recherche permet d’identifier assez précisément les savoirs de référence proposés aux étudiantes. Toutes ont reçu le même texte d’origine et le fait qu’elles

18La notion de genre de texte, selon Bronckart (1997) désigne un ensemble de textes (oraux ou écrits) dont les similitudes sont suffisamment importantes pour qu’ils soient regroupés sous une même appellation stable (roman, recette, exposé, sermon…). Cette notion est issue de démarches qui ont constitué à décrire différents textes et leurs usages. Cependant, ces démarches n’ont pas permis d’aboutir à un classement stable et

élaborent leur fiche à partir d’un texte écrit permet d’identifier assez précisément les attentes des formateurs en termes de contenu de la fiche.

En effet, durant la pause entre le premier et le deuxième semestre, les étudiantes produisent une fiche de lecture à propos de la partie 1 de l’ouvrage « Apprendre à l’école, apprendre l’école. Des risques de construction d’inégalités dès la maternelle » coordonné par Bautier (2006a). Ce travail vise la compréhension des causes socio-historiques de la construction des conceptions du rôle de l’école maternelle. Les étudiantes réalisent un écrit de 2 ou 3 pages qui synthétise les idées centrales de l’ouvrage (quelles sont les thèses défendues par les chercheurs ? Quelles sont les questions qu’ils se posent ? Comment s’y prennent-ils pour y répondre ? Quels sont les résultats/réponses apportés par les chercheurs ?). Cette production ne fait pas l’objet d’une évaluation certificative. Les fiches sont lues et commentées individuellement par les formateurs et leur contenu est retravaillé lors d’un séminaire dans lequel nous identifions collectivement les éléments attendus.

Pour favoriser la comparaison entre la première et la deuxième année de formation, la deuxième fiche de lecture demandée porte sur une autre partie du même ouvrage. Ceci permet une analyse de l’évolution du traitement des savoirs de référence entre les deux fiches de lecture. C’est pourquoi, la consigne de cette fiche de lecture vise un travail de même nature que celle de la première année. Les objectifs de formation liés à cette deuxième fiche relèvent de la compréhension et de la prise de conscience du rôle des pratiques enseignantes dans la construction des inégalités scolaires.

La comparaison entre ces deux fiches de lecture permet d’identifier des ressemblances et des différences, des évolutions chez une même étudiante, à deux moments de sa formation (fin du semestre 1 et début du semestre 4).

9.2 Les  bilans  de  fin  d’année  

Riopel (2006) a montré que pour s’engager en formation, l’étudiant doit pouvoir saisir la dimension de soi qu’il investit, se situer comme acteur de sa formation et se décrire comme une personne qui apprend. C’est pour favoriser ces prises de conscience que nous demandons, à la fin de chaque module, aux étudiantes de rédiger un bilan de leurs acquis du module. Dans ce bilan, l’étudiante nomme, décrit, explique ce qu’elle a appris, ce qui lui a permis d’apprendre, ce qui a changé, les liens qu’elle établit avec les dimensions de la pratique dont elle a fait l’expérience…

La consigne des trois bilans est chaque fois la même. Il s’agit de développer deux acquis du module en lien avec leur expérience en stage. La forme assez semblable de ces bilans permet entre autres d’identifier les savoirs de référence convoqués par les étudiantes et leur traitement, ce sur quoi porte leur discours, l’évolution de leurs conceptions et la centration de leur attention.

Le bilan est rédigé par l’étudiante à la fin du module et ne fait l’objet ni d’une évaluation ni d’un commentaire de la part du formateur.

Si les fiches de lecture permettent d’identifier clairement la source proposée aux étudiantes, les bilans sont plus ouverts et bien qu’elles doivent se référer aux contenus du module, leur expérience en stage peut fortement varier. De plus, il n’est pas rare qu’elles fassent appel à des savoirs de référence issus d’autres modules de formation. L’intérêt majeur de ces bilans est qu’ils permettent de "tracer" le parcours d’une étudiante tout au long de sa formation. À ce titre, ils constituent les données les plus capables de répondre à

la dimension longitudinale de la recherche. De plus, les références aux différents apports de la formation, repérés dans les bilans, permettent l’identification du traitement des savoirs proposés par les étudiantes.

9.3 L’extrait  de  l’examen  de  première  année  

À la fin de la première année de formation, les étudiantes sont soumises à un examen certificatif dont un extrait vient compléter les données. Il leur est demandé de reformuler une citation de Schneuwly19 (2008), de l’illustrer, de la commenter et d’établir des liens entre cet extrait et un élément observé ou mis en œuvre dans le cadre du stage.

Cette troisième source permet d’analyser la production d’une étudiante, en situation d’examen, par rapport à un savoir de référence imposé, alors que dans leurs bilans, elles choisissent les savoirs traités. L’analyse de cet élément sera essentiellement utilisée dans la dernière partie de ce travail pour comparer les productions des étudiantes de la volée concernée par la recherche avec celles d’une nouvelle volée ayant bénéficié de plusieurs ajustements du dispositif de formation.

Le croisement des deux premiers types de données (production contrainte à partir d’un texte donné, production plus libre permettant le choix des savoirs traités en lien avec les modules) s’inscrit dans les techniques de validation par triangulation (Mucchielli, 1996). Il vise à repérer le traitement des savoirs de référence proposés et les formes données aux significations construites par les étudiantes dans différents genres d’écrit et d’identifier d’éventuelles constantes qui apparaitraient chez une même étudiante, indépendamment des consignes et des contextes d’écriture.

9.4 Le  groupe  d’étudiantes  qui  a  participé  à  la  recherche    

Le recueil des données est effectué auprès d’un groupe de 16 étudiantes au début de la formation. Les échecs et les changements d’orientation en ont modifié le nombre de la façon suivante :

- fin de la 1ère année : 14 étudiantes, - fin de la 2e année : 12 étudiantes, - fin de la 3e année : 10 étudiantes.

Ces étudiantes se destinent à l’enseignement préscolaire-primaire, plus particulièrement aux premiers degrés de la scolarité (degrés 1 à 4 HarmoS). Nous avons obtenu leur accord pour que leurs travaux soient utilisés dans cette recherche.

Le groupe a été choisi de manière aléatoire, c’est-à-dire qu’un groupe de séminaire de première année a été retenu. De plus, il s’agit uniquement d’étudiantes, ce qui n’est pas exceptionnel en ce qui concerne ces degrés.

19 « L’enseignement/apprentissage scolaire […] n’est efficace que dans la mesure où il devance le développement de l’enfant et travaille sur des savoirs et savoir-faire dont les bases psychiques ne sont pas